« [...] Alors que le débat a fait rage au sujet du mémoire de fin d'études, il serait dommage de négliger l'épreuve centrale du diplôme d'Etat actuel : la “situation sociale”. [...] Sans faire d'indiscrétion sur les discussions au sein du comité de pilotage, il me semble important d'attirer l'attention sur la petite révolution que représente la nouvelle approche “par la compétence” introduite par la réforme. Elle nécessite de repenser la manière de valider les acquis professionnels dans le cadre d'une nouvelle forme de “situation sociale”, quels que soient les contours précis de cette épreuve qui seront finalement retenus.
Trois aspects de cet exercice restent encore actuels dans le cadre de la réforme annoncée :
L'évaluation par un jury indépendant permet d'apprécier si un candidat est capable d'argumenter et de synthétiser son discours, comme dans une situation professionnelle. Par contre, les jurys ne peuvent évidemment pas juger de ses capacités telles qu'elles furent déployées au contact des réalités du terrain.
La situation sociale constitue une épreuve réellement interdisciplinaire, tout comme la profession elle-même. Aidons les candidats à exprimer toutes leurs connaissances, à mobiliser leurs capacités d'analyse. Il ne faut pas craindre de leur demander de la “théorie”. Aucune profession ne peut s'en passer.
Le questionnement éthique en référence à la déontologie doit rester au centre de la construction de l'intervention.
Voici en revanche quelques-unes des améliorations espérées au sein des centres de formation. Il s'agirait de :
renforcer l'évaluation conjointe des productions des étudiants par des jurys comportant professionnels de terrain et formateurs des écoles ;
autoriser les étudiants à prendre la parole sur leur propre vécu en les invitant à s'exprimer sur les effets de leur formation ;
exiger un écrit servant de base à la présentation orale afin d'éviter, notamment, la production de situations sociales trop factices ;
faire enfin une vraie place au travail collectif et de groupe en rendant obligatoire la présentation d'une action faisant appel à ces méthodologies.
A condition de ne pas surcharger le temps des examinateurs, ces propositions permettront certainement d'améliorer l'épreuve actuelle en apportant plus de rigueur, en laissant moins de place à l'improvisation chez le candidat et surtout en valorisant plus encore ses aptitudes professionnelles.
A mon sens, il faut ajouter une autre condition qui n'a pas été suffisamment soulignée :reconnaître que la méthodologie d'intervention s'acquiert de façon progressive. Il s'agit de créer les conditions d'une démarche d'accompagnement et d'évaluation permanente, en reconnaissant la valeur des étapes intermédiaires et l'importance du travail d'analyse de la pratique, d'acquisition de connaissances théoriques et professionnelles effectué au sein du centre de formation. La validation finale et l'architecture des épreuves dépendent de la qualité des validations intermédiaires. Il faut prendre en compte, dans la notation finale, les appréciations données par les formateurs à plusieurs étapes de la formation.
Donnons-nous les moyens d'une réelle évaluation continue de la progression des étudiants en remplaçant la “note école” par des évaluations intermédiaires précises et valorisées par les autorités de tutelle. Sans cette évaluation continue, sanctionnée dans le cadre de la certification, la nouvelle approche “par la compétence” dont cette réforme est porteuse sera vidée de son sens.
Or la réforme est capitale précisément parce qu'elle opte pleinement pour le modèle de la “compétence” comme base de la formation. Les “référentiels” de compétence font leur entrée ; exit la logique de programme national avec sa liste de connaissances (et ses lacunes) et ses savoirs disciplinaires. [...] Former à la “compétence” nécessite de s'approprier une méthodologie complexe, de fabriquer des outils spécifiques et de construire des parcours individuels de formation. Par conséquent, cette approche porte une attention accrue à la progressivité et à la continuité des apprentissages. [...]
