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Une école de la vie

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A l'Ecole expérimentale de Pons, en Charente-Maritime, des adolescents souffrant de troubles de la personnalité et du comportement retrouvent, par un travail de groupe et une psychothérapie individuelle, le goût d'eux-mêmes et des autres. Ce projet novateur exige un fort engagement de l'équipe.

« Les mal-partis, la psychanalyse peut les sauver », affirmait naguère Françoise Dolto. Un principe bien ancré à l'Ecole expérimentale de Pons  (EEP)   (1)  pour laquelle la référence psychanalytique est un moyen essentiel pour aider les professionnels et les adolescents. Etre « mal parti », c'est ce qui caractérise la vingtaine d'adolescents de 14 à 21 ans qui, souffrant de troubles de la personnalité et du comportement en raison de difficultés affectives et en conflit avec les institutions traditionnelles, vivent, loin de leur milieu, dans cette structure hors du commun.

Créée à la demande de parents par la psychanalyste Bertil Laitselart, l'EEP accueille, depuis 1981, des jeunes qui « reproduisent un mode de défense particulier : agressivité tournée vers eux ou vers autrui, opposition, inertie, rejet, négativisme, actes délinquants, toxicomanies, échec scolaire ». Conçue comme une alternative à la psychiatrie et à la prison et comme un « lieu pour vivre et parler », l'école - agréée par la sécurité sociale (2)  -tente d'aider les adolescents à « désamorcer la répétition » et à « se réconcilier avec eux-mêmes ». Au cœur de la démarche : la non-médicalisation, l'ouverture sur l'extérieur, le recours à l'imprévu, le travail avec les familles... Et, avant tout, le credo que les troubles adolescents sont réversibles.

Pour être admis dans cet « espace de transition », les jeunes, orientés directement par un assistant social, un juge, un psychiatre, voire leur famille, doivent posséder une intelligence normale et des capacités de scolarisation et adhérer, comme leurs parents, au projet thérapeutique et éducatif.

Celui-ci fonctionne sur le double cycle de la journée et de la nuit et, au cours de l'année, au rythme des « ici » et des « ailleurs ». « Ici », dans la cité médiévale de Pons, la journée est consacrée aux apprentissages (sport, créativité, psychothérapies individuelles...). Les jeunes non scolarisables à l'extérieur suivent un enseignement par correspondance avec le soutien d'une pédagogue, d'un psychologue et d'animateurs sportifs ; les autres intègrent le lycée après remise à niveau ou font une formation d'apprenti. « Tout ici : l'éducation, la pédagogie, la créativité, les sports, le piano, les “ailleurs”... est à visée thérapeutique », précise Bertil Laitselart. Moment de ralliement de la communauté, le goûter permet à l'équipe du soir de venir à la rencontre des jeunes et à un relais de s'effectuer. « Nous travaillons vraiment dans la continuité car le moindre événement du jour peut avoir des répercussions lors de la soirée et vice versa », souligne le coordinateur, Christophe Salmon. Le matin, les référents de nuit transmettront un compte rendu au psychologue chargé du lien avec l'équipe de jour.

Les adolescents vivent, à quatre ou cinq, dans des maisons autogérées, réparties sur la commune et ouvertes à partir de 17 h 30 et le week-end. Ils sont sous la responsabilité d'un couple de référents (en général de psychologues), chargé d'organiser une dynamique de groupe. Chaque année, la maisonnée établit ses règles de vie. Le soir, pendant que certains ont des activités en ville, d'autres font les courses (l'argent est géré par un jeune) et préparent le repas. Responsabilisation et autonomie sous-tendent aussi l'intervention régulière « d'éducateurs en hygiène de vie » qui aident les adolescents à s'occuper de leur linge, équilibrer leur alimentation, soigner leur image... Après le dîner, des temps de parole s'offrent au groupe, parfois suivis d'un temps plus personnel, certains ayant du mal à se coucher sans avoir parlé.

