« La connaissance que l'on peut avoir de la santé des personnes âgées et des difficultés qu'elles peuvent rencontrer pour accéder aux soins est encore lacunaire et diverses limites existent dans [leur] prise en charge. » Tel est le constat, sévère, du dernier rapport de la Cour des comptes, rendu public le 18 septembre (voir ce numéro), qui consacre un chapitre à ce sujet.
Les magistrats dressent un bilan de l'état de santé des personnes âgées, tout en pointant les lacunes des informations disponibles. En particulier, l'enquête du Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé (Credes) sur les couvertures complémentaires santé (1) ne tient pas compte de la donnée « âge », l'échantillon permanent des assurés sociaux de la caisse nationale de l'assurance maladie se cantonne aux remboursements des soins de ville (hors hôpital ou établissements) et il n'existe aucune analyse des dispositifs médicaux (fauteuils roulants, béquilles, lève-personnes...) pourtant nécessaires à cette population.
Les auteurs ont toutefois pu explorer les éléments dont ils disposaient pour dresser le profil des personnes âgées. Celles-ci sont victimes de polypathologies et connaissent des affections spécifiquement liées à l'âge. Du coup, les dépenses effectuées par les plus de 65 ans sont plus élevées que pour le reste de la population (en moyenne en 2001 4 100 € par an et par assuré contre 1 772 €). La maladie d'Alzheimer, qui les concerne au premier chef, entraîne une dépense évaluée par la direction générale de la santé à 4,5 milliards d'euros, le coût annuel du malade étant estimé
à 15 200 € à domicile et de 20 800 € à 24 400 € en institution selon qu'elle est médicalisée ou non. En outre, les personnes âgées relèvent fréquemment d'affections de longue durée, prises en charge à 100 %, et les dépenses de ces patients sont, en moyenne, trois fois plus importantes que pour le reste de la population.
Autre enseignement : le taux de couverture complémentaire des personnes âgées est comparable à celui des plus jeunes (à l'exception des plus de 80 ans), mais elles disposent d'une couverture plus faible.
Les actions de prévention en direction des personnes âgées relèvent, pour l'essentiel, de l'action sociale des caisses de sécurité sociale, des mutuelles ou des collectivités locales, note par ailleurs la Cour des comptes. Certains programmes récents prennent en compte la question des personnes âgées à titre principal ou secondaire (programme Alzheimer d'octobre 2001 (2), plan de prévention et d'organisation des soins pour les personnes âgées fragiles pour 2002-2005 de mars 2002...), d'autres ne l'abordent pas spécifiquement, alors qu'ils paraissent pourtant les concerner (programme de santé de lutte contre la douleur de décembre 2001 (3), par exemple).
La démarche de soins infirmiers (4) a vocation, quant à elle, à réguler les actes médicaux auxquels les personnes à partir de 85 ans ont le plus souvent recours (dépense de 631 € par an contre 43 € pour l'ensemble de la population). Or le dispositif « est critiqué par les intéressés et par les médecins pour sa lourdeur administrative et se heurte au manque de personnel moins spécialisé : aides-soignants, aides à domicile », déplorent les magistrats.
Au final, faut-il prendre en compte le vieillissement de la population en tant que tel ? Les auteurs, soulignant tant la limite de la connaissance de santé par âge que les résultats divergents des études sur l'impact du vieillissement sur les dépenses de santé (5), estiment qu' « il serait prématuré de chercher à [...] isoler les dépenses d'assurance maladie des personnes âgées de l'ensemble des dépenses » . Néanmoins, ils considèrent qu'il faut prendre en compte certains enseignements : si les dépenses de consultations médicales des personnes âgées sont égales à celles du reste de la population, celles d'auxiliaires médicaux à partir de 80 ans et de pharmacie, d'appareillage et d'analyses biologiques augmentent sensiblement. Or elles sont « le plus susceptibles d'être influencées par des comportements de prescription des médecins, par le progrès technique et par l'introduction de produits nouveaux . [Il] est essentiel de chercher à agir sur les comportements de prescription [en particulier celle] de médicaments », insiste le rapport.
