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Rien n'est acquis

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Si la CMU constitue bien un progrès dans l'accès aux soins des plus démunis, elle n'en demeure pas moins un dispositif spécifique donc vulnérable, surtout dans un contexte où il est plus question de restreindre le régime que de l'étendre. Explications avec la dernière étude du CERC-Association.

Contrairement aux promesses initiales, la couverture maladie universelle (CMU) n'a pas permis « l'accès de tous aux soins de tous ». Tel est le bilan critique réalisé par le collectif de chercheurs Connaissance de l'emploi, des revenus et des coûts  (CERC) -Association alors que la CMU en est à sa quatrième année d'existence (1). Exercice délicat, tant le rédacteur, Pierre Volovitch (2), est porté à débusquer les insuffisances du dispositif, tout en sachant qu'il faut le défendre contre ceux qui sont tentés de le réduire (3). Son dossier n'apporte pas de nouvelles données chiffrées, mais il a le mérite de rassembler toutes celles qui existent en la matière, de les mettre en perspective, de souligner leurs limites et de rappeler les questions en suspens.

Selon le ministère des Affaires sociales, on dénombrait, fin 2002, 1, 4 million de personnes affiliées à la CMU de base (4) et 4,5 millions à la CMU complémentaire (5), chiffre à peu près stable depuis juillet 2001. Auquel il faut ajouter les 145 000 étrangers en situation administrative précaire qui relèvent de l'aide médicale d'Etat (AME)   (6). Globalement, le nouveau dispositif constitue un progrès du point de vue de l'amélioration de l'accès aux soins, reconnaît le CERC. D'abord parce qu'il couvre 1,5 million de personnes de plus que l'aide médicale départementale antérieure. Ensuite parce que le niveau de couverture garanti par le « panier de soins » - prise en charge du ticket modérateur et du forfait hospitalier, tiers payant et tarifs opposables en matière d'optique et dentaire - est très correct par rapport aux prestations de nombre d'autres régimes complémentaires.

Il reste, rappelle l'auteur, que les estimations d'origine portaient sur 6 millions de bénéficiaires de la CMU complémentaire et que l'on s'est peu interrogé sur ce décalage important. Dans quelle mesure est-il dû au « non- recours » de personnes bien portantes ? ou de bénéficiaires potentiels qui ignorent leurs droits ? La question mériterait d'être creusée. D'autant que la population concernée - plus jeune que la moyenne des assurés, mal insérée dans l'emploi, peu diplômée - « la rend tout spécialement susceptible de ne pas utiliser pleinement ses droits ».

La répartition fort inégale des populations couvertes semble n'avoir pas non plus été examinée de près. Pourtant, rien qu'en métropole, les écarts vont du simple au quadruple selon les départements : 2,8 % à 12,5 % de la population (le taux grimpant à 34 %outre-mer). Ces différences reflètent-elles les inégalités de ressources ou recoupent-elles aussi des inégalités dans l'accès à l'information ? « Le manque actuel de promotion du dispositif n'est pas anodin », commente, pour les ASH, Claude Moncorgé, président de Médecins du monde (7), qui s'interroge en particulier sur la rigidité des procédures annuelles de renouvellement (ou de suspension) des droits.

Autre point ultra-sensible : les premières données disponibles sur les comportements des bénéficiaires de la CMU complémentaire ont fait ressortir une surconsommation de soins importante par rapport aux assurés du régime général :+ 30 % en chiffres bruts et + 82 % à âge et sexe équivalents (8). Bel argument pour les opposants à la gratuité ! On sait pourtant, ne serait-ce que par les différences de longévité, que la santé des personnes les plus pauvres est moins bonne que celle des plus aisées, rappelle le CERC. Un seul chiffre en dit long : la part des personnes prises en charge pour une affection de longue durée est de 8,4 % parmi les assurés de la CMU et de 4,5 % dans le régime général. « Un écart était donc prévisible et attendu. » Mais son ampleur a quand même surpris.

