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Des « territoires de santé » pour la psychiatrie

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Pour différencier les modes de prise en charge et organiser la permanence des soins, le rapport Cléry-Melin propose, parmi de nombreuses mesures, d'organiser la psychiatrie et les soins de première ligne dans des territoires de santé regroupant plusieurs secteurs.

« Exhortée à répondre des maux d'aujourd'hui et de demain, à l'écoute d'une société qui [...] exprime chaque jour davantage sa souffrance », la psychiatrie « est exposée, “menacée”, mise en cause dans ses objectifs, ses moyens, mais aussi dans ses méthodes, ses résultats. » Hormis quelques phrases de ce genre glissées dans l'introduction et la conclusion, c'est un rapport au ton étonnamment dépassionné (1) qui a été remis à Jean-François Mattei. Le ministre de la Santé avait demandé, en février dernier, à trois psychiatres, les docteurs Philippe Cléry- Melin, directeur d'établissements privés, Jean-Charles Pascal, praticien hospitalier, et le professeur Viviane Kovess-Masfety, épidémiologiste, de lui proposer « un plan d'actions ciblé sur la réorganisation de l'offre de soins en psychiatrie et en santé mentale ». Rendu public le 2 octobre, le texte est structuré autour de 134 propositions (2) et ne laisse souvent deviner qu'en creux le constat critique dont il se nourrit. « Beaucoup de mesures feront consensus parce que la profession les attend depuis 20 ans, estime Jean-Charles Pascal. D'autres sont plus nouvelles et susciteront le débat. »

En rappelant que la prévalence estimée des troubles mentaux concerne, sur un an, 15 % de la population, qu'un tiers des personnes qui consultent en médecine générale présentent un trouble psychiatrique et que 60 % des patients souffrant d'un problème psychique sont vus par un généraliste, le rapport insiste logiquement sur l'importance des « soins de première ligne ». Or ces professionnels « sont peu formés aux pathologies mentales et ne détectent pas toujours les signes permettant de soupçonner un autisme chez l'enfant ou une schizo-phrénie chez l'adolescent », constate Viviane Kovess. D'où la proposition d'instituer un psychiatre coordinateur sur chaque « territoire de santé » (dont la population serait de 200 000 à 400 000 habitants), à qui non seulement les généralistes, mais aussi les pédiatres, les gérontologues, les psychologues, les assistants sociaux et tous les intervenants sociaux pourraient s'adresser pour obtenir conseil et proposition d'orientation. « Notre souci est de faire en sorte que la personne en première ligne ne soit pas seule et qu'une réponse adaptée puisse être apportée plus rapidement », précise Viviane Kovess.

Sachant que « la souffrance fait partie de la vie » et que toutes les douleurs psychiques ne relèvent pas du soin (mais souvent de processus normaux de deuil et de maturation), la gamme de l'offre devrait aller de la prise en charge en établissement spécialisé pour les troubles graves à la proposition d'un simple « conseil psychologique » pour les difficultés réactionnelles passagères. Ce dernier type de soutien pourrait être pratiqué par des généralistes, des psychologues, des assistants sociaux et des infirmiers justifiant d'une formation spécifique, précise la mission. Dans la série des services proposés, le rapport s'attarde sur l'accès aux psychothérapies, qu'il propose de réglementer et d'ouvrir à une prise en charge par les systèmes de protection sociale dès lors qu'elles répondraient à une prescription de soin et non à une simple demande « de confort ».

Pour ce qui est de l'offre de soins spécialisés, la mission confirme à la fois l'intérêt de la politique de secteur et le rôle des établissements comme instruments nécessaires (mais pas uniques) du bilan et du soin (3). Le texte fixe comme premier objectif la réduction des inégalités territoriales, la France juxtaposant « des pôles suréquipés et des déserts ». Pour garantir l'égalité de traitement des citoyens, il s'agit d'abord de mieux répartir les professionnels : ne compte-t-on pas aujourd'hui 11 psychiatres en exercice pour 100 000 habitants dans le Nord- Pas-de-Calais, contre 88 à Paris ? Le doublement du numerus clausus d'ici à 2010, unanimement réclamé par les professionnels pour faire face aux départs en retraite massifs qui vont intervenir d'ici à 2020, devrait donc être assorti de mesures tout aussi contraignantes incitant à l'installation dans les zones défavorisées.