« La difficulté est de ne pas tomber dans le rôle de thérapeute mais de rester dans celui de personne contenante », souligne Christophe Salmon. Selon Bertil Laitselart, « l'important pour le jeune est de savoir que l'adulte est là pour lui. Presque tous ont fait des tentatives de suicide avant et transportent ici leurs angoisses. Sans cet accompagnement, beaucoup repasseraient à l'acte. » D'autres moyens peuvent être appelés à la rescousse. « Une promenade en forêt ou sur la plage permet parfois aux jeunes de s'apaiser mieux qu'un flot de paroles qui les excite plus qu'il ne les calme. C'est aux adultes de le sentir et d'être sans cesse dans un processus de création », explique Sébastien Guily, psychologue. Un processus de soutien est également essentiel au lever : il s'agit pour l'adulte de savoir donner de « sa pulsion de vie » pour redémarrer la journée, résume Marc Loustalot.

Un nomadisme initiatique

Nature, créativité, imprévu sont aussi au cœur des « ailleurs », qui rompent le quotidien de la communauté. Cinq fois par an, adultes et jeunes partent vivre des moments forts pour se découvrir et se structurer. Ces voyages sont financés par les parents (3), appelés à adhérer à l'association du réseau thérapeutique et éducatif (support juridique de l'école) et à s'impliquer. Psychologues, animateurs, médiateurs techniques..., tous sont invités à porter un projet d' « ailleurs ». « L'optimisme des adultes est mobilisateur. Ces voyages sont des rites initiatiques qui permettent aux jeunes d'assumer le risque de vie, de découvrir leurs limites, le dépassement de leurs résistances, les ressources de leur intelligence, d'apprendre que vivre c'est rêver et aussi créer », relève, dans son livre (4), Bertil Laitselart.

Ces « ailleurs » sont calqués sur les vacances scolaires. Premier de la série, celui de la Toussaint, dit thérapeutique, se déroule dans l'île d'Yeu. L'écriture d'un scénario débouche sur une mise en scène : huit jours et nuits ponctués de multiples trajets, cérémonies et énigmes à résoudre. A Noël, après l'organisation d'une fête, les jeunes passent une semaine dans leur famille ou dans le « réseau d'amitié »   (5), puis partent à la neige. Février est marqué par un « ailleurs extrême » (randonnée en ski de fond avec chiens de traîneaux, nuits sous un tipi...), tandis que les filles reprennent en main et en pensée leur corps meurtri (coiffure, gymnastique...). Suivent, à Pâques, un « ailleurs culturel » (découvrir à cheval les châteaux cathares, vivre en Tunisie avec les autochtones...) puis, en juillet, « linguistique » en Angleterre. Le principe de ces voyages est repris sur un autre mode avec les jeunes majeurs qui doivent être préparés à quitter l'école, le séjour moyen étant de trois ans. « Nous les poussons vers l'extérieur. Aussi doivent-ils organiser des “mini- ailleurs” et partir seuls quelques week-ends. Ils préparent ensuite un voyage en groupe d'une semaine sans adultes », explique Christophe Salmon.

« Le projet ne fait pas de rupture avec le social et le voyage aide les jeunes à trouver de nouveaux repères, en groupe, mais aussi individuellement, puisqu'au retour chacun reprend son expérience individuelle de psychothérapie », affirme Bertil Laitselart. Selon elle, les psychothérapies d'inspiration psychanalytique sont indispensables « pour ne pas créer des sujets issus seulement du groupe. Cette population limite, dotée d'un psychisme dissocié, a besoin pour s'en sortir de passer par l'individualisation pour ensuite s'exprimer face au groupe et dans celui-ci. » Un travail est également mené avec les parents qui, après trois mois de séparation, doivent venir tous les 15 jours. « On commence toujours par rencontrer la mère seule » en présence des référents, de l'enfant et d'un psychologue-historiographe. Il s'agit de discussions où s'effectue un travail de mémoire. « Au départ, le jeune n'écoute pas sa mère. Puis, un jour, à force de venir seul en thérapie, il s'interroge sur ce qu'elle raconte et se met à poser des questions à ses référents. Il s'approprie peu à peu son histoire, prend pied dans la lignée, et aborde la vie autrement. »

Pour faciliter la progression du jeune, les psychologues, véritables « passeurs de vie », sont recrutés parmi les jeunes fraîchement diplômés. « Ils complètent ainsi leur formation universitaire par un travail de terrain et repartent au bout de deux ans exercer leur métier de psychologue ou un autre », explique Bertil Laitselart. Ce turn-over vise à maintenir vivante l'institution. « Cette proximité générationnelle fait naître une dynamique intéressante, souligne-t-elle. Cet espace est transitoire tant pour les jeunes que pour ces professionnels. » Quant à s'appuyer sur des psychologues plutôt que sur des éducateurs, Bertil Laitselart justifie son choix : « Avec ce public, il faut savoir être novateur plus que normatif et perdre du temps pour en gagner. Ici, il est demandé de s'essayer à la relation thérapeutique, en s'exposant à être enseigné par les adolescents. Il s'agit de les écouter sans qu'intervienne de la séduction, cheminer avec leur discours sans leur répondre tout à fait, ne jamais se rallier à une attitude pseudo-parentaliste. »

