« En janvier dernier, un homme est venu me rapporter un catalogue en me disant “non, ces vacances, c'est trop beau pour nous” », se souvient Catherine Lannes, directrice de la maison de quartier de Chennevières, à Saint-Ouen-l'Aumône. Revenus trop faibles, obstacles d'ordre culturel et psychologique : manque d'habitude, méconnaissance des offres et des structures touristiques, angoisse à l'idée de partir pour la première fois... Près de 40 % des Français ne partent pas en vacances, selon une étude de l'INSEE effectuée en 1999. Le chemin paraît donc encore bien long pour que « l'égal accès de tous aux vacances », inscrit dans la loi de juillet 1998, devienne une réalité.
Depuis plus de dix ans, l'association Vacances ouvertes (1) tente de faire un bout de ce chemin en développant une action d'aide au départ en vacances auprès des structures et institutions locales : les services jeunesse des mairies, les centres sociaux, les associations d'habitants, les caisses d'allocations familiales (CAF), les conseils généraux...
Créée en 1990 par Edmond Maire, alors président des Villages Vacances Familles, l'association a centré son action sur l'accès aux vacances des familles et les départs autonomes des jeunes. « Nous ne sommes en aucun cas des organisateurs de vacances, mais des facilitateurs, précise d'emblée Marie-Magdeleine Hilaire, sa déléguée générale. Nous sommes là pour aider à monter des projets, mettre en place une méthode. »
A travers des études annuelles portant sur l'élaboration de politiques de vacances et une série de formations destinées aux initiateurs de dispositifs d'aide aux départs, l'association diffuse le savoir-faire qu'elle a engrangé au cours des 13 dernières années.
Pas question de porter un jugement sur la validité des projets retenus par les publics concernés, mais de transmettre aux porteurs de projets des messages plus techniques. Les études publiées régulièrement par Vacances ouvertes passent ainsi au crible la prise en charge des risques liés au départ, l'importance de l'épargne en prévision des vacances, les montages financiers ou encore le rôle du groupe.
Parallèlement à la diffusion de cette expertise, l'association apporte une aide financière sous forme de chèques-vacances (fournis par l'Agence nationale du chèque-vacances [ANCV]) distribués gratuitement aux structures locales dont les projets de départ en famille ont été retenus. Un soutien accueilli positivement. « C'est moins stigmatisant que de devoir faire appel à des associations caritatives. On n'a pas l'impression de tendre la main », commente Catherine Lannes.
En plus, l'association propose aux travailleurs sociaux et bénévoles de participer à des ateliers afin d'échanger sur leurs pratiques. Ces rencontres permettent de faire évoluer les modes d'intervention de chacun en réexaminant les problématiques sous-tendues par le départ de ces familles. Les ateliers peuvent ainsi être l'occasion de réévaluer les objectifs éducatifs poursuivis. « J'ai appris à simplifier les enjeux de ces vacances. Au début, on est dans une recherche un peu exigeante d'insertion des familles en difficulté. Aujourd'hui je me suis fixé des objectifs plus simples, comme le développement de l'autonomie ou la responsabilisation des pères pour qu'ils reprennent leur rôle au sein de la famille pendant ces vacances », témoigne Catherine Lannes.
Ces groupes de travail ont permis à d'autres de mesurer combien il était important de faire participer financièrement ou encore d'associer étroitement les familles à la préparation des vacances. « J'ai réalisé à quel point il était nécessaire de jouer la transparence avec elles en leur communiquant clairement les objectifs des professionnels afin de ne pas créer des situations difficiles pendant le séjour, souligne Corinne Paulien, conseillère en économie sociale et familiale au centre social de la Pépinière à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Je me souviens en particulier d'un travailleur social qui avait accompagné un groupe de 45 femmes et enfants d'origine maghrébine en pension complète dans un centre de vacances à Saint-Raphaël. Il avait été obligé de s'occuper des loisirs des enfants et de gérer des conflits avec les autres vacanciers, car ce groupe, en raison de sa taille, avait généré des rivalités, de l'exclusion. Cette situation était due à un manque d'explications et de préparation en amont. »
Certaines structures engagées dans des dispositifs d'accès aux vacances pour les familles viennent aussi chercher auprès de l'association un partenaire de poids, très au fait des politiques locales d'aide aux départs, pour débloquer des subventions auprès des institutions : « Notre centre social est géré par la caisse d'allocations familiales qui n'a pas prévu, dans notre département, d'aides aux vacances pour les familles, précise Corinne Paulien .Avec sa connaissance des différents dispositifs existant sur le terrain, Vacances ouvertes m'a permis d'obtenir un cofinancement de la CAF. »
En 2002, Vacances ouvertes a organisé 15 ateliers d'échanges de pratiques pour les salariés et bénévoles chargés de projets de vacances et une quarantaine de journées de formation. L'association a soutenu 148 projets de départ en vacances familiales et distribué, dans le cadre de ces opérations, l'équivalent de 175 000 € en chèques-vacances à 1 675 familles. Pour les départs en vacances autonomes, l'association a permis à 1 800 jeunes de bénéficier du dispositif « Sac Ados » l'an dernier et à 115 jeunes de partir avec l'opération « TRACE tes vacances ».
