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Bien vieillir à domicile

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La Mutualité sociale agricole expérimente, sur 19 sites locaux, un réseau gérontologique destiné à maintenir à domicile les personnes âgées dépendantes dans des conditions sanitaires et sociales optimales. A Baume-les-Dames (Doubs), professionnels de santé, travailleurs sociaux et hôpital de proximité font équipe depuis deux ans.

« Quand il n'y a pas de reconnaissance pour porter un projet, pas d'encouragement financier pour le travail accompli, les bonnes volontés s'essoufflent. » Philippe Lécuyer, médecin généraliste à Baume- les-Dames, parle d'expérience. Il fut, il y a 20 ans, avec des confrères libéraux conscients de la nécessité d'un soutien à domicile des personnes âgées, à l'initiative d'une association locale des professionnels de santé. Quelques années plus tard, la réflexion aboutira à un premier essai de coordination médico-sociale avec la participation d'intervenants sociaux locaux, limitée, faute de moyens, à quelques situations...

Depuis octobre 2000, la donne a changé. Né de la conjonction des volontés - celle des médecins locaux, des élus et de la Mutualité sociale agricole (MSA)  -, un réseau gérontologique a vu le jour sur ces quatre cantons ruraux, autour de la basse vallée du Doubs. Porté par l'Association centrale de coordination médico-sociale de la circonscription de l'hôpital Sainte-Croix de Baume-les-Dames (1), il offre un bilan médico-social et des propositions d'aide (services, aides techniques, soins...) à des personnes âgées dépendantes (GIR 1 à 4) qui rencontrent des difficultés dans leur vie quotidienne. Cet accompagnement global doit permettre leur maintien à domicile. Innovation du dispositif, les intervenants médicaux et paramédicaux perçoivent de la caisse locale d'assurance maladie dont relève la personne un forfait - variable selon les professionnels de santé, ce qui fait débat - destiné à la rémunération du temps de coordination.

L'admission dans le réseau se fait sous la responsabilité du médecin traitant, clé de voûte du système, et avec l'accord de la personne âgée et de sa famille. Le premier temps fort pour le patient est le bilan d'évaluation gériatrique, préalable à toute admission. Ce bilan est réalisé à l'hôpital local par une infirmière et, en principe, en présence du médecin traitant. Composé d'une douzaine de tests, il dure une demi- journée. Le réseau prend en charge le transport en ambulance. Et pourtant, « nous, médecins, n'étions pas d'accord pour que le bilan ait obligatoirement lieu à l'hôpital, précise Philippe Lécuyer. Pour la plupart des patients, parfois très dépendants, les examens peuvent se faire au domicile. » Instrument d'évaluation de l'état de santé et des besoins en soins du patient, ce bilan est cependant, pour certains, l'occasion de se familiariser avec l'hôpital. « Lorsqu'ils doivent revenir en hébergement temporaire, en convalescence ou dans le cadre d'un placement, observe Céline Bonnet, secrétaire du réseau, ils savent comment ça se passe. » « Il se crée des liens très forts pendant cette série d'examens, ajoute Marie-Christine Girardot, infirmière. J'ai souvent mieux connu des personnes en une demi-journée de bilan que pendant deux mois de séjour. Et quand elles reviennent, elles sont plus confiantes : elles nous connaissent, elles ont des repères. » Autre volet de l'évaluation, le bilan social, effectué à domicile par l'assistante sociale de la MSA. Celle-ci fait le point sur les conditions de vie de la personne et les aides à prévoir : interventions à domicile, adaptations du logement avec éventuel appui d'un ergothérapeute. Le bilan doit renseigner sur le mode de vie du patient, son entourage, ses difficultés et ses souhaits. A l'issue de cette double évaluation, l'équipe sait si une prise en charge à domicile est possible et peut définir un plan d'intervention.

