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Apprendre à vivre avec la maladie

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Née en 2000, l'association Tague le mouton aide les adolescents ou les jeunes adultes touchés par le VIH à parler de leur souffrance et à vivre avec la maladie. Ce lieu d'accueil leur permet de recevoir une écoute spécifique et d'échanger avec d'autres en partageant notamment des activités.

En France, plus de 1 000 enfants et adolescents sont contaminés par le virus du sida. Que deviennent-ils ?Quel avenir peut-on leur proposer ? Et surtout quel accompagnement ? Les services publics de pédiatrie sont insuffisamment équipés pour traiter l'ampleur des problématiques des jeunes séropositifs, qui dépassent largement les seules questions de santé physique. Face à ces besoins mal pris en compte, une association s'est créée à Paris en février 2000. Unique en France, Tague le mouton est un centre de jour de soins psycho- éducatifs, situé dans le Xe arrondissement (1). Il accueille des jeunes d'Ile-de- France âgés de 14 à 21 ans séropositifs ou séronégatifs mais ayant un parent direct atteint par le sida.

Sur la soixantaine de ceux qui viennent régulièrement (il y a environ 90 inscrits), la plupart sont passés par l'association Dessine-moi un mouton qui prend en charge, depuis 1990, les mères et les enfants (jusqu'à 14 ans) séropositifs et séronégatifs. « On s'est aperçu progressivement que les garçons et filles que nous suivions avaient besoin, en grandissant, de plus d'intimité entre eux et d'un autre type d'accompagnement de la part des adultes », explique Béatrice Martin-Chabot, psychologue à Dessine-moi un mouton. Cette prise de conscience a abouti à la création de Tague le mouton, qui fonctionne avec un budget annuel de 230 000  €, provenant de fonds privés et publics (2).

Elle est ouverte les mercredis et samedis après-midi et le jeudi soir. Et organise aussi des séjours pendant les vacances scolaires (voir encadré). Un quart des jeunes inscrits sont mal ou pas du tout scolarisés et la majorité d'entre eux sont issus de milieux défavorisés et de familles de migrants, notamment africaines. Cette structure d'accueil leur permet de bénéficier d'une écoute et de réponses spécifiques à leurs questions, mais aussi de partager des activités collectives avec d'autres jeunes vivant une situation proche de la leur.

Contrairement aux locaux des organisations de lutte contre le sida, il n'y a, à Tague le mouton, aucune affiche ou autre signe distinctif qui pourrait indiquer que l'association s'adresse à des jeunes atteints « de près ou de loin » par le VIH. Unique entorse, dans le bureau du coordinateur, deux ou trois ouvrages sur le sida, auxquels est adossé un livre intitulé Comment écrire une lettre de motivation. « Les jeunes qui viennent n'ont pas besoin qu'on leur rappelle qu'ils sont atteints par le VIH », estime Bruno Moysoulier, ancien professeur d'histoire-géographie et coordinateur de l'association.

Mais ce lieu permet aussi de mieux connaître les attentes des jeunes et les problèmes auxquels ils sont confrontés. « Lorsque quelqu'un frappe à notre porte, on évalue avant tout ses besoins lors d'un entretien individuel. Ils peuvent être psychologiques, éducatifs, sociaux ou souvent les trois à la fois. La prise en charge sera globale et effectuée par une équipe pluridisciplinaire », précise Andréa Linhares, psychologue clinicienne qui assure le suivi psychologique des jeunes. Au terme de ce premier entretien, chaque adolescent se voit attribuer un adulte référent qui est le coordinateur ou l'éducatrice spécialisée. Il le rencontre systématiquement avec la psychologue en entretien individuel au minimum une fois par trimestre. A ces échanges s'ajoutent des visites à domicile, introduites par Laura Tomat, éducatrice spécialisée qui a travaillé auparavant en action éducative en milieu ouvert. Car « les jeunes arrivent avec un masque. On doit pouvoir discuter avec les parents pour mieux comprendre les situations », souligne-t-elle.

