« Le Premier ministre déclarait en début d'année que “le consommateur était son maître en économie” et que la politique économique choisie, “attentive aux consommateurs, est celle du bon sens, le sens que donne le but du chemin”. Il déclarait aussi qu'en philosophie : “L'homme reste le but de l'homme.”
Pour notre part, nous observons un ordre social dans lequel la valeur dominante semble la production d'une offre de biens qui ne sont pas accessibles à tous et notamment aux citoyens jeunes et adultes en situation de précarité, de pauvreté et d'exclusion, toujours aussi nombreux.
Nous constatons une surenchère de l'avoir sur l'être, dans une société saturée d'images trompeuses, de publicités aguichantes, de téléfilms et d'émissions de télé-réalité brouillant les frontières entre fiction et réalité.
[...] Un véritable citoyen ne peut pas avoir qu'une alternative : être consommateur ou produit.
Il est bien entendu que l'économie doit être saine et que la croissance doit créer des richesses partagées par tous, condition indispensable à la cohésion sociale et à une vie de qualité pour tous. Mais, si l'homme et tous les hommes restent le but de l'économie, celle-ci doit impérativement redéfinir un modèle de développement mobilisant l'ensemble des acteurs de la société pour formuler des propositions et des choix pour une stratégie triplement gagnante : socialement, économiquement et pour le respect de l'environnement culturel et naturel. Nous en sommes très loin à en juger par l'activité, les plans sociaux et un patrimoine environnemental trop fréquemment détruit.
De nombreux entrepreneurs et chefs d'entreprise ont une parfaite conscience de leur mission sociale fondamentale respectant l'homme. L'économie marchande et l'économie dite “sociale” sont-elles différentes dans leurs objectifs, ou bien partagent-elles ensemble le respect d'un objectif commun : être au service de tout homme et de tous les hommes ?
Les acteurs des secteurs associatif, mutualiste et coopératif se sont regroupés dans “l'économie sociale”. Ils recherchent une reconnaissance légitime du volume des échanges économiques et financiers que génèrent leurs activités. Ils cherchent également à faire reconnaître une représentativité de leur rôle d'employeurs. Contribuant à la cohésion sociale, favorisant l'expression de la citoyenneté, recherchant le développement de modes de gestion démocratiques, ils créent des emplois et produisent des services et des biens dans le respect des principes d'équité et de solidarité. Leurs ressources financières, largement issues de fonds socialisés, sont cependant dépendantes de l'économie générale... à laquelle ils participent. Leur poids économique et leur rôle d'employeur ne doivent pas les détourner du sens même de leur projet et de leur mission en prenant le risque d'être victime d'un “effet caméléon” les entraînant à adopter, par assimilation, purement et simplement, les méthodes et les objectifs de l'économie de marché.
Attention, notamment, à des stratégies de fusion ou de centralisation justifiées par des “objectifs d'économies d'échelle” qui pourraient être à contre- courant d'une décentralisation/déconcentration favorable à la revitalisation du tissu socio-économique dans des bassins de proximité...
Les projets des associations, des mutuelles et des coopératives sont décidés par des hommes libres de leur adhésion et ne recherchant aucun but lucratif pour eux-mêmes. Ils s'engagent à promouvoir une organisation et une gestion démocratique et transparente reconnaissant le rôle de tous les acteurs professionnels, bénévoles et volontaires. Ils se fixent pour mission exclusive d'accueillir, de soigner, d'éduquer, de former, d'accompagner ceux qui souffrent ou sont en difficulté sociale en leur reconnaissant créativité, compétence, savoir et capacité à être auteur et acteur de leur projet personnel.
L'économie sociale est un mouvement. Elle ne doit pas devenir un instrument. Les actes marchands et de gestion ne sont pas une finalité, même s'ils doivent être accomplis avec rigueur et professionnalisme. Construire des outils d'évaluation, apporter des services de qualité, veiller à la cohérence entre le projet et sa mise en œuvre, constituent la meilleure façon de résister à la dérive ou à la tentation d'adopter les méthodes de l'économie de marché. Au-delà des tâches de gestion, les acteurs de l'action sociale ont la responsabilité citoyenne et politique de jouer un rôle constructif d'alerte et de ne pas se laisser réduire à un rôle de réparation et d'assistance des conséquences sociales négatives d'une économie dure et brutale dominée par les objectifs financiers.
Le respect des principes de solidarité et d'équité érigés depuis 1945 a permis, dans une période de croissance, le financement public de la protection sociale que les associations et les mutuelles ont eu l'honneur et la responsabilité de gérer. Toutes les inégalités n'ont cependant pas été réduites, loin s'en faut.
Un nouvel environnement social, démographique, économique, territorial, européen et mondial nous oblige à nous interroger lucidement. D'une part, l'Etat providence n'a-t-il pas contribué à réduire l'attention et l'adhésion de la société civile déléguant la responsabilité des moyens de l'action exclusivement aux pouvoirs publics et provoquant le risque d'une assimilation des associations au secteur public ?D'autre part, aujourd'hui, le tout économique et le courant libéral européen menace le secteur social de la marchandisation.
Que faire, sinon rester vigilant, fidèle aux valeurs fondatrices et refuser d'être sous tutelle, soit des lois du marché, soit du secteur public ?
Pour que l'économie générale soit sociale, il apparaît indispensable de ne pas laisser réduire le rôle des acteurs associatifs, mutualistes et coopératifs à celui d'un simple appareil pour gérer autrement. Ne laissons pas “sous-traiter” le social à un secteur instrumentalisé. Il faut éviter le risque d'un clivage entre deux économies, l'une performante, triomphante et d'excellence, l'autre réparatrice des effets brutaux de la première. Pour cela, nous devons réaffirmer notre raison d'être fondamentale qui est d'ordre culturel, éthique et social, c'est-à-dire politique.
Un tel projet n'est-il pas susceptible de redonner un nouveau souffle aux mouvements associatifs et mutualistes en revitalisant les adhésions et un nouveau militantisme désintéressé ?
Il s'agit bien là d'une invitation à participer activement à la vie de la cité et à un choix de société.
“Et avant que vous ne quittiez le marché, voyez si personne n'est parti les mains vides. Car l'esprit maître de la terre ne reposera pas en paix sur le vent tant que les besoins du moindre d'entre vous n'auront pas été satisfaits” (Khalil Gibran, Le prophète ).
Le poète dit ces choses-là beaucoup mieux que le technocrate. »
Daniel Hardy Président de l'Uriopss de Bretagne : 203G, avenue Patton - BP 51628 -35016 Rennes cedex -Tél. 02 99 87 51 52.