Ce n'est que le 8 octobre que le secré- tariat d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion a présenté aux membres du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale le rapport d'audit sur la situation du dispositif d'urgence sociale que lui a remis en juin dernier le cabinet de conseil Cap Gemini Ernst & Young. « L'objectif est, à partir de cette évaluation des besoins, d'ouvrir le chantier de la négociation », explique-t-on au cabinet de Dominique Versini.
Le document, qui prend la forme d'une radiographie du secteur, fait donc office de bilan d'étape en attendant que les associations, qui n'ont pas encore été consultées, apportent leur contribution. Et avant que le secrétariat n'offre des solutions concrètes pour engager « une modernisation, un paramétrage et une mise en cohérence de l'ensemble du dispositif “accueil et réinsertion sociale” », figurant parmi les objectifs prioritaires du plan national de renforcement de la lutte contre les exclusions (1). D'ores et déjà, les consultants ont travaillé avec les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales (DRASS et DDASS) pour commencer à définir les paniers de service de chaque niveau d'intervention.
Ainsi, l'audit devrait constituer un complément aux autres travaux en cours sur le thème de l'urgence (2). « Même s'il présente des défauts, tant sur la méthodologie que sur le contenu, il a le mérite de pointer des vérités avec une franchise rare », apprécie Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS).
Après cinq mois de réflexion ayant mobilisé un groupe de travail et un groupe de pilotage réunissant les services de la direction générale de l'action sociale, de la direction de la population et des migrations et le secrétariat d'Etat, ainsi que les DRASS et DDASS, le rapport reprend à son compte le cri d'alarme que pousse le secteur depuis plusieurs années. Outre l'insuffisance du programme de création de places de centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) (500 places par an), il témoigne du manque flagrant de moyens alloués aux associations gestionnaires : « Les DDASS et DRASS sont unanimes pour souligner que les délégations de crédit ne couvrent pas les dépenses de structure des CHRS [...], précise-t-il. En conséquence, les gestionnaires sont obligés de “jongler” entre les différents financements, par exemple en sollicitant l'allocation spéciale d'insertion au détriment de l'accompagnement social qu'elle est censée couvrir. » Sans compter que la fragilité de la trésorerie des associations provoque de nombreux règlements judiciaires identifiés par les services déconcentrés de l'Etat : « une dizaine de cas signalés, dont trois pour le département du Gard, un dans la Vienne, deux en Saône-et-Loire, un dans l'Oise... » En attendant des solutions pérennes, le recueil des doléances auprès des fonctionnaires a, selon Jean-Paul Péneau, commence à produire ses effets : « Ce travail d'audit a déjà servi à débloquer 13 millions d'euros qui seront prochainement répartis entre les DRASS, à destination des CHRS les plus déficitaires, se réjouit-il. Mais pour le long terme, nous allons demander à Dominique Versini de prévoir un plan pluriannuel de financement. »
Les mêmes fragilités sont relevées pour le fonctionnement du 115. Géré majoritairement par des associations, souvent en difficulté financière et ayant recours à des emplois aidés, le dispositif peine à assurer sa mission de veille sociale et de coordination. De même, les schémas d' « accueil hébergement insertion » mis en œuvre depuis 1991 souffrent, selon plusieurs DRASS, de l'absence de programmation financière en lien avec les orientations stratégiques définies au plan régional et du man- que d'outils d'information fiables et efficaces. « Ces schémas ont été peu à peu abandonnés, faute de moyens, confirme Jean-Paul Péneau. D'où l'intérêt d'impulser une nouvelle dynamique d'observation et de planification, ce à quoi s'emploie la DGAS dans le cadre de l'application de la loi du 2 janvier 2002. »
Autre piqûre de rappel à l'adresse de l'administration : la gestion de l'hébergement est étroitement liée à l'afflux des demandeurs d'asile et à la saturation des centres d'accueil spécialisés. Alors que la création des plates-formes d'accueil (une vingtaine sont prévues d'ici à la fin 2003) devrait permettre de favoriser l'orientation des requérants, « la saturation des dispositifs d'hébergement conduit parfois à interrompre temporairement le fonctionnement de la plate-forme et même à arrêter la fonction de domiciliation », pointent les auditeurs. Certains départements ont fait le choix de ne pas créer de plate-forme et se contentent d'intégrer un travailleur social spécialisé au sein de leur service d'accueil et d'orientation.
Certes, cette question devrait être réglée grâce à l'augmentation continue de la capacité des centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) - 12 259 places en 2003 -, conjuguée à la réduction des délais d'instruction des demandes. Mais elle ne devrait pas occulter, rappelle le rapport, deux problèmes qui demeurent entiers : le logement des déboutés et des réfugiés statutaires. Les premiers occuperaient avec les demandeurs d'asile en moyenne 25 % des capacités des CHRS. Pour les seconds, « l'offre de places en centre provisoire d'hébergement n'a pas évolué ces dernières années et reste cantonnée à 1 028 places ». Les DDASS estiment ainsi qu'environ 10 % des places en CADA sont occupées par des réfugiés, qui devraient pourtant trouver des solutions de logement de droit commun. Bien qu'ils soient pris en compte dans les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées, dont l'objectif est de faciliter l'accès des personnes en difficulté aux dispositifs de droit commun, ils n'arrivent pas à trouver de logement social. Et pas seulement par manque de place : « les confusions entre demandeurs d'asile et réfugiés ont parfois pour résultat de placer certains organismes d'HLM en retrait au regard de la problématique d'accès au logement des réfugiés... », soulignent les auteurs. Preuve que la reconstruction de la chaîne de l'urgence sociale pourra difficilement se limiter à une redéfinition des compétences des acteurs de l'insertion...
M. LB.
(1) Voir ASH n° 2304 du 28-03-03.
(2) L'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration mènent une mission sur l'hébergement des familles déboutées de l'asile (voir ASH n° 2327 du 3-10-03), tandis que la DGAS a mis en place un groupe de travail sur l'élaboration « d'un dispositif de recueil des capacités et des financements pertinents et adaptés ».