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Le « 5e risque » en questions

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Pourquoi la création d'une 5e branche de sécurité sociale est-elle aujourd'hui envisagée pour résoudre la question de la prise en charge de la dépendance qui appelle pourtant une réponse de proximité ? Une interrogation d'Erick Lajarge, ancien chef de cabinet de Paulette Guinchard-Kunstler au secrétariat d'Etat aux personnes âgées, et représentant du Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH) dans le groupe de travail consacré au financement de cette prise en charge mis en place par le ministère des Affaires sociales (1).

« L'hypothèse de la création d'une 5e branche de la sécurité sociale, que l'on pourrait appeler “assurance dépendance”, est désormais évoquée par le gouvernement et plusieurs de ses soutiens dans la majorité se sont prononcés récemment en faveur de cette solution. Pour financer ce risque nouveau, certains proposent de diminuer le nombre de jours fériés.

Sans préjuger des avantages ou des désavantages économiques de l'annulation d'un ou de deux jours fériés (les experts se prononceront sur ce sujet), il convient de rappeler que la solvabilisation des personnes âgées en situation de perte d'autonomie (soit “dépendantes”, mais en langage politiquement correct) a connu un jour noir avec le vote, le 24 janvier 1997, de la prestation spécifique dépendance  (PSD). Cette prestation, dont personne ne conteste aujourd'hui l'inégalité et le caractère inéquitable, a été remplacée par l'allocation personnalisée d'autonomie  (APA) en 2002. Cette dernière concerne actuellement, soit un an et demi après sa mise en œuvre, près de 750 000 personnes contre 130 000 après cinq ans d'application de la PSD. Ces simples chiffres suffisent à montrer que l'APA répondait à un vrai besoin de société tant pour les personnes âgées à domicile que pour celles en établissement.

Pour autant, en cette période d'après-canicule, le débat rebondit et l'APA est à présent menacée dans sa forme actuelle par l'émergence de ce fameux 5e risque, souhaitée par la quasi-totalité des associations représentant les personnes âgées ainsi que par le lobby que constituent les associations de directeurs de maisons de retraite.

Qu'est-il donc arrivé pour qu'enfin les associations soient subitement entendues ? Certes, la canicule, dévastatrice, a sévi. Certes, de trop nombreuses personnes âgées sont décédées, parfois dans le dénuement le plus total. Mais qu'est-ce que le remplacement d'une aide par une autre pourra y changer ?

Car le débat est ailleurs et s'articule autour de la difficulté du financement de l'APA. Dans le système existant, la gestion de l'aide continue d'être conférée aux conseils généraux, et l'effort est partagé entre l'Etat - à travers un fonds de compensation -, les départements et les personnes elles-mêmes, au moyen d'une dégressivité de l'aide en fonction des revenus. Le plan de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie a souffert du succès de cette aide, qui a conduit le gouvernement à prendre diverses mesures, quand, pourtant, la loi prévoyait un grand débat avec la représentation nationale. Ce débat n'a pas eu lieu et l'APA est devenue une aide moins généreuse qu'elle ne l'a été.

Une nouvelle branche « n'est pas une solution miracle »

La création d'un nouveau risque de sécurité sociale ne constitue pourtant pas une solution miracle. La sécurité sociale avait pour but à son origine de prémunir contre certains risques de la vie. Aujourd'hui, devenir dépendant constitue-t-il un risque au sens social du terme ? Et si oui, ce risque doit-il être entièrement pris en charge par la sécurité sociale et comment ?

La dépendance qui survient en moyenne à 80 ans ne constitue pas un risque mais une étape, douloureuse, certes, mais assez inéluctable. C'est cette inéluctabilité qui conduit à penser que la sécurité sociale n'a pas à être activée. La dépendance n'arrive pas subitement comme une maladie (sauf en cas de chute par exemple), mais constitue un stade d'une détérioration physique et psychique due à l'âge.

