Apparemment, les publics à la rue ont mieux résisté à la canicule que les personnes âgées (voir ce numéro). Sur trois décès survenus cet été, Emmaüs Paris n'en attribue qu'un seul directement à la chaleur et le SAMU social à Paris n'a pas constaté de décès supplémentaire. Il semble qu'on ait évité le drame pour les plus précaires. Ce qui peut sembler paradoxal au vu de l'extrême dénuement de cette population, très fragilisée par ses conditions de vie et son isolement, et surexposée aux risques sanitaires de la canicule. Même s'il convient de rester prudent vis-à-vis des chiffres annoncés qui ne distinguent pas les sans domicile fixe (SDF). Médecins du monde a d'ailleurs demandé que, dans le cadre de la mission d'évaluation qui doit être menée (1), un bilan spécifique à cette population soit réalisé. Le SAMU social doit lui aussi étudier l'incidence de la canicule sur les personnes orientées vers les lits de soins infirmiers qu'il gère.
Sans doute, les sans-abri, déjà habitués aux conditions climatiques difficiles, ont-ils mieux supporté la chaleur que les personnes âgées. Mais, surtout, le système de veille sociale qui s'est organisé autour de cette population, la présence de rue assurée par les professionnels et les bénévoles tout au long de l'année, ont permis d'anticiper. Le SAMU social de Paris a pu ainsi adapter ses pratiques. « Nous nous sommes consacrés aux 25 % de sans-abri que nous connaissions comme étant les plus vulnérables. Pour les autres, nous leur demandions de se présenter dans les centres d'hébergement d'urgence ou les lieux d'accueil de jour pour faire le point », souligne Stéfania Parigi, sa directrice générale. Les véhicules - moins nombreux l'été - ont pu ainsi renforcer leurs maraudes, distribuer de l'eau et appeler au besoin les pompiers. Alors que beaucoup de personnes âgées ont été victimes de l'isolement, la connaissance des lieux de vie des SDF, l'existence du réseau de la rue ont, semble-t-il, permis d'éviter certains décès. « Nous avions perdu cinq personnes de vue. Grâce à nos contacts, nous les avons toutes retrouvées vivantes », raconte Stéfania Parigi. De son côté, Médecins du monde a renforcé ses actions de prévention, distribué des bouteilles d'eau et tenté de mobiliser la population en lui demandant d'être solidaire. L'association Emmaüs Paris avait, elle aussi, anticipé, dès juin, avec la direction des affaires sanitaires et sociales en augmentant le nombre de repas et en ouvrant un dortoir supplémentaire, et attiré, début août, l'attention de ses équipes sur la distribution d'eau et les règles d'hygiène.
Néanmoins, s'il n'y a pas eu de surmortalité manifeste chez les sans-abri, la population a fortement souffert. Emmaüs Paris cite le chiffre de quatre ou cinq hospitalisations par jour. Un collectif toulousain (2) - dont Médecins du monde, Emmaüs, les acteurs de la veille sociale, les médecins des urgences hospitalières - évoque même « l'altération importante » de l'état général de la plupart de ces publics, en particulier des familles à la rue. Dans un communiqué du 25 août, il fait état de l'amaigrissement, des lésions cutanées surinfectées, de l'épuisement qui entraîne une moindre fréquentation du restaurant social ou des structures de soins et a engendré des admissions aux urgences de certaines personnes dans un état critique. Aussi les acteurs du collectif ont-ils décidé avec certaines institutions locales de renforcer leur action auprès des plus fragiles en augmentant la distribution d'eau, de tickets de transport, l'information et orientation...
Le pire serait donc, à côté de la mobilisation indispensable autour des personnes âgées, d'oublier la souffrance moins visible des personnes à la rue. D'autant que l'action associative a été compliquée par le manque de places d'hébergement d'urgence l'été, la fermeture des points de distribution de repas, les vacances des personnels et des bénévoles... Ce qui amène Médecins du monde à réitérer ses demandes, déjà maintes fois formulées lors des grands froids, comme l'organisation de campagnes d'information sur les risques encourus et les conduites à tenir et l'installation de lieux d'accueil, ouverts de jour comme de nuit. Il est clair que le gouvernement devra répondre aussi à la question récurrente de la pérennité des moyens pour prendre en charge les plus précaires.
I. S.
(1) Voir ASH n° 2321 du 22-08-03.
(2) C/o Mission France Médecins du monde : 5, boulevard Bon-Repos - 31000 Toulouse - Tél. 05 61 63 78 78.