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L'ambiguïté des centres éducatifs fermés fragilise leur avenir

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La « fuite » du Figaro qui révélait, dans son édition du 27 août, l'existence d'un projet remis au ministre de la Justice visant à créer de nouvelles structures éducatives baptisées « complexes éducatifs contrôlés » relance le débat sur la pertinence des centres éducatifs fermés  (CEF). Des structures en pleine tourmente médiatique depuis la multiplication des fugues. Interrogé par les ASH, Christian Legeron, ancien directeur régional de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) de la région Centre-Limousin-Poitou-Charentes (co-auteur du projet avec un autre ancien directeur régional, un cadre de l'administration pénitentiaire et un directeur d'une association habilitée de Bayonne), précise que le document, encore « confidentiel », propose des dispositifs fermés au sens propre du terme, et non plus seulement par l'effet de la menace d'une incarcération. Une trentaine de mineurs y seraient accueillis (au lieu de huit dans les centres éducatifs fermés) et des professionnels de la surveillance seraient recrutés en plus du personnel éducatif.

Un projet parmi d'autres

Dominique Perben est-il sérieusement en train de réfléchir à une alternative aux CEF ? Le garde des Sceaux a aussitôt mis les pendules à l'heure : « Il est hors de question d'arrêter la mise en place des centres éducatifs fermés », a-t-il déclaré, ajoutant que ce projet figurait parmi d'autres reçus au ministère. Christian Legeron confirme : « Cette initiative n'est pas un contre-projet aux centres éducatifs fermés, qui sont d'ailleurs prévus par la loi, mais une réponse complémentaire entre la prison et les dispositifs existants. Surtout, notre ambition est de proposer une solution pour l'aménagement de peine pour les mineurs. » Selon lui, le document devrait être étudié par le garde des Sceaux d'ici au 15 septembre, date d'une réunion sur ce sujet. Actuel maire (divers gauche) d'Auge-Saint- Médard (Charente), Christian Legeron a déjà fait accepter par la communauté des communes de Rouillac la création d'un « complexe éducatif contrôlé » qui pourrait ouvrir dès la validation du concept par le gouvernement... Argument de poids à présenter au ministre : « Pour nous, un tel dispositif ne peut exister que s'il est bien accepté par l'environnement local », insiste-t-il.

Quelles qu'en soient les suites, toute cette agitation remet sur le tapis le problème de l'efficacité des centres éducatifs fermés. Avant l'heure, puisque les quatre centres aujourd'hui gérés par le secteur habilité n'ont pas plus de six mois d'existence. Il est sûrement trop tôt pour tirer un bilan : « Nous aurions dû être, à ce jour, en mesure d'effectuer une évaluation de dix mois d'expérience, conjointement avec la PJJ, explique Michel Franza, directeur adjoint de l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (Unasea). Mais nous avons perdu beaucoup de temps, à cause des conflits avec les élus locaux et des questions budgétaires. » En l'absence de la parution des décrets de la loi du 2 janvier 2002 dont les CEF relèvent, les structures se voient en effet imposer un financement selon une tarification à la journée, alors qu'elles avaient établi leurs budgets prévisionnels d'après une enveloppe globale. « Le gouvernement a pinaillé sur toutes les lignes budgétaires, et on a dû affiner nos budgets au centime près », poursuit Michel Franza.

Et les autres structures de la PJJ ?

Avec un prix de journée tournant autour de 600  € (un centre éducatif renforcé revient deux fois moins cher), du fait du fort taux d'encadrement imposé par le cahier des charges (25 équivalents temps-plein pour dix jeunes)   (1), les CEF sont aussi critiqués sur le plan comptable. « Nous ne sommes pas opposés au principe de ces structures, à condition qu'elles emploient du personnel qualifié, mais nous ne voulons pas qu'elles soient créées au détriment de l'existant », martèle Régis Lemierre, secrétaire adjoint du Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse (SPJJ) - UNSA (2). Il craint que les vraies priorités soient alors négligées : « On a l'impression que la PJJ se réduit aux CEF, alors que le milieu ouvert est laissé à l'abandon. Evaluons ce qui fonctionne et relançons la PJJ avant de mettre en œuvre des projets gadgets. Il est temps que le ministre reprenne la main et que nous ayons des engagements clairs. »

Peut-on pour autant conclure à l'échec de ces structures sur le plan éducatif ? Pour Michel Franza, « on s'est focalisé sur les problèmes de fugues, alors qu'il y a eu,  sur plusieurs jeunes, de véritables révolutions comportementales. Mais ça, l'opinion publique ne peut le comprendre. On se trouve exactement dans la même configuration qu'avec le lancement des unités éducatives renforcées en 1996. Il faut un peu plus de temps pour juger le dispositif. »

Les professionnels semblent partager cette analyse, à l'exception du Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-PJJ-FSU (3), qui dénonce « l'inadéquation et l'échec des centres fermés » qu'il juge depuis le début trop sécuritaires et répressifs.

Précipitation et bricolage

Pour Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, les pressions politiques et média-tiques ont contribué à donner un mauvais départ au dispositif : «  L'expérience de 50 ans de travail social montre que la contrainte éducative, ça marche sur certains mineurs. Mais monter une structure éducative est difficile et on ne peut pas le faire en catastrophe ! » Pour le magistrat, c'est surtout son ambiguïté qui a nui à la crédibilité du système : «  Le gouvernement a laissé croire qu'on était sur le registre sécuritaire pour essayer de tenir des promesses électorales, alors qu'on était sur le registre éducatif, avec la part de risques que cela comporte. Il a du mal à gérer cette contradiction et essaie de gagner du temps en attendant l'ouverture des huit “prisons écoles” prévues pour 2006 »   (4).

Le vieux débat sur l'éducation dans la contention, que les centres éducatifs fermés étaient censés éclaircir, reste donc d'actualité. « Les CEF doivent-ils trouver une place entre la prévention et des structures réellement fermées ? Si la question se pose, la réponse devra être claire », insiste Michel Franza.

Et il faudra qu'elle vienne vite, car le gouvernement a tablé sur l'ouverture de... 60 CEF d'ici à 2005. Une vingtaine d'associations habilitées ont déjà manifesté leur volonté de présenter un projet, et les deux premiers centres du secteur public viennent d'ouvrir.

M. LB.

Notes

(1)  L'Unasea a refusé d'appliquer l'additif au cahier des charges, qui prévoyait que la capacité d'accueil des centres soit portée à 15 mineurs - Unasea : 118, rue du Château- des-Rentiers - 75013 Paris - Tél. 01 45 83 50 60 - Voir ASH n°2288 du 6-12-02 et n°2320 du 18-07-03.

(2)  SPJJ-UNSA : 87 bis, avenue Georges-Gosnat - 94853 Ivry-sur-Seine cedex - Tél. 01 58 46 14 90.

(3)  SNPES-PJJ-FSU : 54, rue de l'Arbre-Sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 11 49.

(4)  Voir ASH n°2278 du 27-09-02.

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