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L'épargne solidaire au service de l'insertion

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Même s'ils restent marginaux, ces clubs d'investissements solidaires que sont les Cigales s'avèrent des outils d'insertion intéressants. Ils permettent à des personnes fragiles de créer leur entreprise. Et favorisent le développement d'activités socialement utiles.

Dans la fourmilière de l'épargne solidaire, les Cigales (clubs d'investisseurs pour une gestion alternative et locale de l'épargne solidaire) sont des pionnières, comme l'a rappelé le colloque organisé à l'occasion de leur vingtième anniversaire (1). A mi-chemin entre l'économique, le social et le politique, elles sont nées en 1983 de la volonté de quelques- uns de vivre l'économie autrement. Il s'agissait alors d'utiliser des outils financiers classiques, les clubs d'investisseurs, pour les mettre au service de tous en favorisant, localement, la création d'entreprises répondant à un cahier des charges précis alliant fonctionnement démocratique, utilité sociale et protection de l'environnement.

A l'époque, la voie de la solidarité économique, même si elle est inscrite en filigrane dans la philosophie des Cigales, ne faisait pas l'unanimité. Redoutant de tomber dans le caritatif, certains y voyaient même un renoncement au caractère alternatif et utopiste de leur projet. « C'est le terrain qui a tranché, analyse Jacques Dughera, président de la Fédération des Cigales de 1994 à 2001 (2). Face à la montée de l'exclusion dans la décennie 90, les Cigales ont répondu présentes en aidant à la création d'entreprises d'insertion et de nouveaux services de proximité. » Preuve de cette évolution, le « s » des Cigales (pour « solidaire » ) fait son apparition en l'an 2000, dans la dynamique de la création du secrétariat d'Etat à l'économie solidaire du gouvernement Jospin.

Si, dans les faits, les Cigales financent peu d'entreprises d'insertion, il existe quelques belles réussites en la matière. A l'image d'ALPE, une imprimerie créée sous statut associatif en 1983, avant même la législation sur les entreprises d'insertion. En 1991, l'association, qui venait de se transformer en SARL, souhaitait investir dans un équipement offset afin d'étendre son champ d'activités au-delà des travaux de façonnage et de routage. Ce qui permettait de professionnaliser la quinzaine de postes d'insertion tout en consolidant l'entreprise. « Nous avions alors un capital de 200 000 F mais pratiquement plus de fonds propres, raconte Françoise Bernon, la directrice. Les banques ne suivant pas, nous devions trouver de nouveaux partenaires. Les Cigales ont tout de suite répondu présentes. » L'écho fut tel que trois Cigales intervinrent à hauteur de 50 000 F dans l'accroissement de capital nécessaire aux investissements, déclenchant le soutien d'autres partenaires, bancaires ou issus de l'épargne solidaire - comme la Société d'investissement de France Active  (SIFA)  -, faisant grimper le capital de la SARL à 700 000 F. « Ce n'est pas énorme, mais ça nous a permis d'avancer, explique Françoise Bernon. Car, en tant qu'entreprise d'insertion, nous n'avons pas vocation à dégager du profit et nos capacités d'investissement sont faibles. Si personne ne croit en nous au départ, nous sommes incapables de nous développer. » Qui d'autres que les Cigales auraient osé prendre le risque d'investir dans cette entreprise d'insertion, par vocation fragile et peu rentable ?Car c'est bien là la grande différence entre les Cigales et les clubs d'investisseurs classiques : alors que les seconds ont pour objectif principal la recherche du profit individuel, les premières s'inscrivent dans une démarche plus globale qui vise à accroître la richesse de la société tout entière. En investissant de modestes sommes (de 8  € à 457  € par mois), les « cigaliers » développent une pratique différente de l'utilisation du capital, qui devient un instrument d'accompagnement et d'appui aux entreprises les plus précaires.

