Recevoir la newsletter

MAUVAIS PASSAGE DE RELAIS

Article réservé aux abonnés

« Cadeau empoisonné », du moins au plan financier, délai couperet interdisant une préparation sérieuse, façon de procéder peu respectueuse de l'autonomie des conseils généraux : la décentralisation du RMI ne se présente pas sous les meilleurs auspices du point de vue des responsables de l'action sociale des départements.

Le projet de loi de finances (voir ce numéro) n'a sans doute pas rassuré les départements, eux qui vont recevoir la responsabilité totale du revenu minimum d'insertion (RMI) au 1er janvier 2004. Ils ont dû avoir le sentiment d'hériter d'une « patate chaude » avec laquelle l'Etat n'entend plus se brûler les doigts : le soutien aux personnes les plus éloignées de l'emploi. Le texte confirme en effet, d'une part, la baisse du nombre de contrats emploi- solidarité et emploi consolidé financés par l'Etat, qui offraient un débouché à beaucoup de bénéficiaires. Il entérine, d'autre part, la décision d'abréger la durée d'attribution de l'allocation de solidarité spécifique, qui va précipiter des dizaines de milliers de personnes supplémentaires dans le RMI.

Sachant que la courbe des bénéficiaires du RMI épousait déjà celle, ascendante, du chômage et que les comptes du transfert des charges seront arrêtés une fois pour toutes (au 31 décembre 2003 ?), les présidents des conseils généraux ont de quoi s'inquiéter pour leurs prochains budgets. Chaque tranche de 100 000 allocataires supplémentaires du RMI représente 500 millions d'euros de dépenses. Philippe Madrelle, président  (PS) du conseil général de Gironde, crie au « hold-up ». Ses homologues de la majorité protestent moins bruyamment mais partagent la même inquiétude. Surtout ceux des secteurs déjà les plus en difficulté - l'impact du RMI varie de 1 à 6 selon les départements métropolitains - qui risquent de « trinquer le plus ».

Autre motif de courroux : la date du transfert qui reste, malgré le retard pris par le projet de loi (1), fixée au 1er janvier prochain. Les membres de l'Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé des conseils généraux (2), réunis pour leurs journées techniques à Bordeaux les 18 et 19 septembre, n'ont pu, à cet égard, que « mutualiser leurs anxiétés », après avoir entendu un représentant du ministère la confirmer une nouvelle fois. « Personne n'a pu nous donner une seule bonne raison pour justifier l'urgence, alors que le texte peut encore sensiblement évoluer d'ici le vote, qu'il faudra ensuite un minimum de temps pour sortir les décrets, puis encore un minimum de temps pour nous préparer à les appliquer », a résumé l'un d'eux, sur un ton de colère contenue. Aucune « bonne raison » officielle, donc, mais un puissant motif unanimement soupçonné : l'Etat est « pressé de refiler le bébé »... et la charge financière qui va avec.

Techniquement, les responsables de l'action sociale des départements jugent ce passage en force « totalement déraisonnable », voire « irresponsable ». De l'avis général, il aurait fallu six mois entre la sortie des textes et leur mise en œuvre. « Trois mois, ce serait déjà ça », implorent les plus réalistes. Mais sans trop d'illusions, si le puissant lobby de l'Assemblée des départements de France ne se mobilise pas plus fortement sur la question (3). « Décidément, l'APA n'aura pas servi de leçon ! » Les directeurs de l'action sociale ont l'impression de se retrouver deux ans en arrière, quand ils ont été sommés de mettre en place l'allocation personnalisée d'autonomie en quelques mois, avec les cafouillages qui ont suivi. « Cette fois-ci, c'est peut-être mieux, parce qu'on ne part pas de rien. Mais c'est pire, parce qu'il y a déjà un million de bénéficiaires et qu'il faudra négocier avec les autres parties au dossier... qui attendent aussi de connaître les règles du jeu. »