De même pour les établissements : le taux d'équipement varie de un à sept selon les départements. « On a sans doute fermé trop de lits en région parisienne, convient Viviane Kovess. Mais au total, sauf en pédo-psychiatrie, il ne faut plus en créer. Ce qui suppose qu'on en ferme là où il y en a trop pour en ouvrir dans les régions déficitaires. » Un effort doit aussi être poursuivi pour développer les alternatives à l'hospitalisation dans les régions encore mal dotées dans ce type de structures. Faute d'une « offre de soins diversifiée, graduée et coordonnée » en aval et en amont, le quart des patients hospitalisés le sont depuis plus de cinq ans, rappelle la mission pour qui « le processus de désinstitutionnalisation est loin d'être terminé en France ». Elle préconise donc de résorber le phénomène sur cinq ans par tranches de 20 %. Il reste aussi à moderniser sérieusement les conditions d'accueil et d'hébergement, pour généraliser la chambre et le cabinet de toilette individuels mais aussi pour ne pas mélanger indistinctement les patients. « Une personne gravement dépressive apprécie peu de côtoyer d'autres types de malades aux comportements régressifs », constate Jean-Charles Pascal. Au moins la moitié des établissements ont besoin d'aménagements importants et devraient émarger au plan hôpital 2007, indique la mission qui souhaite voir la santé mentale faire l'objet d'une « priorité nationale », traduite dans des contrats d'objectifs et de moyens distincts, obligatoires et transparents.

Autre proposition forte : fédérer l'offre de soins sur le « territoire de santé » déjà évoqué, qui regrouperait au moins trois secteurs de psychiatrie générale et un intersecteur de psychiatrie infanto- juvénile, en liaison avec le dispositif libéral. Une commission territoriale de psychiatrie et de santé mentale serait chargée de l'animer et de proposer un projet cohérent couvrant la prévention, les soins et la réinsertion. Dans chacun de ces territoires de santé, un centre médico-psychologique coordonnateur devrait se voir confier un rôle de centre de ressources articulant le dispositif de soins et veillant à leur permanence, y compris pour les urgences.

Trop de patients font aussi des allers et retours entre l'hôpital et le secteur médico-social, regrette la mission qui sollicite tout au long du rapport une meilleure coordination. Celle-ci passe notamment par l'articulation des schémas départementaux d'organisation sociale et médico-sociale et des schémas régionaux d'organisation sanitaire, par la création de maisons d'accueil spécialisées de petite taille et par le développement du travail en réseau « dans un cadre partenarial équilibré ». Le rapport préconise ainsi l'intégration des psychiatres travaillant dans le médico-social dans les commissions qui orientent les patients, et l'obligation pour les établissements médico-sociaux de passer une convention avec un établissement de santé pour organiser leur couverture médicale.

« Il faut aussi que la société civile puisse s'exprimer, que la présence des associations d'usagers et de familles soit assurée au plan départemental et soutenue financièrement par les pouvoirs publics », insiste Jean-Charles Pascal. Il plaide également pour que le handicap psychique soit clairement reconnu par la loi (4). « Fréquent et invalidant », celui-ci devrait faire l'objet d'une évaluation appropriée et d'un accompagnement « gradué et décloisonné », articulant accueil, logement, travail adapté et soins, bref, prise en charge psychiatrique et insertion en milieu ordinaire, développement des soins de réadaptation et garantie d'un minimum de ressources. Parmi les mesures plus précises évoquées, citons la demande d'un forfait journalier à tarif réduit pour les personnes séjournant un ou plusieurs mois en établissement psychiatrique ou l'ajustement des modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés ou de la garantie de ressources en centre d'aide par le travail pour éviter les ruptures en cas d'hospitalisation.