C'est encore à domicile qu'a lieu le second temps fort de la prise en charge : la réunion de coordination, qui associe la personne âgée, son entourage et les professionnels concernés. « Nous y tenons, pour que la personne, dans son milieu habituel, se sente sécurisée, insiste Christiane Mainier, assistante sociale à la Mutualité sociale agricole et responsable de la coordination. Cela nous permet, en outre, de l'observer dans son environnement. » « C'est sans aucun doute un élément essentiel de notre action, ajoute Martine Darcq, responsable de l'action sanitaire et sociale à la MSA Franche-Comté. Car la satisfaction des gens vient bien de là. Enfin, on s'occupe d'eux, ils sont pris en charge individuellement, chez eux, et ne sont ni un simple dossier, ni un numéro. »

Autour d'une table de cuisine bien souvent, tous les intervenants sont présents : médecin, infirmière, kinésithérapeute, coordinatrice du service de soins infirmiers à domicile, assistante sociale, secrétaire du réseau, aide à domicile éventuellement. Les motifs de l'intervention et les principaux éléments de l'évaluation médico-sociale exposés, chacun peut faire part de ses observations, des besoins qu'il a décelés. « Enfin, on redemande de façon claire à la personne et à sa famille pourquoi elles ont sollicité le réseau, quels sont précisément leurs souhaits. Il s'agit de bien vérifier leur consentement : on ne peut pas leur proposer un service contre leur gré », insiste Christiane Mainier. Le plan d'aide, qui recense les aides et les services nécessaires, est alors défini, et la personne admise dans le réseau gérontologique. Celle-ci bénéficie d'une prise en charge à 100 % de ses frais médicaux et, sur prescription de son médecin et présentation d'une facture, d'une aide pour l'achat de produits non remboursés habituellement (crèmes, barres d'appui, coussin anti-escarres, semainier pour les médicaments, etc.). Ce concours (d'un montant maximal de 91,47 € par mois) est financé par des dérogations tarifaires de l'assurance maladie, tandis que le Fonds d'aide à la qualité des soins de ville prend en charge le secrétariat et le fonctionnement de l'association coordinatrice du réseau.

Aujourd'hui, 9 kinésithérapeutes, 25 infirmières et 31 médecins du secteur- la quasi-totalité - adhèrent au réseau. Ce faisant, les médecins s'engagent à suivre, s'ils ne l'ont pas déjà fait, une formation en gérontologie. L'association des médecins du secteur a d'ailleurs mis en place un programme de formation sur plusieurs années pour tous les libéraux qui interviennent, en collaboration avec le CHU de Besançon. A l'heure actuelle, sur ces 31 praticiens, 12 ont effectivement fait entrer des patients dans le réseau. « Si nous arrivons à 15, nous aurons gagné, estime Philippe Lécuyer. Car ensuite se posent des problèmes de distance : certains confrères seraient tout à fait partants, mais sont géographiquement trop éloignés pour venir à l'hôpital local lors des bilans, par exemple. »

Du côté des patients, le constat est également positif : 79 personnes ont été admises dans le réseau depuis sa création, parmi lesquelles 59 en font encore partie (les autres sont décédées ou parties vivre en établissement). Mais cette montée en charge suscite toutefois quelques inquiétudes. Le projet prévoit une réunion par an de réévaluation chez chaque patient, en présence une nouvelle fois des différents intervenants, ce qui pose des problèmes d'organisation. « Nous avons presque atteint notre objectif, qui était de 60 personnes dans le réseau au 31 mars 2003, observe Céline Bonnet. Mais nous avons 59 réévaluations à faire cette année. Il va arriver un moment où nous ne pourrons plus suivre. »

Parmi les autres difficultés, l'absence d'aides-soignantes - mais la situation devrait changer à partir de septembre - et d'accueil de jour dans le secteur. Ou encore l'exclusion de certaines personnes âgées. Celles qui souffrent de la maladie d'Alzheimer, d'abord, faute de pouvoir répondre aux questions des tests du bilan médical, préalable indispensable à l'entrée dans le réseau. Mais aussi celles qui ne relèvent pas des trois principaux régimes de retraite concernés :général, agricole et des travailleurs indépendants. La labellisation en centre local d'information et de coordination  (CLIC), en novembre 2001, de l'association qui porte le réseau a permis de prendre en charge une partie de ces personnes - en particulier celles affiliées à des régimes spéciaux. Et pallié partiellement certains manques, en proposant d'autres actions de prévention et d'aide aux aidants.

