« Ce n'est pas une loi qui amendera les consciences, ni qui diminuera la solitude des médecins confrontés à des fins de vie difficiles. » Chargée par Jean-François Mattei de proposer des réponses « autres que normatives » à la prise en charge de la fin de vie, la psychologue spécialiste des soins palliatifs, Marie de Hennezel, a jugé malgré tout utile, dans un rapport rendu public le 16 octobre (1), de donner son point de vue sur l'opportunité de légiférer sur une question remise récemment sur le devant de la scène par le drame de la famille Humbert, le cortège de déclarations contradictoires qui s'est ensuivi de la part de membres du gouvernement et la mise en place d'une mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie à l'Assemblée nationale (2).
La psychologue repousse toute idée d'une loi encadrant la prise en charge des malades en fin de vie, craignant qu'elle ne « freine les efforts des soignants pour améliorer leurs pratiques, [...] pour inventer une manière d'être humaine et humble auprès de ceux qu'ils ne peuvent plus guérir ». Pour elle, le cas très médiatique et « exceptionnel » de Vincent Humbert ne doit pas faire oublier « les milliers de personnes qui meurent tous les jours » mal accompagnées. Les enjeux forts du débat sont ainsi, précisément, ceux de l'accompagnement et du « non-abandon » . « Sait-on distinguer ce qui relève d'une demande d'être mieux soulagé, compris, réconforté, d'une vraie demande de mort ? » Pour la psychologue, dans la majeure partie des cas, le patient qui demande à mourir veut en réalité être rassuré et savoir qu'il ne sera pas abandonné. Cependant, « trop de médecins aujourd'hui ne savent pas communiquer avec leurs malades » et préfèrent cacher son état à un patient qui va mourir. Le rapport plaide donc pour que les médecins puissent suivre une formation à « l'entretien de fin de vie » , entretien au cours duquel le médecin s'engagerait à ne pas abandonner son patient.
Regrettant plus généralement une méconnaissance des soins palliatifs chez les professionnels de santé, il propose que les futurs médecins soient sensibilisés, dès le début de leurs études à une « réflexion sur la fin de vie » et que, dès la première année de médecine, les étudiants aient à suivre un stage obligatoire dans un service à haut taux de mortalité.
La psychologue insiste aussi sur la nécessité de développer les soins palliatifs - actuellement « fragiles et peu valorisés » -, et plaide, dans cet esprit, pour la diffusion dans tous les établissements d'un « guide des bonnes pratiques de la démarche palliative », l'implantation dans chaque centre hospitalier universitaire d'une unité de soins palliatifs ou encore une présence renforcée de psychologues dans tous les services sensibles.
Mieux faire connaître les soins palliatifs du grand public constitue également un enjeu important, selon le rapport. Cela pourrait passer par la création d'un numéro vert pour « écouter, informer, orienter » les personnes en fin de vie et les personnes les accompagnant.
Pour favoriser le maintien à domicile des personnes qui souhaitent mourir chez elles, Marie de Hennezel demande que soit étudiée « la possibilité d'un financement d'un forfait de trois à cinq séances avec un psychologue, pour un accompagnement de fin de vie, sur le modèle de ce qui est proposé dans le plan cancer ». Elle attire également l'attention sur la « nécessité de former les auxiliaires de vie qui sont confrontées à des situations de fin de vie auxquelles elles ne sont pas préparées ». Et estime encore nécessaire de réfléchir à un moyen de rémunérer - « peut-être sous forme de forfait ? » - le congé d'accompagnement prévu par la loi du 19 juin 1999 pour une personne désirant accompagner un proche à domicile (3). Elle préconise enfin d'expérimenter la mise en place de formations techniques et psychologiques pour les familles.
Dernier point abordé : la « confusion » qui persiste entre les différentes pratiques de fin de vie. L'auteur insiste ainsi sur la nécessité de distinguer l'euthanasie proprement dite, qui est l'acte de provoquer délibérément la mort, des limitations et arrêts de traitements devenus inutiles ou refusés par le patient - « qui relèvent d'une bonne pratique médicale » - ou encore « de certaines pratiques de soulagement des douleurs réfractaires ou des angoisses insupportables, qui peuvent entraîner une mort non recherchée ». C'est parce qu'on continue de parler d'euthanasie pour les réanimateurs et « urgentistes » qui décident de limiter ou d'arrêter des thérapeutiques actives que la plupart d'entre eux entretiennent une certaine opacité autour de leur pratique, par crainte de poursuites judiciaires, explique la psychologue. Pour les encourager à plus de transparence, elle propose au Conseil national de l'ordre des médecins de modifier le code de déontologie médicale « afin que la mise en jeu du risque vital ne soit pas un obstacle à la mise en œuvre de tous les moyens disponibles pour soulager les personnes en fin de vie ». Et suggère, au surplus, d' « étudier, en liaison avec le ministre de la Justice, la possibilité de relayer cette modification auprès des juridictions par le biais d'instructions de politique pénale, faisant connaître les recommandations de bonnes pratiques [...] et les difficultés posées par certaines situations de fin de vie ».
Satisfaite que le ministère de la Santé organise une « conférence de consensus sur l'accompagnement de la personne en fin de vie et de ses proches » en janvier 2004, Marie de Hennezel espère que cette manifestation sera l'occasion de dégager un « socle commun de valeurs sur lesquelles les soignants pourront s'appuyer dans leur pratique ».
O.S.
(1) Rapport disponible sur le site :
(2) Voir ASH n° 2329 du 17-10-03.
(3) La loi Fillon sur les retraites a remplacé ce congé par un congé de solidarité familiale - Voir ASH n° 2323 du 5-09-03.