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Les tisseurs de lien

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Aller à la rencontre des enfants et adolescents dans la rue, là où certains passent le plus clair de leur temps, pour entamer avec eux une démarche éducative. L'association Le Valdocco mène à Argenteuil (Val-d'Oise) un ensemble d'actions de prévention et de médiation afin de responsabiliser les jeunes et les adultes qui les entourent.

Ils sont une bonne trentaine, enfants et adolescents, rassemblés dans le jardin du Valdocco. Ce mercredi-là n'est pas tout à fait comme les autres. Pour marquer la fin de l'année scolaire, l'équipe d'animation a organisé des Olympiades. Une fois constituées, les équipes se placent aux quatre coins de la vaste pelouse pour l'épreuve de lancer de poids, de course en sac ou de chamboule-tout. Tout au long de l'année, ils sont de 150 à 200 jeunes à participer régulièrement aux activités. Ils habitent le quartier sensible du Val-d'Argent Nord- 17 000 habitants - ou celui, voisin, des Coteaux- Champagne-Martin-Luther-King. Le local de l'association est situé en un lieu intermédiaire, dans le quartier pavillonnaire des Coteaux. « Le Valdocco est un médiateur, qui crée du lien entre ces quartiers, entre les enfants, entre les différents adultes qui les entourent », explique Jean-Marie Petitclerc, directeur de l'association (1) et également à l'origine d'une association de prévention à Chanteloup-les-Vignes (2).

Le Valdocco s'est installé en 1995 à Argenteuil, dans une cité traumatisée par les émeutes qui avaient éclaté en 1991. Créée avec quelques habitants du quartier, l'association avait pour objet de répondre aux besoins non couverts dans la cité du Val-d'Argent Nord. « Des associations et des services municipaux intervenaient déjà, mais beaucoup d'adolescents leur échappaient. Soit pour des raisons financières, soit parce que les familles n'étaient pas en mesure d'effectuer une démarche institutionnelle d'inscription, soit encore parce que les jeunes n'étaient pas en capacité de respecter les règles. Et puis, toutes ces émeutes étaient le symptôme d'un effritement du lien », analyse Jean- Marie Petitclerc. Educateur spécialisé de formation et pionnier de la médiation sociale, il plaide depuis des années pour le renouvellement des politiques de prévention (3)

Pour aller à la rencontre des jeunes des quartiers et retisser peu à peu le lien social, l'équipe a choisi un outil privilégié : l'animation de rue. Chaque mercredi, quelques-uns des intervenants vont occuper les places de la cité du Val-d'Argent ou de la cité Champagne. « On va s'immerger dans le quartier. On met une grande nappe par terre, au milieu de la place, et on fait de la poterie, raconte avec passion Marie-Pierre Noiret, institutrice et bénévole de l'association. On accroche de grandes feuilles sur les murs et on fait de la peinture. »

Ici, pas d'inscription annuelle : on va chercher les jeunes dans la rue et on les amène petit à petit à l'association. Cette façon de faire est l'une des particularités du Valdocco, qui se veut complémentaire des autres structures du quartier. Elle participe d'une démarche d' « apprivoisement » de l'institutionnel. Elle est aussi l'un des éléments d'une stratégie dite « des trois A »  :approche, accroche, accompagnement. « Notre souci premier est d'approcher le jeune, quelle que soit l'activité, de créer un espace d'entrée en relation qui va nous permettre de travailler ensemble. L'accroche consiste ensuite à faire en sorte que se tisse une relation de confiance et d'alliance. Le jeune va pouvoir accepter les règles, être en position de demandeur d'accompagnement - s'il en éprouve le besoin - par rapport à l'association et nous allons élaborer ensemble des solutions pour répondre à ses difficultés », explique François Le Clère, éducateur de rue.

