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Un café ouvre la porte à l'autonomie

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Résultat d'un projet du centre d'aide par le travail et la communication Jean-Moulin et de l'association Entraide universitaire, le Café Signes, dans le XIVe arrondissement de Paris, a ouvert ses portes au printemps. Objectif : insérer les personnes sourdes et créer des liens avec les entendants.

La première chose que l'on voit en entrant au Café Signes (1), c'est le sourire de Valérie et de Bruce. Détendus, avant la ruée de midi, ils dressent les tables et « papotent » entre eux. Leur discussion, bien que silencieuse, car Valérie et Bruce sont sourds et communiquent à l'aide du langage des signes, est très animée.

Le Café Signes, qui a ouvert ses portes le 22 avril dans le XIVe arrondissement à Paris, est le premier bar-restaurant tenu par des sourds et des entendants. Inauguré quelques semaines après en grande pompe- spectacle théâtral et musical interprété par des artistes sourds - en présence de Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, et du maire de Paris, Bertrand Delanoë, il ne cesse depuis d'attirer les médias français et européens. Rien d'étonnant à cela, car le projet - qui a reçu le label « acteur de l'année européenne des personnes handicapées »  - mérite d'être connu et reconnu.

Mais ce café n'est pas un espace de « consommation » comme les autres. C'est avant tout un lieu d'insertion pour les personnes sourdes avec handicaps associés (troubles neuro-sensoriels et cognitifs spécifiques), le fruit de cinq années de travail et de réflexion de l'équipe du centre d'aide par le travail et la communication  (CATC) Jean-Moulin (2). « Derrière le Café Signes, il y a une réelle volonté d'intégrer les personnes sourdes dans le monde du travail et donc dans la société », explique Daniel Seguret, directeur du développement de l'association Entraide universitaire (3) dont dépend l'établissement Jean-Moulin.

Les personnes qui travaillent à la cuisine ou en salle sont entourées et accompagnées par des « moniteurs » soucieux de leur bien-être. Ces derniers, portent désormais la double casquette de moniteur d'atelier et de cafetier-restaurateur ;il leur faut à la fois satisfaire les clients et être attentif aux « ouvriers », des personnes fragiles. « Nous sommes d'abord une structure médico-sociale, insiste Claudie Meynier, monitrice d'atelier. Nous sommes aux côtés des personnes sourdes pour les aider à gagner toujours un peu plus en autonomie. »

Ces dernières ont appelé le bar la « tour de contrôle » car le moniteur d'atelier qui s'y trouve doit pouvoir observer tout ce qui se passe. Trois « ouvriers » travaillent en salle, entourés de deux moniteurs, et trois sont en cuisine, accompagnés d'un cuisinier qui a appris le langage des sourds. Ils ont suivi une formation adaptée dans un GRETA : quatre séances de quatre heures pour apprendre les techniques de dressage de table, le port et le débarrassage des assiettes, l'utilisation et l'entretien de la machine à café, l'accueil du client, la prise de commande et la tenue professionnelle, qui comprend l'hygiène corporelle.

Un pari éducatif

Ce projet est le résultat d'un concours de circonstances et de la volonté de l'ensemble des partenaires, notamment de Martine Lejeau-Perry, directrice du CATC. « L'idée a germé d'externaliser l'atelier cuisine lorsque le café qui se trouvait juste en face a fermé, raconte-t-elle. Cela a été le déclic. De notre côté, nous avions une pratique et un savoir-faire de travail de restauration avec des sourds. » Ensuite, s'est engagée une réflexion au sein de l'équipe du CATC et d'Entraide universitaire sur la place de ces personnes dans la société et la recherche de partenaires financiers a commencé.

« Au-delà de la décoration et des éléments techniques qu'il a fallu penser jusqu'au moindre détail, notre réflexion de fond portait sur l'intérêt que pouvait avoir, pour les personnes qui travaillaient au centre, une structure ouverte sur la ville », raconte Daniel Seguret. « L'objectif ordinaire d'un centre d'aide par le travail est l'insertion des personnes handicapées. Nous avons voulu en ajouter un deuxième, créer du lien entre les sourds et les entendants, des populations qui d'habitude ne se rencontrent pas. » Le café est aussi un lieu qui permet aux sourds de se retrouver et de prendre conscience que travailler en milieu ouvert leur est possible. Le projet vise également à rompre leur isolement et renforcer leur sentiment de citoyenneté.

UNE CHARTE POUR UNE PRISE EN CHARGE DE QUALITÉ

L'association Entraide universitaire a rédigé une charte qui pose les principes communs aux établissements médico-sociaux pour les enfants, les adolescents et les adultes sourds. Elle repose sur la prise en compte de la diversité des personnes.

L'Entraide universitaire considère que toute personne sourde est avant tout un sujet, avec son histoire, son parcours et son environnement. Elle estime que l'intégration et l'insertion des jeunes sourds relèvent du principe de l'altérité, c'est-à-dire de la reconnaissance de l'autre comme semblable et différent. Enfin, elle affirme que la communication est le vecteur essentiel de la relation à l'autre. Elle refuse tout parti pris arbitraire quant au choix des méthodes et des langues. Elle encourage le développement dans ses établissements de toutes les approches favorisant l'acquisition du langage oral et écrit, condition d'une meilleure autonomie sociale.

Cette charte propose aussi de favoriser une réflexion des professionnels sourds et entendants et d'assurer une synergie entre les établissements.

Seul problème, la nécessité de trouver des financements complémentaires pour parvenir à le réaliser. Le dossier, bien ficelé et porté avec beaucoup d'enthousiasme, a convaincu la direction des affaires sanitaires et sociales de Paris, le conseil régional d'Ile-de-France - qui a versé une subvention de 54 881  € - et la Ville de Paris. Les aides européennes ont suivi, ainsi que de nombreux sponsors privés (4).