DES SÉJOURS DE VACANCES « THÉRAPEUTIQUES »

Les séjours de vacances organisés par Tague le mouton sont des moments privilégiés pour nouer des liens avec les adolescents. En 2002, se sont déroulés un séjour de ski pour 20 adolescents en Haute-Savoie, un camp semi-itinérant dans les Hautes-Alpes, orienté sur la découverte du camping et des sports en eaux vives, et un week-end en Normandie qui a été l'aboutissement d'un projet entièrement mis en place par un groupe de neuf adolescents et jeunes adultes. Chaque séjour est précédé d'un entretien individuel avec le jeune et d'une ou plusieurs rencontres avec les parents. Durant les vacances, le coordinateur du séjour reste en contact avec l'équipe de Tague le mouton et au retour un bilan est réalisé avec les parents, le jeune et l'équipe de l'association. « Les vacances sont un moment privilégié où l'on se donne davantage le temps d'être ensemble », explique Bruno Moysoulier, coordinateur à Tague le mouton. Ces séjours permettent aux adolescents fatigués par les traitements de participer à des activités sans avoir le sentiment d'être exclus. Sortis de leur milieu quotidien, de leur environnement familial et scolaire, les jeunes parviennent mieux à prendre de la distance par rapport à leurs difficultés. L'occasion de souffler. Ces séjours sont ouverts à tous, ce qui permet aussi à ceux qui ne peuvent pas venir à l'association, pour des raisons d'éloignement géographique par exemple, de rencontrer d'autres jeunes concernés par le VIH.

Par ailleurs, l'association est en relation permanente avec des partenaires : les réseaux traditionnels d'aide à l'enfance ou aux malades du sida, le réseau ESPAS  (espace social et psychologique d'aide aux personnes touchées par le virus) qui rassemble des psychiatres et des psychologues hospitaliers, ou encore des entreprises privées qui sponsorisent les séjours par le biais de leurs fondations.

L'équipe s'est fixé plusieurs objectifs :travailler autour de la souffrance liée au VIH à partir de la parole et de l'échange collectif ou individuel afin de permettre l'élaboration d'un projet de vie. Mais aussi favoriser et encourager la prise des traitements thérapeutiques, maintenir ou initier un parcours de formation. Enfin, il s'agit également de travailler sur les liens familiaux afin de renouer des relations ou de prévenir des crises.

« L'aide psychologique que je peux leur apporter consiste souvent à dédramatiser leur situation », explique Andréa Linhares. En effet, les jeunes qui sont nés avec le virus ont été pour la plupart pris en charge en milieu hospitalier par des psychologues qui se sont succédé. Depuis leur plus tendre enfance, ils sont soumis aux examens médicaux et aux thérapies ; ils vivent dans un « drame » permanent qui les empêche souvent de grandir librement. Même s'ils ont eu un suivi médical, très souvent personne ne leur a dit qu'ils étaient contaminés par le VIH. Si les familles ont pu ainsi se protéger en niant la réalité de la maladie, ce silence a favorisé l'isolement et la culpabilité de ces jeunes, devenus incapables de se projeter dans l'avenir. Et il a engendré chez eux une série de comportements auto-destructeurs.

Bon nombre de ces adolescents ont découvert seuls leur séropositivité, en regardant une émission de télévision sur le sida ou en lisant des magazines qui décrivaient les traitements qu'ils suivaient. Dans certains cas, c'est leur médecin qui leur a parlé pour la première fois de leur maladie. Mais ce non-dit ne touche pas seulement les adolescents contaminés, il concerne aussi les séronégatifs. « Le travail avec ces derniers est tout à fait différent, précise Andréa Linhares. Ils ont subi des deuils dans leur famille sans que leur propre souffrance ou angoisse ne soit reconnue, entendue ou prise en compte. »

Tous ces jeunes sont fragiles psychologiquement, hyperémotifs et hypersensibles. Ils vivent un profond sentiment d'injustice, de culpabilité, une crainte de la mort. « Parfois, ils se reprochent d'avoir fait exploser la famille ou de lui coûter trop cher. Par ailleurs, 49,2 % des jeunes suivis à Tague le mouton sont orphelins d'au moins un de leurs parents. C'est justement pour pouvoir entendre cette culpabilité que nous avons créé ce lieu », souligne Andréa Linhares.