UNE CENTAINE D'EMPLOIS CRÉÉS OU MAINTENUS

Un club Cigale est une structure de capital-risque solidaire mobilisant l'épargne de ses membres au service de la création et du développement de petites entreprises locales et collectives (SARL, SCOP, SCIC, SA, associations...). Il est constitué de 5 à 20 personnes qui mettent une partie de leur épargne en commun et décident ensemble où l'affecter en fonction de l'utilité sociale des projets qui leur sont proposés. Le club a une durée de vie de cinq ans, prorogeable une fois. A son terme, il procède à la liquidation de son portefeuille, au prorata des apports des cigaliers. Si l'entreprise n'est pas assez solide pour fonctionner seule, deux solutions : soit une autre Cigale rachète ses parts, soit le relais est passé à un autre organisme de l'épargne solidaire, comme la société coopérative de capital-risque solidaire Garrigue (3) , plus solide. En 2002, les Cigales représentaient un réseau d'une centaine de clubs, soit près de 1 500 cigaliers, plus de 130 000  € investis et une centaine d'emplois créés ou maintenus grâce à leur intervention.

Au-delà des entreprises d'insertion, nombre de structures- SARL, SA mais aussi associations, sociétés coopératives ouvrière de production (SCOP) et, depuis peu, sociétés coopératives d'intérêt collectif  (SCIC)  - situées dans le secteur de l'économie sociale et solidaire n'existeraient pas sans les Cigales. Ardelaine en est un exemple type. Quand, en 1975, un groupe d'amis veut redonner vie à la dernière filature d'Ardèche (4), personne ne croit en leur projet. Plusieurs années s'écoulent avant la naissance en 1982 d'une coopérative de développement local. Très vite, il faut investir dans un camion, acheter des équipements lourds. Le capital initial (3 200 F) se révèle insuffisant. D'autant que le statut de SCOP, qui ne permet de dégager que 10 % de dividende, limite les capacités d'investissement. « Nous n'avons pas osé aller voir des banques, raconte Béatrice Barras, une des fondatrices. Mais nous nous sommes tournés vers des réseaux capables de prendre des risques. » En 1983, la rencontre entre la SCOP ardéchoise et la première Cigale, celle du Château-d'Eau à Paris, vite rejointe par une Cigale tourangelle, est le début d'une aventure qui se poursuit encore aujourd'hui.

En faisant une entorse à la philosophie des Cigales, qui favorise la proximité entre les épargnants et la structure dans laquelle ils investissent afin de garantir transparence financière, utilisation locale de l'épargne et démocratie économique, l'exemple d'Ardelaine est néanmoins révélateur d'une des difficultés du mouvement : il est loin de couvrir l'ensemble du territoire français, malgré la création au fil des années d'une Fédération des Cigales et de six associations territoriales (Ile-de-France, Ille-et-Vilaine, Lorraine-Franche-Comté, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bourgogne). « Depuis 1996, il y a une sorte de palier, à 100-110 Cigales, que le mouvement ne dépasse pas alors que, paradoxalement, les idées portées par les Cigales progressent dans la société », confirme Jacques Dughera.

Faut-il en conclure que tout ce qui fait l'intérêt des Cigales - localité, solidarité, prise de risque financier notamment - les condamne à rester confidentielles et marginales ? A l'heure du chacun pour soi et de la course au profit, les Cigales rassemblent une quinzaine de personnes autour d'un projet collectif de solidarité, se réjouit pourtant Alain Le Garrec. Selon le conseiller municipal de Paris, par ailleurs président de la commission « Développement économique » de la ville, elles ont, de ce fait, « la capacité d'inventer et de faire évoluer les mentalités ». Malgré leur impact limité sur le fonctionnement économique général, les Cigales font en effet figure de modèles pour nombre d'outils de l'épargne solidaire créés après elles. Non seulement elles s'inscrivent dans le local mais elles financent des projets à taille humaine, personnalisés : « On rencontre les porteurs [de projet] , on partage avec eux leurs problèmes et leur progression », explique Louis de la Roncière, président de la Fédération entre 1988 et 1992. Loin « des grandes phrases et des théories », il préfère se situer du côté « des attentes bien identifiées » et de la « possibilité de suivre l'évolution des projets ».

