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« SANS RÉFORME, LA PJJ EST VOUÉE à L'ÉCHEC »

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Au terme de trois ans d'enquête, la Cour des comptes vient de rendre public un rapport accablant qui dénonce officiellement la grande misère de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ). « Sous-administrée », «  abandonnée à elle-même », la PJJ doit être totalement restructurée. Ce qui rend indispensable une politique volontariste de l'Etat en faveur de la justice des mineurs.

Ce n'est pas la première fois que la protection judiciaire de la jeunesse est sévèrement épinglée. Mais, contrairement au récent rapport sénatorial sur la délinquance des mineurs (1), celui de la Cour des comptes rendu public le 8 juillet (2) ne prend pas pour cible les personnels et la résistance au changement qui leur est si souvent attribuée. Dans le collimateur : la structure même de cette direction opérationnelle du ministère de la Justice, qui mériterait selon la cour une réforme de fond en comble : « Les faiblesses de l'administration doivent être corrigées dans un cadre juridique et un environnement administratif qui exige un engagement plus large impliquant l'Etat », a déclaré sans ambages Jean-Pierre Gastinel, président de la 4e chambre de la cour, en présentant les conclusions de ce véritable réquisitoire.

La juridiction a voulu observer les pratiques de gestion et l'activité de la PJJ sur les exercices entre 1996 et 2000, sachant que, pendant cette période, cette dernière a bénéficié de plus de moyens pour répondre à l'augmentation de la délinquance des mineurs : ses crédits de fonctionnement ont progressé de 38 %, ceux d'investissement de 69 % et, de 1998 à 2002, 1 290 emplois supplémentaires d'éducateurs ont été créés, portant à 7 432 les effectifs. Or « cet accroissement sans précédent des ressources de la PJJ ne s'est pas traduit par leur utilisation satisfaisante, pas plus que par une efficacité accrue de la part des services [...] », déplorent les rapporteurs.

Dénoncé au premier plan : le fonctionnement même de l'administration centrale, qualifiée de « structure fragile, dont la capacité de pilotage est limitée ». La cour relève notamment que le secteur public de la PJJ et le secteur privé (associations habilitées) sont suivis- pour des raisons historiques qui n'ont plus lieu d'être - par deux sous-directions indépendantes, cloisonnement qui rend impossible toute coordination des coûts et des fonctionnements. « La direction de la PJJ ne dispose pas des outils statistiques permettant de distinguer clairement la capacité des établissements, le nombre de jeunes inscrits et le nombre de jeunes présents dans ces derniers, et ne connaît que de façon très approximative les capacités d'accueil dans ses propres structures [...], ajoute le rapport. De surcroît, l'administration centrale manque de moyens humains (164 agents en 2000, dont une minorité de cadres) pour mener à bien « le nécessaire recentrage de [son] activité vers des missions de pilotage, d'impulsion et de synthèse. »

A ces difficultés s'ajoute une organisation territoriale inadaptée, la cour jugeant que les 15 directions régionales sont insuffisantes pour couvrir sérieusement l'en- semble des zones géographiques, alors qu'il serait judicieux de fusionner certaines des 100 directions départementales, aujourd'hui maintenues « en dessous du seuil de viabilité ». A cette incohérence se joint l'absence de véritable animation départementale, du fait de « l'éparpillement excessif » des 375 structures publiques, qu'il conviendrait de rapprocher et de « mettre en réseau ». Et du retard dans la mise en place des schémas départementaux créés par la loi du 6 janvier 1986 sur la décentralisation pour répondre à deux objectifs : planifier les actions en matière de protection judiciaire et administrative, et clarifier la répartition des compétences entre l'Etat et les départements qui interviennent tous deux dans l'habilitation des associations. Une autre difficulté pour superviser correctement les missions, pointent encore les rapporteurs, tient à « la typologie des services de la PJJ », qui « ne correspond pas à des missions clairement définies ». Seuls les services éducatifs auprès des tribunaux  (SEAT) relèvent d'un texte réglementaire (l'arrêté du 30 juillet 1987), les autres dépendent d'arrêtés départementaux « qui se bornent à constater l'état des lieux et énumèrent une liste de services ».