Une reconnaissance mutuelle

A l'heure du bilan, du côté des professionnels, on a le sentiment de répondre au désir des personnes âgées de rester chez elles et au besoin d'écoute des aidants. Autre satisfaction : le réseau a permis d'initier une véritable démarche pluridisciplinaire. « Le temps de coordination est un temps d'information mutuelle, souligne Céline Bonnet. Les professionnels ont appris à se connaître et se reconnaître, à ne plus se méfier de l'autre en pensant qu'il va marcher sur ses plates- bandes. » « D'un point de vue strictement médical, la participation au réseau n'a pas d'intérêt particulier, estime pour sa part Philippe Lécuyer, parce que nous avions déjà l'habitude de travailler avec des infirmières, par exemple. Le plus, c'est d'avoir intégré la notion de prise en charge médico-sociale, en travaillant avec une assistante sociale. Nous avons désormais une notion un peu différente des problèmes : quand il s'agit de trouver un système pour monter un escalier, d'améliorer l'environnement d'un patient, nous savons faire appel à elle. Avant la mise en œuvre de ce réseau, je ne connaissais pas le nom d'une seule assistante sociale du secteur. »

La mobilisation de tous les partenaires et professionnels a donc payé. « Mais cela a pris du temps, on travaille quand même ensemble depuis 1999 et même avant !, précise Martine Darcq. Aujourd'hui, les médecins ont compris l'importance de chaque métier, de chaque mission pour le bien-être de leur patient ;ils savent faire appel aux compétences de l'assistante sociale. Ici, le mot “réseau” a un sens. »

Sandrine Pageau

UN BILAN JUGÉ GLOBALEMENT POSITIF

Lancé en 1996, le projet de la Mutualité sociale agricole (MSA) (2) d'organisation d'un réseau gérontologique destiné à maintenir à domicile les personnes âgées dépendantes reçoit deux ans plus tard un avis favorable de la commission Soubie, avant d'être agréé par un arrêté ministériel du 30 mars 2000 (3) pour une durée de trois ans. L'expérimentation commence sur 19 sites locaux, parmi lesquels celui de Baume-les-Dames, avec des objectifs à la fois médicaux et économiques. Il s'agit d'organiser plus efficacement les soins, en évitant les actes inutiles. On espère ainsi une baisse significative du nombre de journées d'hospitalisation et, à terme, limiter la création de structures d'hébergement coûteuses. La MSA a présenté, en février dernier, un bilan d'étape qu'elle juge globalement positif, malgré les quelques sites qui connaissent des difficultés. Les adhésions de patients ont progressé, passant de 30 par mois en 2001 à 40 en 2002. Au 1er janvier 2003, 1 402 personnes avaient été admises dans le réseau depuis son origine et 1 000 en font encore partie - une population très âgée (une personne sur deux a entre 80 et 89 ans), correspondant pour 65 % aux GIR 3 et 4. Les praticiens ont également adhéré : 483 médecins généralistes au 1er janvier 2003. « La prise en charge répond aux besoins des personnes âgées et aux attentes des professionnels », conclut la MSA. Quant à l'impact économique du réseau, « les tendances sont encourageantes », affirme la mutualité. « Le rapprochement avec les données enregistrées dans un groupe témoin de 400 personnes, constitué pendant l'expérimentation et suivi pendant un an, sera essentiel pour vérifier si les économies susceptibles d'être générées par la diminution attendue du nombre de journées d'hospitalisation couvrent les investissements consentis pour le réseau. » « Toute l'évaluation économique a été reportée à ce rapport final, indique Emmanuelle Pion, chargée de mission à la caisse centrale de la MSA. On peut seulement évoquer, sous réserve d'exploitation de l'ensemble des données, une tendance : en matière d'hospitalisation, les personnes qui sont dans le réseau vont moins à l'hôpital et lorsqu'elles sont hospitalisées, elles le sont moins longtemps. » L'expérimentation doit durer jusqu'au 31 décembre 2004. C'est aux pouvoirs publics qu'appartiendra ensuite de décider de son devenir.

Notes

(1)  Association centrale de coordination médico-sociale de la circonscription de l'hôpital de Baume-les-Dames : 7, rue Barbier - 25110 Baume-les-Dames - Tél. 03 81 84 38 78.

(2)  En partenariat avec la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et la caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes. Caisse centrale de la MSA : Les Mercuriales - 40, rue Jean-Jaurès - 93547 Bagnolet cedex - Tél. 01 41 63 76 16 .

(3)  Voir ASH n° 2105 du 5-02-99.

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