Assurer la continuité

Quels que soient leurs états d'âme, tous affirment pourtant une priorité absolue : la continuité du versement des allocations. Avec quel argent ? Les budgets départementaux pour 2004, bouclés pour la plupart avant l'automne pour être votés au dernier trimestre, ne prévoient pour l'instant pas un centime pour le paiement du RMI. A quelle date les caisses d'allocations familiales  (CAF) et celles de la Mutualité sociale agricole  (MSA) - qui restent les agents payeurs -devront-elles être créditées pour faire, comme d'habitude, le versement le 5 de chaque mois ? C'est toute une ingénierie financière qu'il faut mettre en place et qui ne s'improvisera pas entre Noël et Nouvel An ! Même chose pour l'informatique. C'est le conseil général qui sera responsable, sur ses deniers, de la désignation des bénéficiaires et des montants versés. Or, actuellement, ce sont les CAF qui détiennent les fichiers. Pas question pour elles de les mettre tels quels à la disposition des départements, car ils contiennent souvent d'autres données sur les allocataires... De plus, les systèmes sont techniquement incompatibles. « Dans la Loire, témoigne Philippe Gauthier, directeur de la prévention sociale, la CAF a bien sûr son fichier d'allocataires. Pour les contrats d'insertion, d'autres dossiers sont ouverts dans les commissions locales d'insertion [CLI] , sans connexion avec les précédents. La même personne qui fait l'objet d'un suivi social a un troisième dossier ouvert au conseil général. Chaque fois avec une nouvelle saisie. Il n'est bien sûr pas question de continuer comme cela. » Dans les Yvelines, la question est un peu plus avancée, la CAF, qui ne transmettait que des listings, fournit depuis quelques mois des fichiers de bénéficiaires, mais sans interface... Sachant que la construction d'un système partagé d'information ne s'improvise pas, « c'est un contre-la-montre qui est lancé ». Dont on peut déjà parier qu'il n'aboutira pas à temps dans la plupart des départements.

Qui va prendre la décision de valider le droit du bénéficiaire ? Dans de nombreux départements, les CAF et la MSA avaient une délégation du préfet allant jusqu'à la décision d'attribution de l'allocation pour tous les cas simples. Devant l'urgence, on peut imaginer que l'on poursuivra sur la lancée, du moins au démarrage. Les dossiers plus complexes (5 à 10 %) étaient examinés par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qui tranchaient. Ceux-là, il faudra bien que les départements s'en saisissent. De même qu'il leur reviendra de prolonger les dérogations (pour le maintien de l'allocation même en l'absence de contrat d'insertion). Avec du personnel compétent. Or, toujours faute de cadre légal, nulle part les postes supplémentaires n'ont été budgétés.

« Encore faut-il aussi que les DDASS assurent leurs tâches jusqu'à la fin décembre. » La plupart des responsables départementaux s'inquiètent de la « débandade » chez leurs correspondants des services déconcentrés de l'Etat. « On peut les comprendre : ils sont dépossédés de leurs responsabilités sans fleurs ni couronnes, et ils sont souvent en manque d'effectifs... » Dans plusieurs départements, les commissions locales d'insertion ont déjà commencé à perdre leur secrétaire. En Gironde, tous les baux des CLI et même les contrats d'entretien de leurs photocopieurs ont été dénoncés sans que personne en soit prévenu. Sur quelle base se feront les transferts de postes ? Sur les effectifs restés penchés sur les dossiers RMI en décembre ou sur les équivalents temps plein occupés auparavant ?Là aussi, c'est l'incertitude complète. Une exception : la DDASS du Loiret a accepté qu'un audit soit réalisé par un cabinet extérieur et sur les trois dernières années. Mais la majorité ne se fait pas d'illusion : « Nous n'obtiendrons que très peu de transferts en personnels et en savoir-faire, tout juste peut-on espérer une part de compensation financière. »

Une délégation ou un transfert ?

En tout cas, les relations futures avec les CAF et les DDASS, tout comme avec les communes impliquées dans la réception et souvent l'instruction des dossiers RMI, auraient dû être discutées, mûries et inscrites dans des conventions avant la date fatidique. Au lieu de quoi, les contacts en sont encore, au mieux, aux approches informelles. Une nouvelle a fait monter la moutarde au nez des responsables départementaux : en leur absence, le ministère et la caisse nationale des allocations familiales travaillent à une convention-cadre que les départements n'auraient plus qu'à adapter à la marge. « Drôle de conception de la décentralisation ! On a l'impression qu'il ne s'agit que d'un simple transfert de crayon. » Comme si les conseils généraux n'étaient que « le premier service déconcentré » de l'Etat, comme s'ils « n'étaient que des payeurs », comme s'il ne s'agissait que d'une délégation de compétences, pas d'un transfert.

Autre volet du dossier, et le plus difficile : l'insertion. Le point faible jusqu'à présent, sur lequel les conseils généraux, seuls désormais aux commandes, seront attendus au résultat.