Un petit noyau de gros consommateurs

Depuis, de nouvelles études ont montré que l'écart se réduit nettement quand on rapproche la consommation des assurés relevant de la CMU de celle des assurés des autres régimes complémentaires. Eclairage supplémentaire, apporté par le fonds de financement de la couverture maladie universelle : les dépenses sont fortement concentrées sur une petite partie des bénéficiaires. Dans le régime général déjà, 10 % des patients engendrent 65 % du total des dépenses, tandis que 50 % de petits consommateurs de soins ne cumulent que 6 %des dépenses. Pour la CMU, le phénomène est encore plus marqué : les 10 % plus gros consommateurs engendrent 71 % des dépenses, tandis que les 50 % les moins demandeurs représentent moins de 5 % des coûts. L'écart entre les deux régimes, remarque le CERC, est donc très largement imputable aux 10 % plus grands utilisateurs de soins. Dont on sait qu'ils recourent moins aux soins de ville que le reste de la population, mais qu'ils fréquentent beaucoup plus l'hôpital. Un fait qui amplifie une réalité déjà connue quant aux différences de consommation en fonction de l'origine sociale. « Une étude socio-médicale de cette tranche de population serait très intéressante », suggère Claude Moncorgé. A contrario, ces résultats montrent aussi que, pour 90 % des bénéficiaires, la création de la CMU n'a pas entraîné les effets de surconsommation redoutés.

Il reste à suivre ces comportements sur une longue période. Car les données sur les pratiques de soins remontent très lentement. Les chiffres actuellement étudiés portent encore sur 2000, an 1 de la CMU, période de transition administrative qui a pu, en outre, être marquée par des soins de rattrapage. Les analyses devront être menées sur une longue durée pour être plus sûres. Et devront porter autant sur la structure de la dépense que sur son montant.

Cet état actuel des connaissances posé, subsistent beaucoup de questions. Celle des étrangers en situation administrative précaire d'abord, qui n'ont, avec l'AME, qu'un accès plus limité aux soins, en particulier en médecine de ville. « Les effets pervers de cette discrimination sont nombreux », rappelle le CERC en évoquant les tracasseries administratives auxquelles sont soumis tous les étrangers sommés de faire la preuve de leur bon droit. « Même au gouvernement, certains conviennent en privé de l'absurdité d'un système spécifique pour 200 000 bénéficiaires potentiels et de ses effets contre-productifs en matière de prévention et de santé publique », rapporte Claude Moncorgé.

Autre difficulté non encore surmontée : les refus de soins, plus ou moins voilés, auxquels on a trop souvent assisté. « La CMU a été mise en place en l'absence de toute concertation avec les professionnels », rappelle le CERC. Le système a aussi imposé des tarifs opposables dans des domaines comme l'optique et le dentaire où ils n'existaient pas. Enfin, la lenteur du remboursement des actes consentis avec tiers payant a fini par indisposer même les professionnels les mieux intentionnés. « Après les énormes cafouillages des caisses de sécurité sociale, le paiement est maintenant très rapide, assure Nathalie Simonnot, adjointe au directeur général de Médecins du monde et responsable de ses programmes en France. Il faut le faire savoir. » D'autant que, si la CMU est à peu près entrée dans les mœurs pour les hôpitaux et la plupart des généralistes, une opération de testing réalisée à la fin 2002 par l'association a encore montré que beaucoup de spécialistes, dont la moitié des dentistes, continuent à repousser les rendez-vous aux calendes grecques, surtout pour les appelants à l'accent étranger... Aucun organisme ne s'est donné les moyens de mesurer le phénomène, regrette le CERC.

L'effet du seuil placé très bas, qui exclut du bénéfice de la CMU des personnes qui ont de gros problèmes de santé comme les titulaires du minimum vieillesse ou de l'allocation aux adultes handicapés, a déjà fait couler beaucoup d'encre. L'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire pour les assurés dont les revenus excèdent de 10 % au plus le plafond de la CMU, mise en place par l'assurance maladie en 2002, n'a pas encore rencontré un franc succès (9). De toute façon, les effets de cette prothèse seront limités. Soumis à des négociations locales de tarifs, ils risquent en outre d'être variables selon les départements. Bref, on est loin du but annoncé d'un égal accès de tous à une bonne couverture santé.

Le CERC souligne aussi l'effet pervers du « non-choix » opéré par la plupart des assurés CMU quant à la gestion de leur complémentaire. 85 % l'ont laissée- avantage du guichet unique - à leur caisse primaire. Or les mutuelles doivent offrir un tarif préférentiel à leurs affiliés sortant du dispositif par dépassement du seuil de revenus, dont la majorité ne pourra donc bénéficier. Ce phénomène, imprévu, renforce la conviction du CERC que la CMU reste bien « un régime spécifique pour une population particulière ».