Reconnu, le transfert est un outil et les professionnels sont tenus de faire un travail personnel de supervision chez un analyste, considéré comme une garantie pour eux et les adolescents. « Cela permet d'avoir un recul et de ne pas voler dans le pare-brise », assure Marc Loustalot. Pour son collègue Sébastien Guily, « la vraie difficulté du projet réside dans la façon dont les adultes vont gérer leurs mécanismes de défense ». Certains psychologues se sentent d'ailleurs trop exposés et quittent l'EEP. « Le premier obstacle, se souvient Christophe Salmon, c'est la remise en cause personnelle. La confrontation avec les jeunes en difficulté demande énormément d'énergie, puisque nous sommes là pour donner du souffle, être positif et capable de relancer la pensée de chacun et de remobiliser le groupe. »

Ces difficultés font aussi la richesse du travail à l'école, à laquelle contribue la non-médicalisation. Seule une psychiatre à temps partiel, Nicole Clausier, est présente. « Les autorités de tutelle pensaient que sans cette présence, le projet ne pouvait être sécurisé, déclare-t-elle. Mais je me contente d'assurer l'interface avec l'administration. En fait, je suis venue parce que la structure n'était pas psychiatrisée ! Fâchée avec les diagnostics, je sais que ce ne sont pas les psychiatres qui permettent aux jeunes d'avancer. » Sans psychotropes, les crises doivent être totalement assumées par les adultes présents. « Ailleurs, le médicament barre la parole du sujet et l'empêche de réagir à ce qui se passe dans sa tête. Ici, les situations se gèrent avec la parole. On travaille non avec ce que l'on sait mais avec ce que l'on est », analyse Bertil Laitselart. Mais cette démédicalisation « nécessite une vigilance de tous les instants ».

Un projet en danger

Fière d'afficher que l'école n'a jamais connu ni suicide ni meurtre, la psychanalyste estime que le projet est cependant voué à terme à mourir. « Il a été bien trop personnalisé. Les psychothérapies sont la sève qui tient les jeunes, et je n'ai trouvé personne pour les faire à ma place. Or sans elles, il y a des risques mortels. » Pour elle, le passage aux 35 heures compromet déjà le projet. « Cela amène un défilé de personnes et fragilise les rencontres entre l'adolescent qui a besoin de stabilité et l'adulte sur qui il fait un transfert. » En outre, « les jeunes psychologues ont de plus en plus les mêmes fragilités que nos adolescents, cette même difficulté à devenir adultes. Ils ont de moins en moins de distance pour interpeller ce qui se passe et c'est dangereux », déplore Bertil Laitselart. Laquelle souligne combien les psychanalystes actuels sont désorientés par cette population.

L'école peut en tout cas s'enorgueillir de nombreux succès. Beaucoup d'adolescents ont trouvé leur équilibre et réussi leur CAP-BEP, leur baccalauréat, voire un BTS. Quant aux nouvelles des anciens, elles sont souvent réconfortantes. Pourtant, combien étaient jugés irrécupérables, condamnés par la vie, la psychiatrie, la justice...

Florence Raynal

Notes

(1)  EEP : 28, cours Jules-Ferry - 17800 Pons - Tél. 05 46 94 06 23.

(2)  Elle a été reconnue comme un établissement intersectoriel de santé mentale après une longue période expérimentale de 1981 à 1997.

(3)  Les recettes proviennent à 97 % des organismes d'assurance maladie et à 3 % des parents, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales aidant les plus en difficulté.

(4)  Adolescence meurtrie. Vers une pédagogie novatrice - Ed. Privat, 2002 - Voir ASH n° 2300 du 28-02-03.

(5)  Ce réseau reçoit aussi les jeunes ayant besoin de quitter ponctuellement le groupe. Il s'agit de lieux contenants : fermes, communautés religieuses offrant des activités...

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