Beaucoup se fixent d'abord pour objectif, comme en Meurthe-et-Moselle, « d'augmenter le nombre et la qualité » des contrats d'insertion passés avec les bénéficiaires. Le taux national moyen de contractualisation est aujour- d'hui de 50 %mais il recouvre des réalités très diverses. Un département francilien qui a un taux élevé avoue que les contrats sont parfois reconduits sans même un entretien, faute de travailleurs sociaux en nombre suffisant. A l'inverse, des titulaires du RMI qui bénéficient d'un suivi social régulier n'ont pas de contrat, car les assistants sociaux ont tendance à ne pas formaliser leurs entretiens quand il n'y a pas de volet emploi, comme le relève une étude menée dans les Hauts-de-Seine, souvent corroborée ailleurs. C'est une culture que Philippe Gauthier voudrait faire évoluer dans son département de la Loire. « Passer un contrat, même léger, mais qui a du sens pour la personne concernée, c'est la reconnaître comme partie prenante et partenaire, et c'est important. Pour le travailleur social qui le passe aussi, c'est un engagement, une échéance. »

Dans la pratique, les responsables de l'action sociale se posent beaucoup de questions sur leur façon de procéder et les nouvelles responsabilités qui vont être les leurs. Qui fera le premier entretien (beaucoup aimeraient que ce soit un binôme social/emploi)  ? Comment trouver rapidement pour chaque bénéficiaire le référent qui lui sera le mieux adapté (parfois un travailleur social, mais pas toujours)  ? Qui signera le contrat ? Qui le validera et l'évaluera au bout de six mois ? Comment mobiliser les CLI pour développer une offre d'insertion adaptée ? « Tout cela ne s'improvise pas. Or, là encore, sans cadre légal, nous n'avons pu budgéter de nouvelles embauches dans nos services, et nous sommes dans l'impossibilité de discuter avec les communes et les associations qui sont souvent aux manettes », constatent les responsables. Dans les Yvelines, par exemple, le conseil général est en contact avec 138 organismes ou associations d'insertion. Dans nombre d'entre eux, le département pourrait trouver les référents aux profils diversifiés qu'il souhaite. Le travail de suivi qu'ils assureront devra être précisé, rémunéré, coordonné, contractualisé... Impossible en quelques semaines. La plupart des départements comptent aussi poursuivre ou développer les collaborations avec le service public de l'emploi (ANPE et missions locales), ce qui, là encore, doit être négocié au plan des effectifs et du budget, et acté.

Les évolutions qui pourraient intervenir quant au futur revenu minimum d'activité (RMA), notamment sur l'ancienneté requise dans le RMI pour y accéder, ajoutent aux incertitudes. « Quel est le public visé ? Celui qui est déjà éloigné de l'emploi ? Ou celui qui en est le plus proche ? », comme cela paraît plus vraisemblable à beaucoup. Sur ce point, si certains attendent un cadrage précis de la loi, d'autres affirment que « moins il y aura de décrets, mieux on se portera », espérant gagner de vraies marges d'initiative. Les sentiments apparaissent cependant mitigés face au RMA et beaucoup ont fait le calcul qu'il coûtera cher aux départements...

Au total, qu'il s'agisse du versement de l'allocation ou de l'insertion, « on va être obligé de bricoler dans l'urgence », enragent les responsables. Alors que cette échéance forcée n'a rien d'inéluctable, ils ont le sentiment qu'on les traite sans « le niveau minimum de confiance et de respect » qui serait de mise envers un partenaire à qui l'on confie un dossier difficile et socialement important. Mais dans cette façon de procéder, n'est-ce pas aussi envers les allocataires que l'on manque de considération ?

Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  Le texte a été concocté de manière précipitée entre le 28 février, jour de l'annonce des nouveaux transferts des compétences par le Premier ministre, et le 7 mai, date de sa présentation en conseil des ministres. Il a été adopté à marche forcée par le Sénat le 28 mai (voir ASH n° 2313 du 30-05-03), mais l'Assemblée nationale n'en a pas encore été saisie, malgré le prolongement de la session parlementaire en juillet. Aux dernières nouvelles, il serait programmé en novembre, au milieu des traditionnels encombrements de la session parlementaire d'automne. C'est le seul texte que le Premier ministre a détaché de son projet plus global de décentralisation et dont l'application n'a pas été repoussée à 2005.

(2)  Andass : Pôle action sociale DAS 35 - 13, avenue de Cucillé - BP 3164 - 35031 Rennes cedex - Tél. 02 99 02 35 35.

(3)  Signalons que le président (PS) du conseil général de Meurthe-et-Moselle, Michel Dinet, a écrit au Premier ministre le 1er octobre pour lui demander de reporter la mise en œuvre du transfert aux départements de la gestion du RMI.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur