La réforme des tutelles, promise pour 2004 par le garde des Sceaux (1), semble enfin sur le point de voir le jour. En attendant le rapport définitif du groupe de travail chargé, au sein du ministère de la Justice, de plancher sur la rédaction du projet de loi réformant la protection juridique des majeurs, les deux groupes pilotés depuis novembre par la direction générale de l'action sociale et le ministère délégué à la famille - l'un sur la création d'un dispositif d'évaluation médico-sociale, présidé par Joëlle Voisin, l'autre sur le financement des prestations, dirigé par Joël Blondel (2) - ont remis le fruit de leurs réflexions (3). A ces travaux, qui s'inscrivent dans la lignée de ceux menés lors de la précédente législature (4), s'ajoute une quatrième contribution sur la réforme de la tutelle aux prestations sociales enfants (TPSE), conduite par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) (5).
Objectif des propositions formulées par le groupe de travail sur l'évaluation médico-sociale : faire en sorte, conformément aux principes fondamentaux de la loi de 1968, que l'ouverture d'une mesure de protection ne réponde pas à « une défaillance de l'action sociale ». Le dispositif se déclinerait en deux étapes. En amont, toute demande d'ouverture par une personne autre que la famille du majeur devrait être, sous peine d'irrecevabilité, accompagnée d'un « rapport circonstancié d'évaluation de la situation de la personne » rédigé par un service social mandaté par le département. Le document contiendrait une évaluation globale de la situation de la personne (sur le plan social, médical et financier) ainsi qu'un bilan des actions d'accompagnement dont elle a été bénéficiaire. Au vu de ce rapport, deux solutions : l'orientation de l'intéressé vers des actions personnalisées d'accompagnement social, ou bien la transmission de son dossier au procureur de la République ou au juge des tutelles.
Afin de mieux éclairer ces derniers sur la « décision adaptée aux besoins de la personne », le groupe de travail propose d'instituer, en aval de la saisine judiciaire, un outil d'investigation supplémentaire :l' « expertise médico-sociale » , toutefois non nécessaire en cas de mandat spécial aux fins d'enquête sociale, dans le cadre d'une sauvegarde de justice.
Le même groupe de travail s'est penché sur la tutelle aux prestations sociales adultes (TPSA), dont il déplore le caractère stigmatisant et le champ d'intervention limité. Souhaitant redonner à la TPSA son caractère d'accompagnement social, y compris pour les non-bénéficiaires de minima sociaux, il propose de la remplacer par une « mesure d'accompagnement budgétaire et social » (MABS) dont l'objectif serait « le retour, dans un laps de temps court, de la personne à une situation d'autonomie ». L'ouverture de cette nouvelle mesure judiciaire, introduite dans le code civil, serait justifiée non plus par l'altération des facultés personnelles de la personne, mais par son inaptitude à pourvoir à ses intérêts. Elle n'entraînerait pas d'incapacité juridique au sens du code civil et ne pourrait être cumulée avec une mesure de tutelle ou de curatelle.
Autre objectif majeur de la réforme : la révision du système de financement des prestations. Pour pallier les inégalités dues à la disparité actuelle, selon la nature des mesures, des systèmes de prélèvements sur les revenus des personnes protégées (prélèvement sur ressources et financement public pour curatelles et tutelles d'Etat, prélèvement sur ressources pour gérances de tutelles privées, organismes débiteurs des prestations sociales pour la TPSA), le groupe de travail ad hoc préconise un « prélèvement uniforme et unifié » , progressif par tranche de revenu, quel que soit le type de mesure et d'opérateur. L'ensemble des revenus, y compris sociaux, serait soumis aux prélèvements. Le dispositif actuel d'exonération, jugé peu lisible, serait abrogé mais la possibilité de demander une exonération temporaire pour les personnes en difficulté serait conservée.
Nouveauté, selon le groupe de travail : un système de seuil et de plafonnement serait instauré afin que les personnes ayant les revenus les plus bas (minimum vieillesse et allocation aux adultes handicapés) ne paient aucune participation et que celles ayant les revenus les plus élevés ne paient pas un prix excédant le coût moyen de la prestation. Pour garantir « la neutralité des décisions judiciaires », le rapport suggère également d'harmoniser le régime de financement public de l'ensemble des mesures, d'après une nouvelle base de calcul. Une « cotation » serait établie pour chaque mesure de protection, selon sa catégorie, sa durée et son lieu d'exercice. Le système du « mois-mesure », qui prend en compte, d'après les rapporteurs, le volume de mesures gérées et non l'activité réelle, serait abandonné au profit d'une dotation globale. Les services de protection des personnes relèveraient en outre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale.
Cette réforme du financement, qui représenterait un coût supplémentaire pour les finances publiques, pourrait, selon le groupe de travail, intervenir « de manière réaliste » au 1erjanvier 2005. Ses membres préconisent par ailleurs d'améliorer la qualité des prestations en réduisant de 65 à 40 le nombre de mesures par délégué à la tutelle.
La tutelle aux prestations sociales enfants, dont les limites sont également connues, notamment son caractère davantage « curatif » que « préventif », devrait être révisée en articulation avec ces propositions. D'autant qu'elle présente des dispositions communes avec la TPSA. Pour introduire une étape supplémentaire dans le dispositif de prévention auprès des familles en difficulté financière, le groupe de travail piloté par la DPJJ propose d'inscrire dans le code de l'action sociale et des familles « a minima » la mission des conseillères en économie sociale et familiale comme prestation obligatoire et « a maxima » la création d'une mesure contractuelle d'accompagnement budgétaire personnalisé, proposée par le service de l'aide sociale à l'enfance. Les rapporteurs préconisent par ailleurs d'encourager les organismes gestionnaires de prestations familiales à développer leurs actions de prévention dans ce domaine. Pour actualiser les conditions d'ouverture de la mesure, jugées obsolètes ( « conditions d'alimentation [...]manifestement défectueuses » ), et rendre celle-ci moins « stigmatisante », il propose de l'intituler « mesure de gestion des prestations sociales enfants » et de la relier à une finalité objective, telle que l'emploi des prestations au service des besoins de l'enfant. Afin de lui donner davantage de visibilité, il serait préférable, selon le groupe de travail, d'inscrire la TPSE dans le code civil, dans le cadre des textes relatifs à l'assistance éducative. Les rapporteurs précisent que cette réforme devrait être assortie d'une redéfinition du financement de la mesure qui tienne compte des compétences qui devraient être accordées aux conseils généraux en matière de protection de l'enfance dans le cadre de la décentralisation.
M. LB.
(1) Voir ASH n° 2317 du 27-06-03.
(2) Ces deux rapports sont diffusés sur le site de La Documentation française,
(3) Voir ASH n° 2285 du 15-11-02.
(4) Voir ASH n° 2168 du 26-05-03 et ASH n° 2150 du 21-01-00.
(5) Voir ASH n° 2302 du 14-03-03. Ce rapport n'est pas publié.