« Le morcellement des services (services sociaux, services de soins infirmiers, de gardes à domicile, d'aides-ménagères, de tutelle), des structures (court séjour, moyen séjour, long séjour, hôpitaux de jour, maisons de retraite plus ou moins médicalisées) et des financements rend indispensable le développement de la coordination gérontologique », explique la cour. Laquelle s'est penchée sur les réseaux qui, à l'origine, ont été mis en œuvre soit à titre expérimental, soit après agrément des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) (Réseaux ville-hôpital) (6), ainsi que sur les centres locaux d'information et de coordination (CLIC).
La connaissance des réseaux reste parcellaire, regrettent les magistrats. Les informations ne se recoupent pas toujours et le recensement de ces dispositifs n'est pas complet. S'agissant des projets expérimentaux, trois d'entre eux seulement ont été agréés, « la plupart des réseaux de terrain ont été rebutés par une procédure trop lourde [qui a privilégié] les projets de grande ampleur émanant notamment des caisses d'assurance maladie et des mutuelles ». Pour les autres, les agences régionales de l'hospitalisation et les unions régionales des caisses d'assurance maladie estimaient leur nombre à moins de 40 au 31 décembre 2002, mais ce chiffre ne tient pas compte de ceux qui ne sont financés ni par l'Etat, ni par les caisses d'assurance maladie.
En outre, leur évaluation n'est pas terminée, les travaux menés en la matière ayant surtout mis en avant la complexité de la démarche. Celle du dispositif de coordination gérontologique de la caisse de mutualité sociale agricole devrait déboucher sur un rapport en juillet. Néanmoins, les acteurs sanitaires et sociaux s'accordent d'ores et déjà pour désigner comme point fort la capacité de ce type d'organisation à améliorer la qualité de vie des personnes âgées prises en charge (90 % d'entre elles, ou de leurs proches, se déclarent satisfaites ou très satisfaites). La caisse juge, en particulier, que « “ la réussite de l'expérimentation tient essentiellement à la motivation et à l'implication des différents acteurs du réseau ”, justifiant ainsi la démarche volontariste qui caractérise le développement des réseaux ». Elle constate, en outre, que la meilleure qualité des soins devrait faire diminuer les hospitalisations, mais aucun élément chiffré ne vient appuyer ce bilan.
Autre dysfonctionnement pointé : l'absence de pilotage de la coordination gérontologique. La multiplicité des dispositifs (CLIC, équipe médico-sociale chargée d'élaborer le plan d'aide individualisé aux personnes âgées, réseaux de santé), dont les objectifs sont très proches, « pose la question de leur rôle respectif, afin d'éviter le manque de cohérence et de lisibilité de la politique de coordination en gérontologie, et d'harmonisation entre les initiatives impulsées par le secteur sanitaire et le secteur social ». En outre, même si le pilotage d'ensemble des réseaux de santé relève de la compétence de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, le développement, l'encadrement et l'évaluation des réseaux de santé pour la prise en charge des personnes âgées ne peuvent être organisés sans une concertation entre les différentes directions concernées (directions générales de la santé et de l'action sociale). « Les faiblesses de la coordination en gérontologie et le manque d'articulation entre les initiatives impulsées par le secteur sanitaire et le secteur social montrent qu'à l'évidence cette concertation n'a pas suffisamment fonctionné », regrette la Cour des comptes .
(1) Enquête sur la santé et la protection sociale - 2000 - Credes ESPS .
(2) Voir ASH n° 2233 du 19-11-01.
(3) Voir ASH n° 2242 du 21-12-01.
(4) Voir ASH n° 2271 du 12-07-02.
(5) Voir ASH n° 2324 du 12-09-03.
(6) La loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 a prévu un financement pérenne des deux types de réseaux de soins sur une enveloppe de l'ONDAM. Mais les expériences en cours seront financées jusqu'à leur terme sur le même poste - Voir ASH n° 2246 du 18-01-02.