L'association approche entre 400 et 500 jeunes au travers de ses activités de prévention globale. Pour tenter d'apporter des réponses à l'échec scolaire, au désœuvrement, à la galère des enfants, aux difficultés parentales, elle met en œuvre tout un ensemble d'outils de socialisation : jeux, activités, sorties... Trois groupes d'accompagnement scolaire sont constitués pour l'école, le collège, le lycée, avec chaque fois un référent ; par exemple, une institutrice bénévole assure l'accompagnement scolaire des plus jeunes. Des membres de l'équipe, professionnels ou bénévoles, interviennent, ainsi que des étudiants - dont quelques élèves de l'Ecole polytechnique, avec laquelle une convention est signée chaque année.

Un match de football bat son plein sur la pelouse fraîchement coupée du jardin. Pantalon de velours malgré la chaleur, allure dégingandée, Jean-Marie Petitclerc est de la partie. Régulièrement, il interpelle un joueur. L'apprentissage du respect de la règle a toute sa place. « Pour que le plaisir de vivre ensemble puisse durer, il faut que les règles tiennent, observe François Le Clère. Valorisation, développement, socialisation, l'équipe a ces mots-là dans la tête. Des mots tout simples. » Des notions à partir desquelles l'association fonde son action. Il s'agit de valoriser les jeunes en favorisant leur expression, de les mettre en confiance en éclairant leurs ressources et leur potentiel, de pointer les difficultés mais sans s'y appesantir. L'équipe veut aider le jeune à grandir, le sécuriser en s'adaptant à chaque âge : de 8 à 25 ans.

La pédagogie est inspirée du courant salésien, initié au siècle dernier à Turin par Jean Bosco, pédagogue qui travaillait auprès des jeunes désœuvrés des faubourgs de cette ville. Elle est fondée sur la confiance et l'alliance, au sens où le jeune est considéré comme acteur du processus d'éducation. Chaque projet - animation de rue, activité sportive ou culturelle, sortie, camp - se construit à partir de la demande. « Je lutte beaucoup contre certains effets pervers de la politique de la ville qui finissent par créer de l'assistanat et donner aux jeunes le sentiment d'avoir droit à des loisirs coûteux », insiste Jean-Marie Petitclerc. D'où le principe de rétribution-contribution. « De façon générale, explique François Le Clère, si l'on finance une sortie, on demande toujours une contrepartie, un coup de main quelconque : nettoyer, monter des meubles, animer deux ou trois jeux le mercredi... »

Les adolescents participent ainsi à des chantiers éducatifs qui vont permettre le financement partiel des activités. Par exemple, le jardin du Valdocco, qui s'apparentait jusqu'à une période récente à une vaste friche, a été entièrement nettoyé et débroussaillé par les jeunes. Pour eux, une heure de tâche d'intérêt général équivaut à une remise de 5  € sur la participation à une activité. Chacun paiera d'autant moins cher sa participation, le week-end suivant, à une compétition de moto- l'opération « Team ville »  - dans le Doubs. Le travail accompli est visible, et d'autant plus valorisé qu'un représentant de la mairie va venir inaugurer ce nouvel espace vert.

Un autre champ est venu s'ajouter depuis peu aux différents pôles d'action de l'association : la prévention spécialisée. La création de ce service remonte au printemps 2002. Deux éducateurs spécialisés suivent, dans le cadre d'un accompagnement individualisé, des jeunes en grande difficulté et peuvent interpeller l'association sur une situation. « L'avantage est que nous constituons une même équipe. Nous n'avons pas à passer par une logique partenariale : la confiance que le jeune met dans l'éducateur, il va la mettre aussi dans l'association », estime François Le Clère.

Les éducateurs de rue participent, au même titre que les animateurs- médiateurs, bénévoles, stagiaires, aux animations de rue, à l'accompagnement scolaire, à certaines sorties. « Pour certains de nos collègues travailleurs sociaux, nous sommes un peu des bricoleurs. Pour moi, c'est une équipe mixte, diversifiée dans ses compétences. Cest cela qui permet une approche globale, par le biais de différents pôles d'intervention », observe François Le Clère. « On avait tendance au début à nous cantonner dans l'animation, alors qu'elle n'est pour nous qu'un outil pour entrer en relation avec l'enfant et sa famille, et mener un travail éducatif, se souvient Jean-Marie Petitclerc. Aujourd'hui, notre habilitation prévention spécialisée a réglé ce problème de légitimité. Nous sommes reconnus par tous. »