Une très grande partie du travail se fait autour de l'observance thérapeutique (la prise des médicaments). Parmi les jeunes inscrits à l'association, seuls 12,5 % suivent leur prescription médicale de façon satisfaisante. « Le traitement peut être l'expression de plusieurs choses, poursuit Andréa Linhares. Cela leur rappelle leur maladie, mais c'est aussi une forme de pouvoir qu'ils ont sur leur corps et sur leur vie. Ne pas le prendre ou le prendre de manière anarchique peut être une forme de passage à l'acte suicidaire. » 7 % des jeunes qui viennent, en majorité des filles, ont confié qu'ils avaient déjà fait des tentatives de suicide. A cela s'ajoute la peur des effets secondaires, qu'ils soient physiques (nausées, troubles digestifs, vertiges) ou psychiques (dépression), la lassitude...

« On demande à ces adolescents d'être responsables, de suivre leur traitement et de prendre leur destin en main, poursuit Bruno Moysoulier. Mais où puiser la force et l'énergie lorsqu'à la naissance un enfant a entendu qu'il ne survivrait pas ou lorsqu'il a vu, déjà tout petit, ses proches mourir du VIH ?C'est tout l'objet du travail mené par l'équipe qui les accueille.

La prévention contre les conduites sexuelles à risque est aussi au cœur de l'action de l'association. Déjà, pour un adolescent, la découverte de la sexualité, ne va pas de soi. Qu'en dire alors pour celui qui est séropositif ?

Dépasser les angoisses par le mouvement

A cause des thérapies, des examens médicaux qu'ils subissent depuis leur naissance et des transformations liées à l'adolescence, ces jeunes ont une perception faussée de leur corps. C'est pourquoi Bruno Moysoulier a contacté, en 2001, Carmel Marignan, professeur de capoeira. Cette discipline, à la croisée de la danse africaine et du théâtre, permet aux adolescents de dépasser par le mouvement leurs angoisses ou en tout cas de mieux les maîtriser. « Ils ont une perception de leur corps très déformée. Ils le vivent comme mutilé, abîmé et manipulé », explique Carmel Marignan. « La capoeira leur permet à la fois de se réapproprier leur corps, de le découvrir, en testant ses limites, mais aussi d'en sortir en créant des liens avec les autres membres du groupe », poursuit-il. « Certains jeunes ont réussi à “dire” avec leur corps la souffrance qu'ils n'avaient jamais su exprimer avec les mots. Comme la plupart d'entre eux sont d'origine africaine, ils retrouvent sans doute quelque chose qui leur appartient, puisque la capoeira symbolisait à l'origine la lutte des esclaves. » A côté de cette discipline, l'association a mis en place des activités autour de l'informatique et du multimédia (réalisation et animation d'un site, travail sur l'image numérique...).

Quel bilan tirer alors ? Après trois ans d'existence, il est évidemment trop tôt pour avoir un véritable recul, d'autant que l'accompagnement de ces jeunes est un travail de longue haleine. Reste que l'association a du mal à faire face aux sollicitations tant le besoin auquel elle répond est réel et elle voudrait aujourd'hui étoffer l'équipe. « On ne gère plus que les urgences et on répond aux jeunes qui en font la demande mais nous n'avons pas le temps d'aller chercher ceux qui ne parviennent pas à venir vers nous, regrette Laura Tomat. Beaucoup trop de jeunes passent entre les mailles du filet. »

Elisabeth Kulakowska

Notes

(1)  Tague le mouton : 10, rue des Petites-Ecuries - 75010 Paris - Tél. 01 48 24 58 40.

(2)  Dont le conseil régional, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales et les conseils généraux d'Ile-de-France, le ministère de l'Education nationale, la direction générale de la santé, les directions régionale et départementale de la jeunesse et des sports.

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