Cette phase de la vie nécessite autre chose qu'une simple prestation de sécurité sociale. Elle nécessite l'intervention au domicile de professionnels qualifiés et payés correctement. Elle nécessite en établissement la garantie d'une prise en charge adaptée. Elle nécessite de nombreuses actions coordonnées qui peuvent être activées par des plates- formes de services comme il en existe en Maine-et-Loire ou dans le Rhône, ou plus généralement par les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) gérontologiques. Elle nécessite également une meilleure articulation entre l'hôpital, la médecine de ville et les maisons de retraite.

Pour reprendre l'expression du président de la Fédération hospitalière de France, par ailleurs président de la commission des affaires économiques du Sénat (2), la canicule nous a enseigné que “c'est la solidarité qui était partie en vacances”. A l'heure où de nombreux professionnels prônent l'intergénérationnel comme facteur d'enrichissement humain, la création d'un risque nouveau, abstrait, géré par une caisse centrale selon des critères très techniques, ne paraît pas susceptible d'améliorer de façon significative la perception que nous avons de nos aînés.

De plus, d'autres questions se poseront : qui gérera le nouveau dispositif ? qui paiera ? A la première question, tout le monde répond que ce doit être la caisse nationale d'assurance vieillesse puisque dépendance ne signifie pas maladie. A ceux-là, il est possible de répondre que, s'agissant d'une démarche concernant plusieurs générations, la caisse nationale des allocations familiales semble plus adaptée.

En ce qui concerne le financement, faut-il augmenter les cotisations, travailler plus, recycler les dépenses actuellement supportées par les conseils généraux, faire peser la charge uniquement sur les retraités chez qui, bien évidemment, la prévalence de la dépendance est plus forte, ou alors faut-il faire peser cette mesure sur l'ensemble de la population ?

Toutes ces questions restent à débattre comme le reste également celle de la place future des conseils généraux qui, depuis les lois de décentralisation (de 1982 à 1986), détiennent la compétence de l'aide aux personnes âgées (2,1 milliards d'euros pour l'aide sociale aux personnes âgées sur les 13,5 d'aide sociale générale (3) ). Ainsi que celle du rapprochement avec le handicap. En effet, si tous demandent que des moyens équivalents soient mis au service des personnes âgées (deux tiers de personnels en moins dans les établissements pour personnes âgées par rapport aux établissements pour personnes handicapées), tous souhaitent également que la dépendance soit reconnue comme un handicap. Faudra-il donc un jour créer aussi un risque handicap ou intégrer le handicap à ce risque dépendance ?

Un réel choix de société ?

L'hypothèse d'une prestation d'assurance collective pour prendre en charge les situations de dépendance va nourrir un grand débat. La représentation nationale aura, comme en 2001 avec le débat relatif à l'APA, à se prononcer sur ce sujet. Elle devra observer à ce moment que la lente évolution des esprits vers la création d'un 5e risque tient plus souvent à la carence des départements (leurs dépenses d'aide sociale aux personnes âgées ont baissé jusqu'à la création de l'APA quand, pourtant, cette population augmentait) qu'à un réel choix de société.

Ce genre d'aide socialisée, qui a pourtant montré ses limites en Allemagne, reste, de l'avis unanime, malgré tout préférable, car tous croient aujourd'hui plus en la capacité d'action d'une caisse de sécurité sociale pour subvenir aux besoins de nos parents ou de nos grands-parents qu'à celle de leurs élus locaux. Et ce, alors que la réponse réside évidemment dans l'hyper-proximité. C'est cette question, autant que celle de la solidarité familiale, qui surgit aujourd'hui avec ce débat sur le 5e risque. »

Erick Lajarge Directeur d'hôpital Contact :SNCH - Délégation nationale - Hôtel Dieu - 1, place du Parvis-Notre-Dame 75181 Paris cedex 04 E-mail : snch@wanadoo.fr.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2323 du 5-09-03.

(2)  Gérard Larcher (UMP).

(3)  Chiffres de l'année 2002 selon l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée - Voir ASH n° 2313 du 30-05-03.

TRIBUNE LIBRE

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