Le débat, qui a commencé, sur fond de tension politique, peu après le début de la nouvelle législature, est sur le point d'aboutir : le préfet de la région Ile-de-France, Bertrand Landrieu, vient de remettre à la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion un rapport, que les ASH ont pu se procurer, sur la prise en charge des mineurs isolés, dont elle devrait s'inspirer pour prendre des décisions, « prochainement » selon son cabinet.
Dès le mois de mai, la Ville de Paris avait dénoncé « des initiatives et déclarations désordonnées à propos des mineurs isolés » et avait prié le gouvernement de prendre « une initiative forte, lisible et tangible » en la matière, notamment en réunissant « tous les partenaires concernés autour d'une table ronde régionale ». Une nécessité d'agir vite, bien sûr, liée à la multiplication du nombre de mineurs étrangers isolés arrivant sur le territoire français, dont la moitié en Ile-de-France (1) : 985 ont débarqué à Roissy en 2002 et 847 se sont présentés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) de Paris, qui n'en avait reçu que 527 en 2001. Mais aussi motivée par le ras-le-bol des départements qui, assumant quasiment seuls la prise en charge de ces enfants et adolescents, souhaiteraient partager leurs prérogatives et leurs dépenses avec l'Etat. Comme le dénonce le rapport de l'association Défense des enfants International (DEI) -France, remis le 22 avril à la défenseure des enfants (2), les conditions d'accueil et le respect des droits des mineurs isolés tentant de pénétrer sur le sol français demandent également réflexion.
C'est donc dans ce contexte, et alors qu'elle met sur les rails un dispositif expérimental de prise en charge des mineurs isolés, devant être évalué à la fin de ce mois (3), que Dominique Versini confie au préfet, le 22 janvier, une mission « de coordination de la définition des modalités de prise en charge et du développement des dispositifs pour l'accueil de mineurs étrangers ». Deux groupes de travail- respectivement présidés par Frédéric Pierret, secrétaire général de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, et Bernard Coquet, préfet de Seine-et-Marne -sont mis en place, associant les préfets de département, les conseils généraux, les juridictions judiciaires et les directeurs des affaires sanitaires et sociales. Ils étudient les modalités d'accès des mineurs isolés au territoire et les compétences respectives de l'Etat et des départements.
Le document final, qui comporte deux parties - « les modifications législatives ou réglementaires susceptibles de limiter l'entrée des mineurs isolés sur le territoire » et « la prise en charge des mineurs isolés » - reprend les propositions formulées par les deux groupes de travail en soulignant tant les points de consensus que les sujets restant encore ouverts au débat. Il met en lumière le point central sur lequel les participants se sont accordés : la nécessité de procéder à une première phase d'accueil et d'évaluation, laissée à la charge de l'Etat, qui permettrait de favoriser, dans la mesure du possible, le retour des mineurs dans leur pays d'origine. Et du coup dissuaderait les filières mafieuses.
« L'organisation du retour, dans des conditions humaines et dignes, dans le pays d'origine, est regardée par le groupe de travail comme la première démarche qui doit être privilégiée par les pouvoirs publics », écrit Bertrand Landrieu, ajoutant que cette option résulte tant des dispositions du code civil faisant du titulaire de l'autorité parentale le garant de la protection du mineur que de la Convention sur les droits de l'enfant, qui institue pour ce dernier « le droit à vivre dans son milieu familial ».
Le préfet propose dans ce sens la création d'une « cellule interministérielle spécialisée dans la recherche de l'autorité parentale », chargée, en lien avec les pays concernés, de retrouver les parents de l'enfant dans son pays d'origine, ou dans l'espace Schengen, et d'organiser son rapatriement.