JEAN-MARIE PETITCLERC : « MIEUX ARTICULER PRÉVENTION ET SANCTION »

Que pensez-vous de la politique menée en matière de délinquance des jeunes ? - Il y a selon moi trois formes de délinquance :soit elle est un mode d'expression d'un mal-être, et la réponse à apporter ne peut être que l'écoute ; soit elle est un mode d'affirmation de soi, et on y répond par la valorisation du jeune ; soit, enfin, elle constitue un mode d'action, au sens où elle permet d'obtenir des choses, et dans ce cas, la réponse ne peut être que la sanction. On sort d'une période où l'on a interprété toute délinquance comme mode d'expression. Ne tombons pas dans l'excès inverse où l'on va interpréter toute délinquance comme mode d'action, et donc tout traiter par la sanction. Comment faire la part des choses ? - Très souvent, on veut apporter la réponse avant de poser le problème. Pourtant, on est face à une délinquance polysémique qui appelle une multitude de réponses. Il faut avant toute chose décoder ses différentes formes. On a eu tendance à instituer un corps de professionnels centrés sur l'écoute et pas du tout orientés vers la sanction. Alors qu'éduquer, c'est aussi sanctionner. La distinction de ces trois formes de délinquance fait partie de notre projet : si un jeune pète les plombs à l'association parce qu'il a vécu quelque chose de difficile chez lui, je vais l'écouter, pas appeler la police. Mais si le local est fracturé, j'appelle la police, je n'ai pas d'états d'âme. Cessons d'opposer prévention et sanction, sortons de cette fausse alternative pour mieux en articuler les termes et travaillons ensemble.

Les adultes doivent être cohérents

La rue - devenue pour certains le premier espace de vie, parfois même de résidence -, l'école et la famille : ces trois lieux sont ceux que souhaite investir l'association. Avec pour certitude que la difficulté majeure de ces enfants vient d'un manque de cohérence des adultes. « Chaque catégorie d'adultes passe son temps à dévaloriser les autres, note Jean- Marie Petitclerc. Pour les enseignants, la cité envahit l'école ; les parents accusent la mauvaise influence de la rue ; les aînés de la rue affirment aux jeunes : “Que tu bosses ou non, tu es dans un collège sans avenir.” Chaque porteur de repères discrédite les deux autres. Notre travail porte donc sur la cohérence. Nous essayons de créer du lien entre ces différents adultes qui accompagnent le jeune sur les chemins de l'éducation. »

Médiatrice, l'association l'est à plusieurs titres : entre la famille et l'institution scolaire et aussi au sein de la famille. Elle s'efforce de permettre le dialogue là où menace la rupture du lien. Elle a développé un réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des familles, mais aussi un groupe de parole. Ce dernier réunit une quinzaine de parents sur différents thèmes : « Comment réagir à un bulletin de notes ? », « Oser dire non », « Les sanctions », etc.

Parfois, les groupes de parole rassemblent des parents et des adolescents, avec un éducateur et une psychologue. « On parle beaucoup de démission des parents des cités, regrette Jean-Marie Petitclerc. Mais il est beaucoup plus difficile d'éduquer un jeune dans une cité que dans un centre-ville. Les enfants sentent le décalage entre les valeurs que défendent leurs père et mère et celles de l'environnement. Nous nous attachons à réveiller la conscience éducative de tous les adultes que nous rencontrons. Parce que la violence est le symptôme d'un déficit d'éducation, il appartient à chacun d'entre nous de se mobiliser. Nous avons tous, en tant que citoyens, une responsabilité éducative. »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Le Valdocco : 32, avenue Georges-Clémenceau - 95100 Argenteuil - Tél. 01 39 81 07 15.

(2)  Une expérience évoquée dans son ouvrage Pratiquer la médiation sociale - Un nouveau métier de la ville au service du lien social - Ed. Dunod - 2002. Voir ASH n° 2296 du 31-01-03.

(3)  Voir ASH n° 2048 du 27-04-97.

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