« Pour la première fois (de mémoire de pédopsychiatre) dans l'histoire de l'APEA, à Montpellier, un enfant a été étranglé dans son bain par sa mère alors qu'il bénéficiait d'une mesure d'assistance éducative [...].
« Alors on pense folie, folie de cet acte, folie de cette mère, pourtant les experts semblent fermer cette issue explicative. Elle serait responsable de ses actes... Curieux jargon que celui des tribunaux ! Moi qui ne suis pas expert, je me demande si de multiples placements sanitaires n'ont pas développé chez elle un sentiment d'abandon avec blocage affectif. Le peu de cas que notre société faisait à l'époque des conséquences psycho-affectives des séparations parents-enfants est-il à l'origine de ce drame ?
« A l'inverse, par “retour du balancier”, on privilégie actuellement le maintien des enfants dans leur famille : pour des raisons techniques, les professionnels ayant tiré les leçons des séquelles psychiques abandonniques des séparations prolongées ; pour des raisons moins avouables, aussi, de course à l'économie des dépenses sociales... Après un placement en famille d'accueil, cet enfant a-t-il été rendu à ses parents de façon trop risquée ? Les juges de la cour d'appel ont-ils trop voulu croire cet enfant qui demandait à aller vivre auprès de ses parents ?
« Quoi qu'il en soit, durant le procès d'assises, les coupables ont été trouvés par l'avocat de la partie civile : les services sociaux. Plus précisément le travailleur social assurant la mesure d'assistance éducative depuis trois mois. “Qu'avez-vous fait lorsque, deux mois avant de passer véritablement à l'acte, la police a reçu un appel téléphonique de la mère annonçant, faussement, qu'elle avait noyé son fils ?”, lui a demandé l'avocat. Le travailleur social a précisé que le procureur avait été prévenu, il a expliqué son travail, la réflexion en équipe, la décision de renforcer l'attention sur ce que l'enfant pouvait montrer de son malaise... L'avocat a alors redemandé : “Qu'avez-vous fait ?” Alors que le travailleur social reprenait ses explications, il l'a interrompu : “Donc, vous n'avez rien fait !”
« Fin de la journée du procès d'assises. Silence...
« Le travailleur social ne continuera pas sa carrière. Ce qu'il dit ce soir-là, c'est son sentiment d'être “détruit” [...]. Pendant ce temps, les médias diffusent à l'envie les propos de cet avocat sur le laxisme des services sociaux, leur indifférence à la souffrance de l'enfant, leurs habitudes routinières... Tellement loin de l'inquiétude extrême du travailleur social au sujet de cet enfant-là comme des autres enfants suivis. Tellement loin du souci de toute l'équipe pour cet enfant vivant dans une certaine insécurité mais réclamant toujours ses parents [...].
« Ecrasés, ces professionnels trop naïfs au point d'envisager que la société puisse reconnaître la difficulté de ce travail, au point de penser que les juges - ceux qui ont pris la décision de rendre cet enfant à ses parents malgré les inquiétudes exprimées par les services sociaux, ceux qui connaissaient les éléments de ce procès d'assises - les soutiendraient dans cette épreuve.
« Comment, après cet écrasement, ces travailleurs sociaux compétents, humains, attentifs aux enfants, dévoués à leur travail au-delà du raisonnable, peuvent-ils réagir ?
« De ma place de pédopsychiatre, je m'interroge parfois sur le masochisme de ces professionnels qui restent si silencieux sous les insultes, mais je dis et je redis (2) que ces travailleurs sociaux décrits par les médias ne sont pas ceux que je côtoie quotidiennement. Et que se permettre de dire sans rien connaître d'eux qu'ils sont “laxistes et indifférents”, non seulement c'est diffamatoire[…] mais c'est une injustice. »
(1) L'APEA intervient notamment sur des mesures d'assistance éducative en milieu ouvert, d'investigation et d'orientation éducative, de tutelle aux prestations sociales : 909, avenue de Toulouse - 34070 Montpellier - Tél. 04 67 42 66 44.
(2) Voir ASH n° 2294 du 17-01-03.