C'est une appréciation plutôt positive que porte Didier Lapeyronnie sur le programme Ville Vie Vacances (VVV). Conçu dans l'urgence au début des années 80 à travers les « plans anti-été chaud », puis les « opérations prévention été », avant de devenir une composante essentielle de la politique de la ville, il constitue « une politique publique efficace », selon le sociologue. Le bilan qu'il a piloté à l'occasion des 20 ans du dispositif (1), à la demande de la délégation interministérielle à la ville et rendu public le 7 juillet, lors de la rencontre nationale des cellules départementales Ville Vie Vacances, est donc encourageant, malgré les résistances de départ vis-à-vis d'actions qui pouvaient sembler spectaculaires et peu efficaces sur le long terme. « Un résultat exceptionnel », n'hésite pas à dire Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, venu clore la journée. Lequel entend donner un second souffle à ces actions « qui constituent un complément indispensable aux actions de prévention et d'éducation auprès des jeunes des quartiers ».
D'abord, malgré leur aspect initial de « coup », les opérations Ville Vie Vacances concernent l'ensemble du territoire depuis 2000 (contre 11 départements en 1982). Elles touchent 800 000 jeunes (un public en majorité masculin et âgé pour moitié de 11 à 18 ans), essentiellement pendant l'été, à travers 14 270 projets : des séjours (40 %), des activités sportives (20 %), des activités artistiques, de l'animation de quartier ou des chantiers. L'encadrement est assuré par plus de 29 000 professionnels (animateurs, éducateurs spécialisés...) et de nombreux bénévoles. En 2001, le dispositif a coûté l'équivalent de 56,7 millions d'euros dont 19,5 millions financés par l'Etat, 14,6 millions par les municipalités et 0,5 million par les conseils généraux (2), sachant que les mobilisations locales sont très variables (3). En 2003, l'Etat lui a affecté 11 millions d'euros.
Impliquant aujourd'hui neuf ministères et mises en place par des cellules départementales associant acteurs locaux et administrations, les opérations Ville Vie Vacances fonctionnent plutôt bien, grâce notamment à la liberté d'action laissée aux acteurs. Car, paradoxalement, ces derniers disposent d'une grande marge de manœuvre de par l'ambiguïté même des objectifs du programme. Lequel est conçu dans une visée à la fois sécuritaire (ramener la paix sociale sur les quartiers), sociale (permettre à tous de partir en vacances) et pédagogique (réorienter les pratiques éducatives et préventives). Cette année, l'accent est mis sur la participation des jeunes filles qui atteindra 30 % de l'effectif global des bénéficiaires et les moins de 11 ans (12 %des jeunes).
Ce dispositif original connaît néanmoins des évolutions négatives. A commencer par le renforcement continu de la bureaucratie qui aboutit au fonctionnement de certaines cellules départementales selon une logique de guichet. Un phénomène dû en partie, selon Didier Lapeyronnie, à la désaffection progressive des élus qui ne portent plus politiquement le dispositif ;par exemple, les journées de lancement des opérations ont souvent disparu. La plupart des élus associeraient en fait le programme à une logique de prévention et considéreraient qu'il ne répond pas à leur demande de sécurité, devenue aujourd'hui prioritaire. Autre obstacle évoqué : la difficulté à trouver de nouveaux acteurs associatifs qui amèneraient le dispositif à fonctionner en circuit fermé avec les mêmes opérateurs. « Finalement ayant perdu le soutien des élus locaux et du politique et ne pouvant s'appuyer sur une réalité associative forte, celui-ci a été pris en tenaille par l'alliance de fait entre la bureaucratie et les acteurs traditionnels et professionnels » qui l'ont intégré dans leur logique habituelle, estiment les chercheurs.
Par ailleurs, les publics se sont transformés. Depuis 1980, les cités ou quartiers populaires se sont refermés sur eux-mêmes et leurs populations sont dominées par un double sentiment d'exclusion et de dépendance. Les jeunes se vivent comme tributaires des services sociaux et de la bureaucratie pour décrocher au bout du compte un « faux » travail (stage), un « faux » logement (HLM)... Ils se sentent maintenus dans une zone intermédiaire et exclus de la « vraie » consommation accessible aux classes moyennes. Aussi les opérations VVV apparaissent-elles comme des succédanés de vacances, ce qui exacerbe leur sentiment d'humiliation. Une perception qui entraîne en retour la tendance au repli des institutions et des services sociaux. « Il en résulte une sorte d'inversion permanente entre les priorités des uns et celles des autres : les acteurs institutionnels veulent “socialiser” des individus qu'ils jugent “désocialisés”, alors que les individus en question veulent, à travers l'accès à la consommation, s'individualiser pour échapper à une socialisation qu'ils jugent humiliante. » A cette observation, s'ajoute la réalité des groupes ou des bandes qui ne sont pas organisés en fonction d'un objectif précis mais sont d'abord des lieux d'expression de l'individualité et, à ce titre, ne peuvent constituer des « cibles » pour les opérations VVV.
Face à une certaine « routinisation » du dispositif et au décalage entre ses orientations et l'évolution du public, l'étude formule plusieurs propositions. Tout d'abord, il s'agit de redonner une spécificité au programme, intégré trop souvent à la prévention et au travail social comme une simple source de financement. Les chercheurs invitent à mieux mettre en valeur son objectif de « tranquillité publique » et de réduction des incivilités, ce qui permettrait de mobiliser davantage les élus. Autre suggestion : « sortir de l'entre- soi » et du fonctionnement consensuel, en ouvrant les cellules départementales aux représentants politiques et aux responsables d'association. Enfin, il est logiquement proposé de « débureaucratiser » le programme en réduisant les délais d'instruction et en allégeant les dossiers. « Il faut surtout améliorer la vie courante du dispositif et la diffusion de l'information auprès des collectivités, car trop peu connaissent le dispositif », estime, pour sa part, Jean-Louis Borloo.
(1) Le bilan a été réalisé par dix chercheurs qui se sont réunis régulièrement en présence de représentants de la DIV - « Quartiers en vacances ; des opérations prévention été à Ville-Vie-Vacances 1982-2002 » - Editions de la DIV - 18,30 €.
(2) Crédits auxquels s'ajoutent ceux des CAF, des sponsors, des associations, la participation des familles...
(3) Exemple de mobilisation à La verrière, voir ci-contre.