De plus, par définition, la compétence recouvre l'action à accomplir [...], la capacité à réfléchir sur cette action et les effets qu'elle produit dans un contexte donné. Or un diplôme attribué en majeure partie sur la base d'épreuves “sommatives”, c'est-à-dire d'examens de courte durée, concentrés à la fin du parcours, risque de braquer l'attention de l'examinateur sur la performance, au détriment de cette globalité de l'intervention.
Pour prendre un exemple simplifié, un jury final peut juger si un candidat est capable de présenter la procédure de signalement d'un enfant en danger. Il lui est plus difficile d'évaluer sa capacité à réfléchir sur le bien-fondé de ce signalement à partir d'une analyse et d'un diagnostic. Les jurys actuels se plaignent régulièrement d'un manque de connaissances de base et d'une absence d'analyse. Ce problème n'est-il pas en partie dû à la situation d'examen ? [...] Enfin, ce même jury ne peut pas vérifier que ce signalement a été fait à bon escient, a produit des effets désirables (meilleure protection d'un enfant, respect des droits de chacun...), s'est déroulé dans des conditions les moins douloureuses possibles, etc. Une telle évaluation n'est réellement possible que sur le “site qualifiant”, au cours d'une période bien plus longue que les 40 minutes imparties à l'examen.
Les avantages de l'approche par la compétence sont nombreux. Elle permet de revaloriser les savoirs d'action, de les resituer dans leur contexte [...], en reconnaissant les capacités relationnelles du candidat, [...] en observant sa capacité à agir dans le domaine des rapports interpersonnels. Enfin, cette approche d'origine anglo-saxonne permet d'évaluer les outcomes, c'est-à-dire non seulement les effets ponctuels et désirés d'une action (Madame X a obtenu le RMI), mais aussi, l'ensemble des changements attendus et inattendus produits (le stagiaire a bâti un projet d'insertion réaliste, contractualisé avec Madame X en respectant son autonomie).
Mais n'oublions pas que l'approche par la compétence présente aussi des inconvénients (2). Elle laisse une place moins importante aux connaissances pures au risque de minorer les savoirs théoriques qui ont tant contribué à la professionnalisation du travail social. Elle privilégie la performance au discours, l'adaptation au poste occupé à la légitimité d'un diplôme acquis une fois pour toutes. Changement de philosophie, voire d'idéologie. Cette approche laisse aussi une plus grande part d'appréciation aux employeurs du niveau de qualification atteint par l'agent, dans un contexte où [...] les conseils généraux ne fournissent pas autant de plages de stage que nécessaire [...]. Espérons que ces employeurs sauront se montrer à la hauteur de cet enjeu.
Enfin, pour revenir à la “situation sociale”, il ne faut pas perdre de vue l'intérêt de cette épreuve en le noyant dans un ensemble d'autres exigences confuses. Essayons, au contraire, de procéder par étapes, en respectant la progression de l'étudiant, en donnant pleinement leur place aux validations intermédiaires et en adoptant l'approche par la compétence tout en restant conscients de ses limites. Une “situation sociale” sous forme d'étude de situation réellement suivie, validée au préalable au cours de plusieurs étapes, sur le terrain comme au centre de formation, devrait constituer justement une bonne base pour prendre le tournant de l'approche par la compétence. Cette épreuve rénovée permettra une réelle évaluation sur le terrain, en dépassant les inconvénients de l'examen actuel trop proche du “concours” à certains égards. Ainsi, la réforme du diplôme pourrait apporter une meilleure cohérence entre la formation dispensée et les épreuves de certification qui la valident. »
John Ward Responsable de filière à l'IRTS Ile-de-France : 150, rue Paul-Vaillant-Couturier -93330 Neuilly-sur-Marne - Tél.01 49 44 67 23. John Ward a également coordonné le Guide de l'épreuve de situation sociale - Editions ENSP - 2002.
(1) Les propositions de ce comité doivent encore être validées par la commission paritaire consultative du travail social et de l'intervention sociale.
(2) Voir l'ouvrage Réfléchir la compétence - Sous la direction de Arnaud Dupray, Christophe Guitton et Sylvie Monchatre - Editions Octarès - 2003.