Mais l'investissement n'était pas que financier, comme le raconte Alain Benrubi, l'architecte du Café Signes. « C'est par le rythme lent et décalé de nos premiers échanges entre sourds et entendants, en présence d'une traductrice, que j'ai compris que mon implication dépasserait, et de loin, le simple geste de “déco” pour participer à une aventure passionnante et socialement novatrice : la création d'une structure pionnière, passerelle entre sourds et entendants. »

Les éclairages sont conçus pour qu'il n'y ait ni contre- jour, ni clair-obscur, ni lumières tamisées, afin que les gestes soient perçus le plus distinctement possible par tous et de n'importe quel endroit. Les lumières ne servent pas à créer de l'ambiance mais des points de repère pour les sourds : elles doivent attirer le regard comme les deux lampes phares du comptoir ou les lumières d'appel des serveurs au- dessus des tables. Le sol est clair dans un souci de contraste, les tables sont en bois car un poing tapé dessus - signe de « bon appétit »  - y résonne bien. Tout est pensé pour faciliter la communication. « Nous avons également prévu des recoins pour que les clients sourds qui veulent se “dire” des choses en toute intimité, puissent le faire car le chuchotement n'existe pas pour eux », précise Frédéric Merlet, moniteur d'atelier et cafetier.

Quelques mois avant l'ouverture du café, une annonce a été affichée dans les locaux du CATC pour « recruter » des serveurs et des aides-cuisiniers. Ceux qui le souhaitaient pouvaient inscrire leur nom sur la feuille. Valérie Siroux et Bruce Jacoud ont été parmi les premiers à se lancer et, depuis, leur enthousiasme n'a jamais baissé. Pourtant le travail est physiquement dur. « J'ai proposé à Valérie de retourner pendant un petit temps à son atelier de conditionnement, car elle me paraissait fatiguée, raconte Claudie. Elle a accepté au bout de longues discussions, car elle voulait à tout prix continuer. » « Parfois, certains ouvriers craquent, ils décompensent. A nous de décoder les signes avant- coureurs », poursuit Frédéric Merlet. Aujourd'hui, Valérie est de retour au café où elle fait désormais partie de l'équipe, tout comme Bruce, qui auparavant travaillait à l'atelier bijoux. « Je m'ennuyais à la longue. Ici je me sens bien et j'aime venir y travailler. »

Sur chaque table, un petit manuel explique aux clients entendants quelques rudiments du langage des signes et donne des conseils pour entrer en contact avec le serveur : agiter la main et faire « hou-hou » dans sa direction, lui tapoter le bras, taper du pied pour créer des vibrations, dire au voisin d'appeler son homologue et parvenir jusqu'à lui ou, enfin, utiliser le signal lumineux à proximité de la table. De leur côté, les serveurs ont dans leur poche un vibreur. « Une vibration leur indique que le plat est prêt, deux qu'ils sont en retard, trois... qu'ils sont virés ! », plaisante Martine Lejeau-Perry.

Une expérience, pas un modèle

« Il serait très hasardeux de vouloir démultiplier l'expérience », met en garde Daniel Seguret. « La tentation serait grande de faire des filiales de Café Signes, mais ce serait passer totalement à côté de ce que nous avons voulu faire », affirme- t-il. Nous sommes partis d'un souhait exprimé par les personnes sourdes qui travaillaient dans le CATC et, de là, nous avons construit un projet. »

Le risque serait bien de vouloir faire de cette structure un modèle alors qu'aux yeux de ses initiateurs, c'est la démarche qui mérite d'être reconduite. Au cœur de ce projet, il y a la conviction que les personnes sourdes avec des handicaps associés sont des citoyens comme les autres. « Le Café Signes a révélé beaucoup de compétences », se réjouit Martine Lejeau- Perry. « Ce n'est pas l'institution qui insère mais ce sont les personnes qui s'insèrent. » Et, cerise sur le gâteau, grâce à la réouverture du café, le quartier revit...

Elisabeth Kulakowska

UN CENTRE D'AIDE PAR LE TRAVAIL PIONNIER

Le centre d'aide par le travail et la communication (CATC) Jean-Moulin existe depuis 1986. Il accueille 45 adultes, dont la surdité, associée à d'autres handicaps, a affecté les capacités de communication et d'adaptation relationnelle. L'inadaptation sociale et professionnelle, et parfois même l'exclusion qui en découle, exige une prise en charge spécialisée. L'usage par tous de la langue des signes est un élément central du projet d'insertion. L'équipe est constituée de professionnels entendants et sourds.

Le centre Jean-Moulin a été le premier établissement à Paris à accueillir des personnes sourdes avec troubles associés. Il offre une prise en charge simultanée en CAT et en foyer d'hébergement (15 places). Outre l'activité cuisine, il propose cinq autres ateliers : bijoux, conditionnement, informatique, repassage et couture.

Notes

(1)  Café Signes : 33, avenue Jean-Moulin - 75014 Paris - Tél. 01 45 39 37 40.

(2)  CATC Jean-Moulin : 40, avenue Jean-Moulin - 75014 Paris - Tél. 01 40 52 81 10.

(3)  Qui gère 35 établissements et services, accueille 2 000 personnes, enfants, adolescents et adultes en situation de handicap ou en difficultés sociales et emploie 1 000 salariés - Entraide universitaire : 31, rue d'Alésia - 75014 Paris - Tél. 01 40 47 93 02.

(4)  Sodexho, Dalkia, IBM, Heineken, Sicli, Santos, Cafés Richard, Azur GMF, Air France, l'agence de communication Dialogue et Stratégie.

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