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Accompagner les mères le plus tôt possible

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Depuis près de deux ans, l'équipe du CALME accueille des jeunes et futures mères en difficulté. Elle mène une action de prévention précoce en abordant avec elles leurs problèmes relationnels et affectifs et en les accompagnant vers l'autonomie. Cette expérience, plutôt rare dans le paysage médico-social, souffre néanmoins du retard des financements.

Il y a le salon qui sert d'espace d'accueil, avec son divan et ses jouets d'enfants traînant çà et là. Il y a aussi le coin cuisine où l'on prépare des goûters à partager ou des soirées crêpes, l'endroit réservé aux soins des bébés et, à côté du bureau de l'éducatrice spécialisée, une salle où s'entassent des vêtements d'enfants. Posés à part, cinq sacs ont été remplis de layette donnée par des associations. Sur chacun figure une étiquette au nom d'une des cinq mamans qui vont accoucher prochainement.

Les femmes qui poussent la porte du Centre d'accueil et de logement pour mère et enfant (CALME), un appartement situé à Vaulx-en-Velin Village (1), un peu à l'écart des grands ensembles de cette banlieue lyonnaise, sont très souvent dans un dénuement extrême :difficultés matérielles, sociales et administratives, souffrances affectives et psychologiques. C'est pour soutenir ces futures ou jeunes mères qu'une équipe de travailleurs sociaux a créé, en septembre 2001, cette structure. « Auparavant, avec Jean-Louis David [le fondateur] , nous nous occupions de la réinsertion de chômeurs de longue durée et de jeunes en échec scolaire. Nous étions souvent confrontés à des jeunes mères vivant des situations très chaotiques. Certaines avaient été mises à la porte, d'autres au contraire restaient calfeutrées chez elles, et toutes avaient une relation très perturbée avec leur enfant », raconte Colette Duda, accueillante bénévole.

Au centre, il s'agit d'aborder toutes les questions apparaissant dès le début de la grossesse (le désir réel d'enfant, le souhait de le garder, la place du père...). « Nous pensons qu'en nous occupant des mamans très en amont, nous permettons aux bébés de bénéficier d'un climat plus serein », explique Jean-Louis David, vice-président de l'association et accueillant bénévole. Ce qui se passe autour de la naissance est fondateur et déterminant pour la construction de l'enfant et ses choix de vie plus tard à l'adolescence. Là où la plupart des structures existantes ne prennent en compte les futures mères qu'à partir du septième mois, l'équipe - six bénévoles accueillants (par ailleurs professionnels de l'action sociale) et une éducatrice spécialisée - suit les femmes dès qu'elles sont enceintes et jusqu'à neuf mois après l'accouchement. Elle mène une action précoce de prévention axée sur l'accueil, l'écoute et l'accompa- gnement.

Orientées principalement par la Maison du département du Rhône, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale  (CHRS) et quelques maternités de l'agglomération lyonnaise, les jeunes femmes trouvent d'abord un lieu où la neutralité est de rigueur. Cette attitude, qui exclut tout jugement, toute crainte d'un signalement ou d'une mesure de placement de l'enfant, leur permet souvent de recréer un lien avec l'environnement familial et social. « La Maison du département du Rhône nous a récemment sollicités pour une jeune femme qui a fait des séjours dans des services psychiatriques et qui doit accoucher bientôt. Ayant très mal vécu une thérapie, elle ne voulait plus entendre parler de suivi psychiatrique et la situation était bloquée avec l'assistante sociale, raconte Isabelle Suszko, éducatrice spécialisée. Notre travail consiste d'abord à instaurer un climat de confiance. Nous proposons une étape intermédiaire afin qu'elle puisse envisager ultérieurement un soutien thérapeutique. »

LA RECONNAISSANCE PAR L'ÉCOUTE

« Les femmes qui arrivent ici pour la première fois ont un énorme besoin de parler. Pour le contact initial, nous sommes deux à accueillir la jeune femme, ce qui permet, lorsqu'il y a un débordement de parole, de modérer, d'éviter qu'elle ne rentre dans des choses trop intimes. De même, lors des entretiens individuels, je suis beaucoup dans l'écoute et j'évite de l'interroger sur des événements trop douloureux, comme un viol par exemple. A travers cette attitude, nous cherchons surtout à combler un manque important de reconnaissance. » Isabelle Suszko, éducatrice spécialisée.

Cette écoute préalable et « bienveillante », pratiquée par l'éducatrice spécialisée à travers des entretiens individuels (dont la périodicité relève du choix des jeunes femmes), se révèle d'autant plus importante qu'elle intervient à un moment où la question des relations familiales (notamment de la place de la propre mère de ces femmes) réapparaît de façon exacerbée (voir encadré).

La plupart des personnes accueillies au centre sont dans une situation d'isolement à la suite d'une cassure, d'une séparation violente d'avec la famille et la question de la détérioration du maillon maternel est réactivée ; l'identification d'une future maman à sa propre mère peut alors se révéler très difficile. « J'ai réalisé que pour certaines d'entre elles, je deviens une sorte de substitut maternel. Je ne crois pas qu'il s'agisse de la mère biologique au sens strict, mais de la place qu'occupe la mère en général. Me conférer ce rôle peut être une façon de faire le deuil d'une “mauvaise” mère afin d'accepter d'être maman à leur tour », note Isabelle Suszko.