Le premier contact effectué par cette cellule se ferait, pour ceux transitant par les aéroports, en zone d'attente. Sur ce point, explique le préfet, tous les acteurs sont unanimes pour dire que les mineurs doivent, pendant cette période, être accueillis dans un lieu distinct de celui des majeurs. Mais est apparue une divergence : la possibilité, proposée par les représentants de l'Etat, de renouveler une fois la durée du maintien, actuellement fixée à 20 jours au maximum. Ce pour permettre, « en facilitant les recherches, d'accroître le nombre de retours ». Suggestion qui n'a évidemment pas recueilli l'accord de tous au sein des membres du groupe du travail sur les modalités d'accès au territoire. Les magistrats, particulièrement, s'y sont opposés. Ces derniers, souligne le rapporteur, n'ont pas non plus approuvé la proposition de placer les mineurs dans un « centre protégé » à l'issue de la période de 40 jours en zone d'attente, dans le but de poursuivre les investigations et, au cas où le rapatriement se révélerait impossible, d'engager « un processus éducatif susceptible de faciliter une prise en charge ultérieure par l'ASE ou par un centre spécialisé pour les mineurs demandeurs d'asile ». En cas de difficulté à organiser le retour dans le pays d'origine, les professionnels de la justice préféreraient que la prise en charge soit assurée dans le cadre de l'assistance éducative, dans des établissements de droit commun habilités.
Les membres du groupe du travail se sont également penchés sur le rôle à faire jouer aux administrateurs ad hoc dans ce processus d'accueil. Selon la loi du 4 mars 2002, ces derniers « assistent le mineur durant son maintien en zone d'attente et assurent sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien ». Or, relève le préfet, leur inexistence sur le terrain, qui résulte de la non-parution du décret d'application de la loi, « a pour effet d'empêcher un mineur de rester en zone d'attente ».
La voie terrestre, privilégiée par les ressortissants de Roumanie, constitue le premier mode d'accès des mineurs étrangers sur le territoire, l'aéroport de Roissy accueillant majoritairement de jeunes Chinois ou Africains de l'Ouest. Alors que 985 mineurs isolés sont arrivés à Roissy en 2002,847 ont demandé à bénéficier de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de Paris, 288 ont été accueillis à l'ASE de la Seine-Saint-Denis, 105 à celle du Val-d'Oise, 88 à l'ASE des Hauts-de-Seine et 45 ont sollicité l'ASE des Yvelines. 88 ont été placés au Lieu d'accueil et d'orientation de Taverny.
D'où plusieurs pistes évoquées pour donner corps à la disposition législative. Il s'agirait d'une part de définir les compétences exactes à attribuer à ce tiers qui pourrait voir ses missions étendues au-delà de la zone d'attente, pour accompagner le mineur lors de son entrée sur le territoire. Ou encore sortir de son strict rôle d'assistance et de représentation du mineur, pour devenir partie prenante de son orientation. « Il est permis de se demander si sa fonction ne pourrait pas le conduire à être associé à la recherche de toute solution susceptible d'aller dans l'intérêt de l'enfant, au premier chef l'organisation de son rapatriement auprès de ses parents ou de sa famille dans le pays où ils résident[...] », indique le préfet. L'optique d'un élargissement des compétences de l'administrateur ad hoc, quoi qu'il en soit, nécessiterait une modification de la loi.
Plusieurs hypothèses sont également avancées pour déterminer le profil le plus adéquat pour cette fonction. Parmi elles : nommer à ces postes des fonctionnaires, en activité ou bien détachés. Mais « l'autorité judiciaire a souhaité indiquer qu'elle n'est pas favorable à la possibilité de nommer un fonctionnaire comme administrateur ad hoc », rapporte Bertrand Landrieu. Pour les professionnels de la justice, ces derniers doivent être indépendants et offrir des garanties de compétence « que l'on peut trouver à l'heure actuelle dans les associations habilitées pour la protection de l'enfance et la jeunesse ».