Un édifice facile à saper

Autant de caractères qui le rendent plus fragile, juge Pierre Volovitch. Si l'on avait fait le choix d'un accès universel au régime de base et d'une amélioration de celui-ci pour tous les assurés- option certes beaucoup plus coûteuse -, il serait plus difficile aujourd'hui de revenir en arrière, estime-t-il. Au lieu de quoi, on a préféré « une construction complexe appuyée sur un financement baroque », d'autant plus vulnérable qu'elle est isolée et facile à cerner. On l'a vu récemment avec le report de la date d'ouverture des droits. D'autres mesures pourraient, rapidement ou sournoisement, grignoter l'édifice. Par exemple, il est facile de limiter le relèvement du plafond de ressources par rapport à la hausse du coût de la vie. On peut aussi laisser s'éroder le niveau du panier de soins. Ou imposer, même si cela paraît plus difficile, un ticket modérateur. Heureusement, se rassure Pierre Volovitch, notre société, pourtant si peu regardante sur le développement des inégalités dans de nombreux domaines, y est sensible dans celui de la santé. Ce qui « protège la CMU ». A vérifier quand même si un nouveau battage des cartes est opéré, comme il en est question, entre régimes de base et régimes complémentaires. « Rien n'est définitivement acquis », prévient le CERC.

Dernier défaut, lui aussi d'origine : la CMU n'est qu'un dispositif financier. Or, rappelle le CERC, dans tous les pays européens où l'accès aux soins est gratuit depuis longtemps, les inégalités d'accès demeurent. Preuve que, sans même rêver d'une égale santé pour tous, un accompagnement social est indispensable pour promouvoir un égal accès aux soins.

Marie-Jo Maerel

CE QUI RESTE À AMÉLIORER, SELON MÉDECINS DU MONDE

« Face à la pauvreté et à la précarité massives, le dispositif de la CMU est une absolue nécessité », réagit Claude Moncorgé, président de Médecins du monde, pour qui il est tout aussi évident qu'il doit être amélioré. « D'abord par le relèvement du plafond d'attribution jusqu'au seuil de pauvreté. Que les personnes qui touchent le minimum vieillesse ou l'allocation aux adultes handicapés en soient exclues a quelque chose de honteux. Ensuite, il faut gommer l'effet de seuil par une aide dégressive à la mutualisation jusqu'au niveau du SMIC. Il faut encore supprimer le régime séparé pour les étrangers en situation précaire. Enfin, il faut en revenir au principe d'immédiateté d'ouverture du droit prévu par la loi. » A cet égard, « si les délais d'attribution se sont beaucoup améliorés dans les villes moyennes, ils sont encore très longs dans des grandes villes comme Paris (où il faut attendre six semaines pour obtenir le dossier de demande), témoigne Nathalie Simonnot, adjointe au directeur général. Nous constatons aussi des demandes abusives de justificatifs, comme à Nice, ou des hiatus à l'occasion des transferts de dossiers. Autre problème récurrent : la domiciliation des personnes sans adresse. La moitié des centres communaux d'action sociale refusent de la faire, et les associations, qui n'en ont pas les moyens, s'y épuisent. C'est d'autant plus absurde qu'il s'agit d'un héritage de l'ancien dispositif départemental qui n'a plus de justification pour un droit établi au plan national. »

Notes

(1)   « CMU an 4 »  - Les dossiers de CERC-Association n° 4 - Juillet 2003 - CERC-Association : 10, rue Jacques- Mawas - 75015 Paris - Tél. 01 45 31 85 70 - 5  €, port compris.

(2)  On trouvera aussi un résumé de ses thèses dans le n° 108/2003 d'Informations sociales, la revue de la CNAF, consacré au ciblage des politiques de protection sociale.

(3)  Voir ASH n° 2291 du 27-12-02, et n° 2314 du 6-06-03.

(4)  Attribuée à toutes les personnes qui ne peuvent être affiliées à un autre régime de base, sous seule condition de résidence. Au-delà de 6 609  € de revenu fiscal annuel, les bénéficiaires acquittent une cotisation.

(5)  Attribuée en dessous d'un plafond de ressources aujourd'hui fixé à 562  € mensuels pour une personne.

(6)  Voir ASH n° 2314 du 6-06-03.

(7)  Médecins du monde : 62, rue Marcadet - 75018 Paris - Tél. 01 44 92 15 15.

(8)  Voir ASH n° 2276 du 13-09-02.

(9)  Voir ASH n° 2301 du 7-03-03.

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