A cette image dégradée de la mère répond l'absence quasi systématique de référent masculin. Quelle peut être la place de l'homme, et du père notamment, dans les parcours de ces futures mères isolées que ne rencontrent souvent, pendant leur grossesse, que des intervenantes féminines (puéricultrice, assistante sociale, sage- femme...)  ?, s'interrogent les membres du CALME. La mixité dans l'accueil et le suivi, mais également au conseil d'administration, vise à réintroduire la place, même symbolique, du père dans l'esprit de la mère et la réalité de l'enfant. Les jeunes femmes qui viennent au centre avec leurs enfants peuvent les confier à l'équipe mixte d'accueillants pendant leur entretien avec l'éducatrice. « Quand Jean-Louis David joue avec les petits, va voir une mère pour lui dire que son enfant a besoin d'être changé ou de prendre son biberon, il apporte l'image de l'homme », explique Colette Duda.

Parallèlement à ce travail de restauration de leur image de mère et de clarification de leur choix d'avoir un enfant, l'association s'appuie sur un réseau de partenaires pour aider les jeunes femmes dans leurs démarches administratives, leurs recherches de logement ou d'emploi et pour les orienter, en cas de difficultés relationnelles avec leur enfant, vers d'autres structures : la protection maternelle et infantile ou les centres médico-psychologiques.

Des actions spécifiques sont également menées pour venir en aide aux femmes issues de l'immigration, qui constituent une grande partie du public accueilli. L'équipe du CALME est ainsi amenée à effectuer des démarches auprès du service social d'aide aux émigrants ou de la Cimade pour examiner les droits des femmes enceintes étrangères dont le titre de séjour est périmé. Il lui arrive aussi d'organiser des actions de soutien avec des associations spécialisées pour éviter l'expulsion de mères en danger dans leur pays d'origine. Sensibilisés aux différences culturelles et formés, les membres de l'association tentent de faire évoluer certaines habitudes et apportent notamment leur appui aux femmes qui refusent la polygamie ou l'excision.

Mais l'urgence, insistent-ils, demeure l'hébergement des mères. Sur les 49 femmes accueillies l'an dernier, plus des deux tiers étaient sans logement, les unes voyant s'achever leur séjour en structure d'accueil et les autres vivant chez des amis quand elles n'étaient pas simplement à la rue. Outre les aides habituelles apportées aux démarches de demandes de logement, le CALME a monté un dispositif avec plusieurs associations afin de pouvoir disposer dès septembre d'un appartement à Caluire-et-Cuire, dans l'agglomération lyonnaise.

Prévu pour recevoir deux mamans avec leur bébé (et, le cas échéant, leurs autres enfants) pour une durée de trois à six mois, ce logement est primordial pour la construction de la relation entre la mère et l'enfant. Les jeunes mamans « doivent pouvoir disposer d'un lieu à elles afin d'avoir ce temps de “cocooning”, de fusion indispensable au renforcement du lien avec le bébé, précise Jean-Louis David. Cet appartement est d'autant plus important qu'il représente une alternative aux structures collectives dans lesquelles ont toujours évolué ces femmes. Enfants, elles ont été placées, à l'adolescence elles se retrouvent souvent encore en collectivité parce qu'il y a eu des problèmes... Aussi être maman avec un bébé dans ce type de structure leur est insupportable. » L'appartement permettra également à certaines mères de faire l'apprentissage de l'autonomie, étape intermédiaire indispensable avant la recherche d'un logement indépendant (sous la forme d'un bail glissant, par exemple). Très attendu, cet outil supplémentaire sera néanmoins réservé aux personnes disposant d'un revenu et exclura les femmes étrangères sans papiers.

Autre évolution envisagée : ouvrir le centre lors d'animations régulières à des femmes du quartier pour élargir les échanges et les expériences à travers une parole autre que celle des travailleurs sociaux. L'occasion aussi, argumente Colette Duda, « de valoriser ces personnes, dans la mesure où elles ne seront plus seulement ici pour recevoir, mais pour apporter des plats qu'elles savent cuisiner, des gâteaux... ».

Incontournable, la supervision

Ces orientations devraient être précisées lors de la supervision. Cette démarche avait déjà été entamée avec deux psychanalystes extérieurs avant l'ouverture du centre pour détailler les objectifs et s'assurer de la justesse des pratiques à mettre en œuvre. Après avoir éclairci des questions telles que la notion d'accueil, la structuration du centre ou encore la répartition des champs d'action entre l'intervenant professionnel et les bénévoles, les membres de l'association s'apprêtent à reprendre ces séances de travail pour intégrer les changements à venir. Ce qu'ils envisagent d'ailleurs avec beaucoup de prudence, attendant toujours le versement de la subvention du conseil général pour 2002 (2). « Nous sommes dans une situation contradictoire. Alors que notre travail commence à être reconnu par les partenaires et que des institutions comme la mission régionale d'information sur l'exclusion de Rhône-Alpes nous invite à venir exposer notre démarche, nous fonctionnons sur des fonds de tiroirs, malgré les assurances qui nous avaient été données », déplore Jean-Louis David.

Ce retard des financements pourrait mettre un terme au fonctionnement de la structure dès l'automne, selon l'équipe. Il faudrait alors se résoudre à remballer les jouets et les vêtements pour enfants et à fermer ce lieu d'accompagnement. Un espace pourtant encore trop rare dans le paysage médico-social.

Henri Cormier

Notes

(1)  CALME : 48, rue Lamartine - 69120 Vaulx-en-Velin Village - Tél. 04 37 45 06 19.

(2)  Qui s'élève à 17 000  € pour un budget global de 55 000  € pour l'année 2002.

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