Outre ce premier « sas » destiné aux jeunes arrivant par Roissy, les groupes de travail souhaiteraient mettre en place un dispositif plus global « d'accueil et d'évaluation organisé au plan régional pour l'ensemble des mineurs isolés », lui aussi piloté par l'Etat. Ce qui permettrait de prendre également en compte les jeunes errants repérés par « maraude », sachant que la majorité des mineurs étrangers isolés n'arrivent pas par les airs, mais par voie terrestre. Le dispositif offrirait de surcroît l'avantage d'assurer, comme le souhaitent départements et magistrats, une prise en charge pendant une période relativement longue, pouvant aller jusqu'à dix mois.
Concrètement, cette structure serait gérée par un comité régional, chargé de coordonner l'autorité judiciaire, les services de police, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les différents autres services de l'Etat, et d'assurer la liaison avec la cellule interministérielle. Elle assurerait un accompagnement du mineur, mission qui pourrait être d'ailleurs déléguée à des associations compétentes en matière de protection de l'enfance en danger, en vue de l'orienter vers un projet de rapatriement, vers les services de l'ASE ou de la PJJ. Les participants aux travaux ont en outre suggéré que le mineur puisse disposer, « dès son entrée sur le territoire ou sa sortie du dispositif d'orientation, d'un titre de séjour spécifique lui permettant de participer aux actions de formation en alternance ou d'apprentissage ». A contrario, il a été proposé de limiter, pour l'enfant accueilli à l'ASE, la possibilité de réclamer la nationalité française.
Bertrand Landrieu retient de plus trois pistes pour organiser l'hébergement des mineurs pendant cette phase d'évaluation. Soit déterminer un seul et unique centre, sur le modèle du Lieu d'accueil et d'orientation (LAO) de Taverny (Val-d'Oise), soit s'appuyer sur de nouvelles structures associatives ou les accueils de jour actuellement développés par la protection judiciaire de la jeunesse, ou encore, ce qui semble aux yeux du préfet le plus approprié, utiliser les établissements gérés par les départements au titre l'ASE. La répartition du dispositif sur l'ensemble du territoire aurait, insiste le représentant de l'Etat, l'intérêt d'éviter la concentration de mineurs, qui, ainsi moins facilement repérés par les réseaux mafieux, en seraient davantage protégés. Le préfet évoque également la possibilité, pour un juge des enfants, de se dessaisir au profit d'un autre juge, afin de dissocier, géographiquement, la décision judiciaire et le placement et « d'assurer une certaine solidarité entre les départements ».
Si Etat et conseils généraux acceptent l'idée qu'à l'issue de la période d'évaluation, le mineur autorisé à rester sur le territoire relève d'une prise en charge par l'ASE, un sujet continue de les diviser : la répartition des financements. Les conseils généraux estiment en effet que l'Etat doit assurer la prise en charge totale des mineurs isolés, avant et après la phase d'évaluation, « au nom de la responsabilité de l'Etat en matière d'immigration ». Ils souhaiteraient d'ailleurs que cette question soit abordée « de manière précise dans le cadre des lois sur la décentralisation ».
Avis que n'ont visiblement pas partagé les réprésentants de l'Etat au cours des travaux. « L'Etat considère que ses services pourraient financer les mesures d'accompagnement, en contrepartie les départements devraient financer l'hébergement des mineurs durant cette période [d'évaluation] », avait commenté Claude Roméo, directeur de l'Enfance et de la Famille de la Seine-Saint-Denis, à l'issue de la restitution des travaux des deux groupes de travail, le 28 mai . « Une telle proposition n'est pas recevable, car elle signifierait que l'Etat reconnaît sa compétence mais ne souhaite pas assurer seul le financement », avait-il ajouté . Selon le préfet, cette question « reste à trancher par le gouvernement ».
Maryannick Le Bris
(1) Voir ASH n° 2284 du 8-11-02.
(2) Voir ASH n° 2308 du 25-04-03.
(3) Voir ASH n° 2275 du 6-09-02.