Une gestion erratique des effectifs

La nécessaire réorganisation de la PJJ doit s'accompagner d'une meilleure gestion de ses moyens, notamment humains. La multiplication des statuts de personnel (trois corps distincts existent pour les éducateurs depuis 1992) s'avère être une « source de rigidité qui s'oppose au recrutement de personnels motivés mais de niveau scolaire ou universitaire moins élevé [...] ». Le mode d'affectation nationale, « qui continue d'être géré par défaut et repose essentiellement sur le solde de postes laissés vacants à l'occasion des mouvements annuels de mobilité », devrait, selon les rapporteurs, être abandonné, pour privilégier une affectation départementale, incitant à la mobilité géographique, qui permettrait une meilleure adaptation aux besoins locaux. « Mais elle risque de se heurter aux réticences des syndicats attachés à la méthode traditionnelle », nuancent-ils, rappelant que les personnels préfèrent, en tout état de cause, être affectés à une structure.

Mauvais pilotage, défaut de gestion... Les failles structurelles de la protection judiciaire de la jeunesse débouchent immanquablement sur des situations très critiques sur le terrain. Ainsi, « il existe toujours une grave distorsion entre les besoins exprimés et les moyens alloués pour les satisfaire », surtout dans le milieu ouvert, qui pâtit d'une inadéquation entre le nombre de mineurs passant par les tribunaux et celui des éducateurs exerçant dans les services. Illustration : six éducateurs étaient, au moment de l'étude, en fonction auprès du tribunal de grande instance de Grenoble, alors qu'ils étaient 11 à Bobigny, pour un flux d'affaires dix fois plus élevé. Cette absence de régulation, conjuguée à l'augmentation du nombre de mesures, a conduit à un délai d'attente d'exécution des mesures d'en moyenne 43 jours en 2000. L'Ile- de-France, le Pas-de-Calais, la région Rhône-Alpes, l'Auvergne et l'Alsace accusent des retards encore plus importants.

Ce défaut de gestion a également des incidences en hébergement collectif : en 1999, la capacité des 35 foyers d'action éducative et des 53 centres d'action éducative (CAE) n'était utilisée qu'aux deux tiers, entraînant une situation absurde :trop nombreux le jour, augmentant le coût de fonctionnement des structures, les éducateurs restent en sous-effectif la nuit, période sensible pendant laquelle sont mobilisés les personnels les moins qualifiés... Le choix de l'implantation des centres éducatifs renforcés ne relève pas plus  « d'une rationalité exprimée, ni même apparente »  : aucun établissement de ce type n'existe par exemple dans la Seine-Saint-Denis, alors que la demande y est particulièrement élevée. « Il conviendrait pour les formules nouvelles, qui sont d'autant plus difficiles à mettre en place que les cahiers des charges ne sont pas suffisamment élaborés, tant sur le plan juridique que sur celui des objectifs à atteindre, de redéfinir les différents dispositifs ainsi que les conditions de travail des personnels », recommandent les rapporteurs. Qui égratignent au passage les centres de placement immédiat, où « l'encadrement et le suivi des jeunes ne paraissent pas convenablement assurés ».

De façon plus sévère encore, la cour condamne le manque d'emprise de la protection judiciaire de la jeunesse sur le secteur privé : la diversité des moyens de contrôle, qui peuvent dépendre de l'autorité judiciaire, des autorités administratives, des services, ou encore de l'inspection de la PJJ - dont les rapporteurs déplorent à la fois le manque de moyens et d'indépendance par rapport à la direction -, aboutit, paradoxalement, à une absence de surveillance. Ce vide « est surtout la conséquence d'une absence de coordination et de synergie entre les différents services susceptibles d'intervenir dans ce domaine qui, de ce fait, agissent en ordre dispersé », accusent les auteurs. Plus grave, les lieux de vie, qui relèvent du secteur non habilité, ne font l'objet d'aucune vérification. La PJJ rencontre même, détaille la cour, « des difficultés pour tenir un inventaire précis des lieux de vie existants, définir les règles de leur rémunération et contrôler leur activité, notamment du fait de l'absence du cahier des charges de ces structures et de l'éloignement géographique du mineur placé et de l'éducateur référent[...] ».