Deuxième grand domaine d'intervention de l'association : l'accès aux vacances autonomes des jeunes de 16 à 25 ans. Lancé depuis cinq ans, le dispositif « Sac Ados » propose par exemple aux structures, comme les services jeunesse, un outil d'aide aux départs des jeunes, sous la forme d'un sac à dos de randonnée.
Il se présente comme un kit du vacancier mêlant aides financières (chèques- vacances, chèques-repas, bons SNCF, etc.), appuis matériels ou logistiques (carte téléphonique, carte d'assistance rapatriement) et informations pratiques ou de prévention (carte de France et des auberges de jeunesse, information sida). Ces packs vendus aux collectivités territoriales permettent surtout aux porteurs de projets de développer des actions d'aides au départ autonome cohérentes en s'appuyant, là encore, sur l'expertise de l'association et sur les rencontres organisées entre les travailleurs sociaux.
La sélection des bénéficiaires constitue un élément essentiel dans la réussite de cette opération. Attention à ne pas impliquer plus de jeunes dans l'opération que l'on ne dispose de « Sac Ados » et à mettre en place un cadre d'attribution clair des aides. « Au risque, sinon, de susciter des sentiments de frustration et d'injustice et de provoquer des débordements dans les services jeunesse », prévient Marie-Magdeleine Hilaire.
Les structures doivent également veiller à avoir l'autorisation des parents. « Même s'il est difficile de rencontrer les familles de ces mineurs souvent issus de milieux défavorisés, nous avons une obligation morale qui nous interdit de les faire partir sans avoir obtenu au préalable une signature des parents nous garantissant qu'ils sont au courant de ce départ », explique Nadine Darfour, coordinatrice du secteur jeunesse à la maison des jeunes et de la culture Relief de Morangis.
Enfin, les organisateurs doivent comprendre que les enjeux éducatifs commencent dès la préparation des projets. « La première année, explique Nadine Darfour, nous avions demandé aux jeunes de présenter une exposition photos au retour de leurs vacances. Il fallait courir après eux, les stimuler en permanence et, finalement, ils faisaient ça à la va-vite pour se débarrasser d'une pseudo-promesse qu'ils nous avaient faite. Nous avons donc décidé de fixer une contrepartie avant le départ, en les faisant travailler sur la mise en forme d'un projet cohérent, ce qui est déjà très difficile pour certains jeunes. »
Reste qu'il n'est pas toujours aisé de cibler le public de jeunes défavorisés susceptibles de bénéficier des projets de vacances autonomes, reconnaissent les responsables de Vacances ouvertes. L'association a ainsi lancé en 2002 un dispositif expérimental intitulé « TRACE tes vacances ». Poursuivie cette année, l'opération (menée en partenariat avec l'ANCV) a permis de distribuer des bourses à des jeunes inscrits dans le parcours TRACE et d'apporter un soutien méthodologique aux conseillers d'une cinquantaine de missions locales. Lesquels trouvent dans le dispositif un outil d'insertion supplémentaire : les jeunes apprennent en effet à choisir sur Internet ou par téléphone un lieu d'hébergement, à organiser leurs loisirs, à prévoir un budget, à faire l'expérience de la mobilité. « “TRACE tes vacances” présente aussi l'avantage d'impliquer des personnes qui accompagnent les jeunes dans la durée, tandis que le turn-over important constaté au sein des services jeunesse empêche souvent le cumul d'expériences. C'est un peu le tonneau des Danaïdes », explique la déléguée géné- rale.
L'association cherche aussi à développer son action auprès des responsables des comités d'entreprises. Mais, s'ils sont convaincus des bénéfices que pourraient tirer certains employés à bas salaires de ces aides, ses responsables se heurtent au manque d'intérêt des représentants du personnel. « Ils disposent d'une grosse offre marchande et préfèrent par exemple acheter des séjours à Disneyland plutôt que de favoriser les départs en vacances des salariés qui n'ont pas les moyens financiers d'en prendre », déplore Marie- Magdeleine Hilaire.
L'association fonctionne avec un budget global d'environ un million d'euros financé par la direction générale de l'action sociale, le ministère de la Jeunesse, de l'Education nationale et de la Recherche, le secrétariat d'Etat au tourisme et la Caisse des dépôts et consignations. Mais ces deux derniers ont décidé de ne plus accorder de subventions, ce qui devrait l'amener à se tourner vers les caisses d'allocations familiales, la Mutualité sociale agricole et les conseils régionaux et à diffuser ainsi à une plus grande échelle son savoir-faire à travers des appels à projets régionaux. Cette réorganisation de l'activité ne modifiera en rien la raison d'être de Vacances ouvertes, tient à préciser Marie-Magdeleine Hilaire : « Aider à l'accès aux vacances, c'est lutter contre la relégation de certains publics en favorisant une mobilité vécue comme une ouverture sociale sur d'autres espaces. »
Henri Cormier
(1) Vacances Ouvertes : 1, rue de Metz - 75010 Paris - Tél. 01 56 03 92 92 -