Christine Boutin, députée UMP des Yvelines, a rendu au Premier ministre, le 29 septembre, son rapport sur les situations d'isolement et la détérioration du lien social (1).
L'élue a auditionné 400 intervenants (associations, personnes en difficulté, experts...) pour dresser le portrait des situations d'isolement social (effritement de la cellule familiale, rupture du lien professionnel, pauvreté, absence de domicile, santé, handicap, âge, toxicomanie, incarcération...) et s'intéresser au traitement du phénomène. Constat : les réponses purement financières (minima sociaux, revenus de solidarité...) sont multiples, mais insuffisantes. Quant aux réponses institutionnelles, si elles prennent davantage en compte le manque de lien entre les individus, elles doivent, selon l'auteur, être adaptées. La députée salue ainsi le travail des intervenants dans la lutte contre l'isolement, en particulier celui des associations, mais elle critique néanmoins le « cloisonnement structurel » en la matière. Les personnes en difficulté ont « un nombre important d'interlocuteurs » et la diversité des « services et interlocuteurs porte en elle un danger de fractionnement qui peut avoir pour effet d'accroître le sentiment d'isolement ». En outre, les acteurs ont du mal à travailler en réseau, en particulier du fait de l'urgence des réponses à apporter, difficulté à laquelle s'ajoutent « quelques rivalités locales souvent issues des frottements entre les circonscriptions d'action sociale et les centres communaux d'action sociale », car ces institutions s'adressent au même public (au moins en partie), « mais dans un cadre de mission mal compris de part et d'autre ». Enfin, le travail d'accompagnement en petits groupes est presque absent. Ces trois raisons font « apparaître un défaut d'organisation de l'accompagnement social dans notre pays. La profusion d'acteurs, de dispositifs, d'allocations, de modes de soutien, est devenue trop complexe : il est réellement devenu difficile de s'y retrouver, pour l'Etat, pour les élus, et surtout pour les personnes en difficulté », souligne le rapport.
Le document pointe aussi l'inadaptation des formations de travailleurs sociaux. Selon lui, « le mode de sélection des futurs éducateurs spécialisés [n'est pas suffisamment orienté] sur la capacité des candidats à réellement venir en aide aux nécessiteu x ». En outre, le modèle psychologique, dominant dans ces formations, introduit, selon l'auteur, une ambiguïté dans leur mission : ils « ne sentent plus clairement la frontière entre le caractère “thérapeutique” de la relation d'aide et son caractère social et opérationnel, [alors que] l'accompagnement psychologique en tant que tel ne doit pas relever de leur compétence, mais de celle du secteur médical ». De surcroît, l'élément psychologique peut conduire ces professionnels à voir dans toute personne qu'ils aident « un malade qui s'ignore ».
Au-delà, Christine Boutin se penche sur les crises auxquelles la société lui paraît confrontée. Elle préconise près de 40 mesures pour y répondre, allant de l'abaissement des trottoirs pour faciliter le déplacement des personnes handicapées... à la création d'un « dividende universel » d'un montant de 330 € par mois qui serait versé à toute personne depuis sa naissance jusqu'à sa mort et qui remplacerait, sauf exceptions, les minima sociaux et revenus de solidarité. Jean-Pierre Raffarin, qui a souligné la dimension « généreuse de cette [dernière] idée », a demandé une expertise d'impact « économique, sociale et financière » de la mesure.
La députée recommande, entre autres, de revaloriser les métiers de la relation (travailleurs sociaux, éducateurs, médiateurs, personnels pénitentiaires...), de soutenir les parents dans l'accomplissement de leurs responsabilités (ouverture d'une école des parents), de développer les réseaux gérontologiques, de reconnaître les priorités pour l'action sociale. A ce dernier titre, elle propose, notamment, de « sanctuariser les budgets de l'action sociale » pour que les associations de lutte contre la précarité ne se retrouvent pas elles-mêmes dans une situation précaire. Autres suggestions : reconnaître le handicap comme une « cause universelle », et renforcer la prévention en matière de suicide.
Au chapitre des mesures visant à mieux départager les compétences de l'Etat par rapport à celles des acteurs privés, le rapport plaide, en particulier, pour une inversion de la situation actuelle qui exige des « usagers [qu'ils fassent] de leur mieux pour simplifier le travail de l'administration ». Il propose aussi d'inscrire la lutte contre l'isolement dans les objectifs de la décentralisation et de soutenir les associations et les initiatives privées. Sur ce point, la députée recommande de créer un nouveau type d'association, dite « d'utilité sociale », pour que toute association locale « d'assistance aux plus démunis, de lutte contre la précarité ou tout simplement de voisinage [...] sans mériter le statut “d'utilité publique” [puisse bénéficier] de certains avantages, notamment en matière d'allocation budgétaire de la part des collectivités ».
(1) « Pour sortir de l'isolement, un nouveau projet de société », disponible sur le site Internet :