La mise en examen du directeur d'une maison de retraite de Reims pour « homicide involontaire », après le décès, en septembre, d'un pensionnaire victime de la canicule, a fait monter d'un cran l'impatience des professionnels intervenant auprès des personnes âgées, qui attendent toujours la présentation du plan « Vieillissement et solidarités » (1). Pour Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes agées (Adehpa), deux solutions : « Soit des soupçons lourds portent sur des actes volontaires répétés et répréhensibles et il faut l'annoncer clairement et l'association se désolidarisera du directeur », soit, comme il déclare en être convaincu , « les maltraitances évoquées sont liées au manque de moyens que les professionnels, y compris le directeur mis en examen, dénoncent depuis toujours ». Dans cette seconde hypothèse, l'association invite « les familles à engager des actions contre l'Etat et les conseils généraux devant les tribunaux administratifs ». Et pour mettre l'Etat devant ses responsabilités, elle ne demande plus l'étalement des sept milliards d'euros qu'elle réclame sur cinq ans, mais leur « déblocage immédiat ». Sans s'embarrasser des détails juridiques de l'affaire, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées appelle les familles « à se retourner contre l'Etat pour défaut de soins et non contre les directeurs d'établissement qui se battent depuis des mois et des mois pour obtenir » les moyens d'embaucher du personnel supplémentaire.
Face à ce coup de semonce, le gouvernement ne pouvait que s'expliquer sur le retard pris dans la finalisation du plan « Vieillissement et solidarités », annoncé initialement pour le 1er octobre et reporté à début novembre. Une nouvelle échéance qui se justifie, selon le ministre des Affaires sociales, François Fillon, parce que le plan en gestation « est très ambitieux et que nous voulons le financer en demandant aux Français de travailler un peu plus à travers une journée de solidarité dont la mise en place présente des difficultés techniques ». Deux jours auparavant, Hubert Falco, son secrétaire d'Etat aux personnes âgées, s'était montré moins rassurant : « Le tout est d'avoir des moyens », avait-il souligné, en précisant que la question de la suppression d'un jour férié n'était toujours pas tranchée.
Après des promesses en grande pompe, cette valse hésitation aggrave les soupçons que portent les professionnels sur la volonté du gouvernement de répondre à leurs attentes. Même si le casse-tête des arbitrages financiers est réel, l'Etat « ne peut tergiverser plus longtemps », déclare l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux. « Doit-on attendre une dramatique épidémie de grippe et une nouvelle surchauffe du secteur pour qu'enfin des financements soient alloués aux établissements et services pour personnes âgées ? », trépigne également la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées. « Peut-être est-ce là l'articulation majeure du plan “Vieillissement et solidarités” : convaincre les personnes âgées, ces citoyens gris à demi- solde, qu'elles coûtent cher, trop cher... », s'offusque de son côté Joël Defontaine, directeur d'une maison de retraite de Seine-et-Marne et coordinateur du Club citoyenneté gérontologique (2).
Les acteurs du secteur rappellent pour la énième fois que leur mobilisation ne s'épuisera pas et que leurs services ne peuvent plus attendre. Ce ne sont pas les « malheureux 27 millions » annoncés en septembre qui compenseront les 103 millions gelés sur les 183 prévus pour la modernisation des établissements, rappelle l'Adehpa, ajoutant que la discussion sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) va porter sur 300 millions d'euros, prévus avant la canicule. « Ils ne permettront d'augmenter que faiblement le nombre de personnels travaillant auprès des personnes âgées, analyse Pascal Champvert : l'essentiel servira aux revalorisations des prix et des salaires. »
Le Comité national des retraités et personnes âgées, lui, rappelle l'envergure des actions à mettre en œuvre pour jeter « les bases d'une véritable politique du vieillissement ». Il résume ainsi ses principales exigences : renforcer le rôle consultatif des comités régionaux et départementaux des retraités et personnes âgées dans la mise en œuvre locale des procédures d'alerte, mettre en place une politique de prévention, d'éducation et de promotion de la santé, développer le maintien à domicile et la filière gériatrique en même temps que la modernisation des établissements, multiplier les centres locaux d'information et de coordination, accroître les formations initiales et continues dans le domaine de la gériatrie et créer un 5e risque au sein de la sécurité sociale. Pour le comité, la seule façon, en outre, de « lutter contre l'oubli », serait d'éviter la dispersion des moyens et des connaissances dans le domaine, en créant un Institut du vieillissement et une conférence nationale annuelle des plus âgés. Un chantier ultérieur, peut-être, une fois que les demandes prioritaires auront été satisfaites...
M. LB.
(1) Voir ASH n° 2327 du 3-10-03.
(2) Club citoyenneté gérontologique : 41, avenue de Fontainebleau - 77760 La Chapelle-la-Reine - Tél. 01 64 24 32 36.