Les Cigales partent des besoins des porteurs de projet. Sans oublier qu'ils ne sont pas que financiers. En s'adressant en priorité à ceux qui ont du mal à s'insérer dans les circuits économiques classiques, les Cigales ne touchent pas que des structures économiques fragiles, type entreprises d'insertion. Elles rencontrent aussi des personnes en difficulté sociale ou professionnelle. Selon Jean Thierry, « cigalier » et permanent de l'association territoriale Nord-Pas- de-Calais, « sur la centaine de porteurs de projet que nous recevons chaque année, 60 % sont des demandeurs d'emploi ». Or, pour nombre d'entre eux, créer une entreprise est aussi un moyen de s'en sortir. « Les Cigales ne fournissent en général que quelques milliers d'euros, ce qui suffit rarement et pousse à trouver d'autres partenaires, explique un jeune porteur de projet. Mais leurs conseils les rendent indispensables parce qu'ils permettent de prendre du recul et de savoir si notre projet tient la route ou pas. »

De fait, contrairement à d'autres organismes œuvrant dans le champ de l'épargne solidaire, les Cigales ne se contentent pas de prêter de l'argent. Elles sont des lieux d'échange et de formation à la vie économique et financière. Elles mettent l'accent sur l'accompagnement des porteurs de projet sur le long terme - les « cigaliers » s'y investissent bénévolement, en complémentarité avec d'autres types de structures, comme le réseau des Boutiques de gestion. « Malgré des hauts et des bas, les Cigales nous ont toujours suivis, reconnaît Françoise Bernon de l'imprimerie ALPE. Et elles continuent encore aujourd'hui. Par exemple en nous faisant connaître. »

Reste que la durée de vie limitée des Cigales (cinq ans, prorogeable une fois) a pour conséquence mécanique le nécessaire et incessant renouvellement des projets aidés. A ce titre, les nouvelles sociétés coopératives d'intérêt collectif (5) - plus que les entreprises d'insertion dont le besoin en capital dépasse souvent la participation moyenne des Cigales, soit 3 000  € - pourraient devenir une de leurs structures d'investissement privilégiées. Afin de faciliter la mise en relation des porteurs de projet et des organismes financeurs de l'épargne solidaire, la Fédération des Cigales a mis en ligne une bourse aux financements solidaires (www.bourse-solidaire.org) en partenariat avec d'autres grands organismes de l'épargne solidaire- comme Finansol, la Nouvelle économie fraternelle et l'Institut de développement de l'économie sociale.

Il est vrai que pour continuer à faire valoir leurs spécificités sur le terrain de l'insertion (et ailleurs !), la Fédération des Cigales a tout intérêt à favoriser la structuration du secteur de l'épargne solidaire en vue de peser de tout son poids face aux enjeux qui se profilent à l'horizon. Parmi lesquels celui de l'épargne salariale. De fait, la loi du 19 février 2001, dite « loi Fabius », a créé un agrément interministériel de l' « entreprise solidaire » qui permet à certaines structures de l'épargne solidaire d'entrer dans le champ restreint des sociétés éligibles aux fonds issus des nouveaux plans partenariaux d'épargne salariale volontaire (PPESV). « Pour nous, c'est une véritable opportunité », commente Philippe Hermitte, de la société coopérative de capital-risque solidaire Garrigue, dont les liens avec les Cigales sont très étroits. Une opportunité qui n'est pas sans poser la question de la visibilité du secteur de l'épargne solidaire. Comme le déplorait Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, lors du colloque de Paris, « tout le monde sait où spéculer mais qui connaît un lieu où chercher de l'argent pour développer un projet ? »

Caroline Dinet

Notes

(1)  Les 20 et 21 septembre 2003 à Paris - Fédération des Cigales : 61, rue Victor-Hugo - 93500 Pantin - Tél. 01 49 91 90 91.

(2)  Les Cahiers de l'Epargne solidaire, n° 4 - Septembre 2003 - Disponible à la Fédération des Cigales.

(3)  Garrigue : 61, rue Victor-Hugo - 93500 Pantin - Tél. 01 48 44 74 03 - E-mail : contact@garrigue.net - www.garrigue.net.

(4)  Voir Moutons rebelles, Ardelaine, la fibre du développement local - Editions Repas : 4, allée Séverine - 26000 Valence.

(5)  Leur statut est régi par la loi du 17 juillet 2001 qui a permis aux associations de se transformer en SCIC. Voir ASH n° 2270 du 5-07-02.

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