Développer la prévention au début de la vie

Deux chapitres du rapport sont consacrés aux mesures spécifiques à prendre pour améliorer la prise en charge des troubles psychiques chez les enfants et les personnes âgées. Pour favoriser la prévention et le dépistage au début de la vie, la mission préconise la mise en place d'unités d'accompagnement psychologique lors de la grossesse et de l'accouchement, le renforcement des moyens de la protection maternelle et infantile, le développement de l'intervention pluriprofessionnelle dans les crèches, l'amélioration de la formation des assistantes maternelles, la création de « lieux de répit » non sanitaires et non stigmatisants pour les adolescents. Elle souhaite aussi la participation des intersecteurs psychiatriques à l'évaluation et à la prise en charge des enfants « vivant dans un environnement à haut risque », trop souvent « traités de manière exclusivement éducative, sociale ou judiciaire ». En matière de soins, elle prône le développement de pôles de consultation pour les très jeunes enfants et insiste sur l'extension à tout le territoire d'un dispositif ambulatoire et d'hospitalisation de jour suffisant.

La population des personnes âgées souffre également d'un manque de soins spécifiques, non seulement pour la maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés, mais aussi pour les états dépressifs « souvent non ou tardivement diagnostiqués », estime la mission. Les trajectoires de soins doivent être mieux définies, ce qui suppose en particulier un diagnostic et un traitement précoces différenciant les déficits cognitifs de la pathologie psychiatrique, une spécialisation de l'offre des établissements d'hébergement et une accentuation de leur rôle soignant.

Le rapport formule encore des propositions pour « réformer l'espace médico-judiciaire » et actualiser notamment la loi du 27 juin 1990 relative à l'hospitalisation sous contrainte. Pour l'accueil des urgences psychiatriques sans l'accord des intéressés, la mission propose d'instituer une période d'observation de 72 heures au maximum, qui devrait être mise à profit pour obtenir le consentement aux soins du malade et diminuer les recours à la procédure d'hospitalisation à la demande d'un tiers. Avec un statut juridique qui devra être précisé, ce  « protocole des 72 heures » devrait être mis en œuvre dans une unité intersectorielle d'admission. Il ne s'agit pas de créer de nouvelles structures entre les urgences et l'hôpital, indique Jean- Charles Pascal, mais de tenir compte de cette particularité fréquente en psychiatrie où « plus on est malade, moins on demande de soins ». La mission préconise aussi de renforcer les moyens des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques et d'élargir leurs compétences à tout ce qui concerne l'éthique, les libertés et les conditions d'accueil dans les établissements.

Estimant que le dossier médical ne peut, « le plus souvent, être communiqué en l'état », la mission souhaite que ce soit au psychiatre de décider ce qui est transmissible au patient et ce qui ne l'est pas, à charge pour lui d'établir « une observation formalisée communicable ». Enfin, une série de suggestions vise à améliorer la prise en charge ambulatoire et hospitalière des troubles psychiatriques des personnes sous main de justice et à étendre les mesures de suivi socio-judiciaire avec contrainte de soins à l'ensemble des catégories de délinquants ayant une composante psychopathologique préoccupante.

Quel est le coût des mesures recommandées ? « Un chiffrage est en cours par la sécurité sociale », indique Philippe Cléry-Melin, sachant que certaines charges pèseront sur l'assurance maladie et d'autres sur le budget des collectivités locales ou de l'Etat. Le cabinet de Jean-François Mattei a annoncé que les propositions seront soumises à une « concertation élargie » avec les professionnels, leurs représentants et les associations de malades et de familles, afin d'élaborer un plan global sur la santé mentale au premier trimestre 2004. Avec plus de chances d'entrer dans les faits que les précédents ?

Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  Surtout si on le compare aux alertes lancées depuis des années dans le secteur. Voir la dernière en date, celle des états généraux de la psychiatrie, dans les ASH n° 2315 du 13-06-03.

(2)   « Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale », disponible sur www.santé.gouv.fr.

(3)  Contrairement aux psychiatres Eric Piel et Jean-Luc Roelandt, auteurs d'un rapport sur le même sujet. Voir ASH n° 2222 du 6-07-01.

(4)  Voir sur ce point le rapport Charzat dans les ASH n° 2260 du 26-04-02.

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