« [...] Selon notre avis, Madame Noalhyt se trompe d'enjeu [...]. Le mémoire de fin de formation n'est pas, comme elle le prétend, un rite d'initiation. Il a une longue histoire et s'enracine dans l'évolution nationale et internationale de la formation au service social. Le premier diplôme de 1932 prévoyait quatre ans d'études, deux théoriques et deux pratiques et un mémoire de fin de formation soutenu oralement. La fusion en 1938 avec le diplôme d'infirmière visiteuse entraîna une déqualification certaine et la suppression de cette épreuve. Depuis, à chaque réforme des études, la profession s'est battue pour que le mémoire de fin d'études soit remis au programme. Il a fallu, en France, attendre 42 ans pour réintroduire cette épreuve dans le diplôme d'Etat. Ce mémoire d'initiation à la recherche existait par ailleurs dans la majorité des pays d'Amérique (du Sud et du Nord) et dans bon nombre de pays européens.
En 1980, le véritable enjeu du mémoire du DEASS est de positionner notre profession parmi les disciplines capables d'élaborer leurs propres connaissances, de conceptualiser leurs pratiques, de cumuler et transmettre leur savoir propre. Les débats sur le service social comme lieu d'application des sciences sociales ou comme étant capable de prendre une part active à la recherche, celui sur la recherche “en” travail social ou “sur” le travail social, ont balisé la réflexion des années 80-90. La recherche en travail social, par des praticiens-chercheurs, s'est développée, poussée par la réforme du DEASS de 1980 et par la création du diplôme supérieur en travail social (DSTS) de 1978. Ce débat a été porté à l'époque par le Comité national des écoles de service social et par le Comité de liaison des centres de formation permanente et supérieure en travail social. Colloques, journées d'études, séminaires, un nombre important de mémoires de formation initiale et supérieure ont assis la légitimité des professionnels à faire de la recherche, à être des acteurs de recherche dans leur domaine et non pas des simples pourvoyeurs de données à des “experts” en sciences humaines.
Si aujourd'hui nous pouvons tous nous réjouir de la création récente de la chaire en travail social au Conservatoire national des arts et métiers, et de l'accès ainsi ouvert à des diplômes de 3e cycle en travail social pour les professionnels, rappelons-nous que la première titulaire de la chaire, Brigitte Bouquet, est bien issue de cette dynamique qui revendique pour les professionnels une vraie place de chercheurs et de producteurs de leur propre savoir.
Regarder le mémoire de formation initiale en dehors de cette dynamique historique est réducteur. Ce mémoire doit s'inscrire comme le premier niveau de l'acquisition d'une démarche de recherche qui se poursuivra ensuite avec le DSTS, le DEA et le doctorat. Ses ambitions doivent être grandes même si les moyens sont insuffisants. Les écoles se doivent de mettre en place les protocoles de formation suffisants pour l'acquisition de la démarche de recherche et des outils de recueil et d'analyse des données, et de donner une visibilité à cet enseignement dans leur projet pédagogique. C'est à ce prix que les étudiants seront outillés pour mener une démarche rigoureuse et qui dépasse la justification des pratiques que la collègue dénonce à juste titre.
Dans cet objectif, la fonction du mémoire doit être précisée : non la production de connaissances, mais l'apprentissage de la démarche de production de connaissances. Pour cela l'étudiant doit mettre en œuvre la démarche dans sa totalité : de l'élaboration d'une problématique et d'une hypothèse à une enquête de terrain utilisant les techniques de recueil et d'analyse des données des sciences sociales. C'est ainsi que les étudiants peuvent apprendre ce qu'est une recherche. Celle-ci n'est pas un alignement de concepts et théories aboutissant à une hypothèse, mais bien une confrontation à des données de terrain. Comment peut-on confronter “une réelle réflexion théorique” au “discours tenu par les acteurs du champ de leur thématique”, comme le dit Madame Noalhyt, sans utiliser des techniques rigoureuses de recueil de ce discours et de son analyse.
En conséquence, il faut, pour la certification du domaine de compétences “expertise sociale”, un mémoire permettant l'apprentissage de la totalité de la démarche de recherche, pouvant faire référence à des champs disciplinaires variés (sociologie, psychologie, ethnologie, histoire, économie) et sur des thèmes qui ne se limitent pas au regard sur la pratique des assistants sociaux. »
« [...] Le mémoire du DEASS a toujours été reconnu comme une épreuve certes éprouvante, mais particulièrement formatrice par les étudiants et par les collègues qui l'ont passée. Ce travail, au-delà des dimensions rituelle et symbolique qui [...] sont en effet présentes, c'est indéniable, apparaît sans conteste comme une démarche [...] enrichissante pour plusieurs raisons.