Pour finir, la juridiction préconise un «  recentrage  » des activités de la PJJ sur ses missions fondamentales, guidées par des objectifs précis et des indicateurs de résultats permettant une évaluation efficace. Et la définition par le gouvernement d'un cadre juridique solide et opposable, « analogue à celui qui existe aujourd'hui dans les domaines sanitaire, social et médico-social », faute de quoi l'impression demeurera que la PJJ « et plus globalement, l'ensemble de la justice des mineurs, sont largement abandonnées à elles-mêmes ».

Aussitôt les condamnations de la Cour des comptes rendues publiques, Dominique Perben, ministre de la Justice, a qualifié la PJJ d' « administration malade » qu'il s'apprête à réformer (voir encadré). Sans surprise, les syndicats ont plutôt favorablement accueilli ce coup de massue, venu conforter les cris d'alarme qu'ils lancent, en vain, depuis plusieurs années. «  La cour aurait dû également souligner que l'absence de politique claire de la PJJ s'explique par la priorité qu'elle donne à la mise en œuvre de la politique gouvernementale, laissant de côté tout ce qui concerne la gestion du personnel et les conditions de travail », commente néanmoins Claude Beuzelin, secrétaire générale du Syndicat national du personnel de l'éducation surveillée (SNPES) -PJJ/FSU. Régis Lemierre, secrétaire adjoint de l'Union nationale des syndicats autonomes  (UNSA) -SPJJ, habituellement plus modéré, n'est pas moins sévère envers la direction actuelle : « Depuis quelques mois, nous assistons au délitement de l'appareil central et à la mise en place d'un management technocratique, isolé du terrain, estime-t-il. Certes, des réformes sont en cours, mais sans consultation. Nous sommes confrontés à un véritable problème d'autisme. » Plus globalement, le SNPES- PJJ/FSU s'interroge sur la pertinence des questions soulevées par la Cour des comptes, dans la perspective de la décentralisation : « Dans le même temps, on condamne une direction qui ne contrôle pas assez ses services, et on se prépare à supprimer ses prérogatives pour confier l'assistance éducative aux conseils généraux, souligne Claude Beuzelin. C'est contradictoire. »

Les réponses du ministère

En adressant à la Cour des comptes ses « réponses contradictoires », exercice obligé, Dominique Perben, ministre de la Justice, a expliqué qu'une série de mesures était en cours pour réformer la protection judiciaire de la jeunesse d'ici à 2007. Un comité de pilotage associant le gouvernement, l'Assemblée des départements de France, l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille ainsi que les associations représentatives du secteur a été mis en place, afin d'engager, «  dès 2004  », la modernisation des relations entre les partenaires de la protection de l'enfance, notamment entre le secteur public et les associations. Un arrêté instituant une sous-direction des ressources humaines et des relations sociales vient d'être publié (voir ce numéro) et une carte des emplois de direction et de l'administration devrait être établie en 2004. Le chef de l'inspection devrait bientôt être missionné pour proposer, d'ici à 2004, une réorganisation des missions de contrôle des services. Un projet de décret, prévu pour la fin 2003, devrait définir les conditions minimales d'organisation et de fonctionnement des structures et la mise en place d'une organisation départementale, visant à rationaliser les implantations, est à l'étude.

Maryannick Le Bris

Notes

(1)  Voir ASH n° 2270 du 5-07-02.

(2)   « La protection judiciaire de la jeunesse, rapport public particulier », juillet 2003 - Direction des journaux officiels : 26, rue Desaix - 75727 Paris cedex 15 - Tél. 01 40 58 79 79.

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