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L'assistance éducative au risque de la décentralisation

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Le projet de loi relatif aux responsabilités locales ouvre la possibilité aux départements volontaires de devenir, dans le cadre d'une expérimentation, seuls compétents pour la mise en œuvre des mesures d'assistance éducative ordonnées par le juge (1). Et pourrait bien, redoute Denis Vernadat, président du Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (Cnaemo), dénaturer l'AEMO judiciaire.

« L'été 2003 aura bien été celui de tous les dangers. Sans mot dire, la décentralisation, et sa cohorte d'effets possibles et attendus, commence à produire en divers départements une remise en cause de l'assistance éducative telle que nous la pratiquons à cette heure.

Pour une durée de quatre ans, et par dérogation aux articles 375 et suivants du code civil, les services de l'aide sociale à l'enfance assurent la mise en œuvre de mesures prononcées par les juges des enfants dans les départements retenus pour cette expérimentation. Une convention passée entre l'Etat et le département définit les modalités de cette extension des compétences et précise les moyens en crédits ou en personnels qui l'accompagnent. Fin du premier acte... et début de la déconvenue.

Redisons-le : il ne s'agit pas pour le Cnaemo de refuser les moyens qui pourraient permettre de rapprocher les citoyens des instances de décision. Mais l'analyse des effets de la première décentralisation nous conduit naturellement à de la prudence et l'engagement de cette deuxième étape nous oblige à exercer une veille active.

Avançons plusieurs hypothèses. Soit il est encore temps que s'instaure, enfin, un réel débat sur la protection de l'enfance avec la participation des acteurs concernés, véritables partenaires ayant à intervenir dans le cadre du projet de loi définissant le droit à l'expérimentation. Soit ce temps n'est plus et nous ne pouvons que déplorer les renoncements occasionnés par l'extension des compétences des conseils généraux en matière de mise en œuvre des mesures d'assistance éducative ordonnées par l'autorité judiciaire.

Exit, en effet, la spécificité du travail en assistance éducative, puisque le juge sera désormais placé en position d'arbitre entre la famille et le service éducatif. Effacée, la fonction symbolique du magistrat, à la fois prolongement de l'Etat et figure d'autorité. Dépassée, la conception que l'adhésion de la famille doit être recherchée. Ringarde, cette idée d'une justice résolutive qui avait encore pu se tenir en deçà de toutes les logiques gestionnaires qui envahissent graduellement le champ de la protection de l'enfance...

Exit, et pour longtemps, la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ)... Plus besoin d'habilitation. Les services ex-“habilités” seront désormais “conventionnables” et contraints à une négociation bipartite qui n'est pas sans risque, à l'heure où les logiques économiques sont si prégnantes...

Exit aussi, pour les magistrats, la possibilité de nommer les services avec lesquels ils entendent travailler...

Séparer enfance maltraitée et enfance en danger est une erreur

Très récemment, le ministre délégué à la famille a annoncé la création d'un Observatoire national de l'enfance en danger, un dispositif qui, d'après ce que l'on peut en connaître, s'articule en totalité autour de l'enfance maltraitée.

S'agissant d'assistance éducative, et plus précisément d'AEMO, nous savons la place prépondérante occupée par ce qu'il est convenu d'appeler “les carences éducatives” qui fondent le risque puis le danger lui-même encouru par l'enfant. Aujourd'hui, vouloir séparer enfance maltraitée et enfance en danger, c'est venir opérer une distinction contre-productive.

Au bout de l'analyse, seule la maltraitance physique et sexuelle justifiera l'intervention du juge dans le cadre des articles 375 et suivants du code civil. Qu'en sera-t-il de cette notion de danger qui est souvent déterminée par les magistrats à partir de carences éducatives graves, mais relativement silencieuses. Difficilement vérifiables, mesurables, elles nécessitent une écoute attentive, une observation professionnelle, des actions et des dires partagés qui scandent la progression de la mesure éducative. C'est le temps de l'assistance éducative, de la mesure d'AEMO. C'est cette démarche éducative-là que le droit à l'expérimentation vient ici contraindre, puis sans doute réduire.

Le Cnaemo a toujours soutenu avec force l'idée que toute l'action éducative n'avait pas vocation à être judiciarisée. Il a même récemment élaboré et soutenu une proposition originale pouvant permettre aux parents d'être encore mieux acteurs de l'aide éducative, par le biais de l'instauration d'une mesure d'“aide éducative demandée” (2). Mais nous pressentons, au travers des messages officiels qui nous sont envoyés, qu'une ligne de partage est en passe de s'établir entre cette enfance maltraitée qui pourrait relever à bon droit de l'intervention du magistrat, et l'enfance en danger, qui viendrait rejoindre, plus résolument que ne le prévoient les textes actuels, la cohorte d'un ensemble de dispositifs sous l'unique compétence des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance qui en seront les grands ordonnateurs.

Jusqu'à présent, ce dispositif fait partie des dépenses obligatoires des départements. En sera-t-il toujours ainsi ? Entre égalitarisme et équité, quelle égalité de traitement sur le territoire national ? La question vaut d'être posée.

Nous pouvons craindre qu'en filigrane, l'assistance éducative ordonnée par l'autorité judiciaire soit réduite à la portion congrue. Les départements avaient déjà une compétence étendue pour se saisir de l'ensemble de la chaîne des actions préventives. Avaient-ils besoin d'une maîtrise accrue de ces actions, au prix d'une atteinte à l'autorité judiciaire ?

Quelle part d'instrumentalisation pour nos services cette réforme occasionnera-t-elle ? Quels nouveaux liens tutélaires verront le jour entre les associations gestionnaires dorénavant conventionnées et les départements ordonnateurs ? Comment notre secteur professionnel du champ de la protection de l'enfance appréhende-t-il cette réforme ? Et les magistrats, où en sont-ils eux-mêmes ? Quant à la PJJ, quelles vont être ses missions ?

Pour conclure provisoirement : n'est-il pas inquiétant de découvrir, à la faveur d'une étude (3), que 56,7 % des mineurs les plus enracinés dans la délinquance n'avaient jamais bénéficié d'une mesure d'assistance éducative avant leur premier passage au pénal. Au-delà des idées reçues, à nous de faire passer les messages... »

Denis Vernadat Pr ésident du Cnaemo 172, rue Laurendeau - 80000 Amiens Tél.03 22 89 62 39.

Notes

(1)  Voir ce numéro.

(2)  Voir ASH n° 2220 du 22-06-01.

(3)  Menée par les tribunaux de Caen et de Pau. Voir ASH n° 2326 du 26-09-03.

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