Le moment de la conception du mémoire permet à l'étudiant :
d'être curieux intellectuellement et de s'ouvrir à la multiplicité des approches possibles d'une même réalité, de mesurer son point de vue à l'aune d'une première démarche d'objectivation ;
de s'initier à la recherche des sources et des référentiels de base dans le vaste champ des sciences humaines et sociales et, ce faisant, d'être en mesure de faire des choix théoriques au regard de son sujet et de ses propres options ;
de se positionner face à une réalité sociale qu'un tel travail de recherche aura permis de mettre au jour, au moins pour partie.
Ces éléments correspondraient en effet aussi, pour partie, à la phase exploratoire de cette épreuve[...]. Toutefois, la réduction de l'épreuve à sa simple expression exploratoire [...] nous apparaît préjudiciable aux étudiants et aux professionnels. Ce mémoire, tel qu'il est conçu jusqu'à présent, c'est- à-dire incluant une procédure d'enquête modeste mais réelle, permet en effet d'aller au-delà d'une simple mise en place exploratoire, et donne l'opportunité à l'étudiant d'éclairer sa proposition à la lumière des éléments recueillis sur le terrain ou dans le cadre de synthèses théoriques, et ainsi de pouvoir réfléchir, prendre de la distance, évaluer ses limites, établir des conclusions, certes partielles mais opératoires, de mettre ainsi en perspective l'ampleur, bien souvent, de l'inconnu, et de s'ouvrir ainsi à de nouveaux questionnements.
Cette deuxième phase, celle d'une enquête de terrain, tout à fait fondamentale à nos yeux, est un moyen pour l'étudiant d'être partie prenante de ses constats, de son analyse et de ses réflexions ;elle lui donne les moyens d'assumer ses limites, mais aussi sa responsabilité, elle lui permet en outre, certes d'une manière où le rituel joue un rôle prépondérant au plan symbolique - comme au demeurant dans tous les processus menant à l'obtention d'un diplôme -, d'occuper une place, si modeste soit-elle, et pour autant qu'on la lui laisse, dans le champ des recherches en travail social. Ainsi continuerons-nous de former des assistants sociaux n'ayant pas qu'une tête bien pleine mais aussi bien faite, dont l'ambition ne sera pas uniquement d'exécuter ou de “se référer à” (d'autres recherches... faites par d'autres qui seraient ou se penseraient plus compétents ou plus légitimes pour enquêter ?), mais aussi, autant que possible, de réfléchir “avec”.
Ce sont les raisons pour lesquelles le maintien de cette épreuve dans toutes les phases de la démarche [...]nous semble justifié.
Il va de soi que l'ambition d'une enquête de terrain menée dans le cadre de l'épreuve de mémoire du DEASS a davantage valeur de pré-enquête, qu'elle ouvre plus de questionnements qu'elle ne donne de réponses, mais l'entièreté de la démarche permet au moins une cohérence de forme et une démarche de fond, pour l'étudiant et au bénéfice des acteurs de l'action sociale et de leurs usagers.
La valoriser et la développer nous semblent des ambitions bien plus opportunes que la réduire à l'expression, qui le cas échéant serait en effet bien du simple registre du rituel d'initiation, d'une exploration sans enquête post-problématisation [...].
Cette épreuve existe en outre dans d'autres pays européens d'un niveau de formation identique ; à ce propos, [...] dans l'article faisant état des réflexions de notre collègue Martine Noalhyt, il est indiqué que nous ne sommes reconnus que niveau Bac + 2, cela est vrai [...]. Mais il serait utile d'ajouter que dans le cadre de l'Union européenne, notre diplôme est reconnu Bac + 3, les stages étant considérés comme un temps de formation à part entière.
Nous sommes convaincus que chacun d'entre nous, formateur, professionnel du terrain, étudiant, souhaite conserver ce niveau et maintenir ces ambitions pour les générations à venir d'assistants sociaux, c'est la raison de notre engagement et l'ancrage du point de vue ainsi exposé. »
Christophe Voinchet Contact : 8, rue Maurice-Thédié - 80000 Amiens -
(1) Voir ASH n° 2316 du 20-06-03.
(2) Cristina De Robertis représente par ailleurs l'Association nationale des assistants de service social aux groupes de travail de la direction générale de l'action sociale intitulés « certification » et « référentiel de formation théorique ». Henri Pascal est responsable de la formation à la recherche de la filière assistant de service social à l'IRTS PACA-Corse. Tous deux dirigent la collection « Politiques et interventions sociales » aux Editions ENSP.
(3) Doctorant à l'université Picardie Jules-Verne, il mène une recherche sur la socialisation professionnelle des étudiants en service social et dirige des mémoires en Picardie.