Une maison de famille remplie de rires et de jeux d'enfants qui s'ébrouent sous le regard complice de leur bienveillante grand-mère : pour nombre de parents, ce tableau idyllique a tout de l'image d'Epinal. C'est en pensant à eux qu'il y a une vingtaine d'années, un groupe de travailleurs sociaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des Hauts-de-Seine a imaginé la Passerelle. « Pour pouvoir être un bon parent, ou plutôt : un parent suffisamment bon - selon la formule de Donald Winnicott -, il faut bien un minimum de plénitude dans sa vie personnelle et sociale », souligne Véréna Thorn, alors éducatrice spécialisée dans ce service, qui concrétisera le projet. Or de plus en plus de parents sont engagés dans la condition difficile d'une parentalité solitaire, privée de tout appui sur une famille élargie ou le voisinage. « Il semblait donc utile de créer un lieu permettant à un parent de dire : “je n'en peux plus”, sans que son cri ne s'inscrive dans un registre officiel », explique la créatrice des premiers relais parentaux.
Coup dur ou mauvaise passe : pour dépanner rapidement les parents qui traversent des difficultés familiales, sociales ou de santé, l'idée développée par l'association Passerelle 92 (1) - et reprise, dans ses grandes lignes par les initiatives qui s'en sont inspirées - consiste à proposer, 24 heures sur 24 toute l'année, un accueil temporaire des enfants- seuls ou en fratries - caractérisé par sa très grande souplesse. Moyennant une participation financière modique (généralement établie en fonction du quotient familial) et des formalités d'admission réduites au minimum (2), les enfants peuvent être accueillis quelques heures, quelques jours ou quelques semaines, de manière continue ou pas (accueils uniquement de nuit, le week-end, un jour par semaine, etc.).
Dans la chaleur d'un cadre familial où les parents ont un large droit de cité, à la mesure de leur disponibilité - ils peuvent venir donner le bain, prendre un repas, etc. -, la vie des enfants s'organise presque comme si de rien n'était : ils continuent à fréquenter leur école et leur centre de loisirs, ne manquent pas les consultations médicales régulières (centre médico-psychologique, orthophoniste...) et sont également accompagnés, le cas échéant, pour rendre visite à leur maman hospitalisée. « Le but est qu'il y ait le moins de bouleversements possible dans la vie quotidienne des enfants, malgré la séparation momentanée d'avec leurs parents », commente François Dubois, autre ancien éducateur spécialisé à l'ASE des Hauts-de-Seine. Lequel, emboîtant le pas à la Passerelle, est à l'origine de l'association Coup d'Pouce 92, gestionnaire de deux relais « familiaux » dans le sud du département.
Evitant, autant que faire se peut, certains placements, les relais peuvent également contribuer à apprivoiser les parents à l'idée d'une séparation rendue nécessaire par une accumulation de problèmes trop importants pour pouvoir être réglés rapidement, comme ceux vécus par des mamans expulsées d'un squat, qui sont sans travail et sans hébergement, explique Sophie Desboves-Diouf, actuelle directrice des services Passerelle 92. Les relais permettent aussi à des parents isolés, en détresse psychologique et/ou sociale, d'avouer tout simplement leur besoin de souffler - sans crainte d'être stigmatisés. « Il s'agit d'un accueil sans conséquences, qui reconnaît aux intéressés l'impossibilité, à certains moments de leur histoire, d'assumer 24 heures sur 24 leur fonction parentale et laisse la porte ouverte à de multiples allers et retours », souligne Véréna Thorn. Lieu-ressources pour les parents, le relais devient vite un lieu-repère pour les enfants, et souvent également un lieu-tiers qui constitue une bouffée d'oxygène dans une relation mère-enfant trop fusionnelle.
De fait, les familles monoparentales, souvent en situation sociale difficile, se révèlent être les premières utilisatrices des relais. L'an dernier, elles constituaient 70 % du public qui s'est adressé aux relais du Doubs, de Montpellier (Hérault) ou de Nantes (Loire-Atlantique). « Nous connaissons bien ces jeunes femmes qui sont, souvent, ce que nous appelons des mères “à temps partiel” », explique Noël Delugeau, responsable, à Nantes, du Petit Passage et du centre maternel de la Croix-Rouge. « L'attachement existe, la relation mère-enfant peut être de bonne qualité, mais ce qui fait défaut, c'est la continuité. » Aussi, lors de leur sortie du centre maternel, les mamans sont-elles informées de l'existence du relais parental, et ne manquent pas d'y faire appel, par exemple un week-end par mois pour « s'éclater » en boîte. « Un motif tout aussi recevable qu'un autre, participant bien de notre mission d'étayage de la parentalité et de prévention de la maltraitance, commente Noël Delugeau. Car prendre un peu de bon temps pour soi permet d'être à nouveau plus disponible pour son enfant. » C'est d'ailleurs en pensant tout particulièrement aux mères chefs de famille que l'association bisontine Le Roseau, notamment gestionnaire d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), a conçu les relais parentaux ouverts à Besançon et à Montbéliard (Doubs). « Nous avons bâti notre projet à partir de ce que les femmes hébergées nous disaient de leurs difficultés à concilier leur démarche d'insertion sociale et la garde de leurs enfants, et combien la solitude, les problèmes de santé, les situations de rupture, la précarité, rendaient fragile la relation qu'elles étaient en train de construire avec leurs enfants », explique Annick Labourey-Bénézet, responsable des relais du Doubs. En outre, ces parents très isolés, ayant souvent de gros problèmes sociaux, redoutent plus que tout de voir leur enfant placé. « Trois quarts de nos parents ont eux-mêmes connu la DDASS », précise Brigitte Fabrégat, éducatrice spécialisée du CHRS Regain, qui dirige le relais parental de Montpellier. Aussi, en toute connaissance de cause, le Foyer départemental de l'enfance de l'ASE, qui est un soutien important de la structure - par la mise à sa disposition d'une puéricultrice à mi-temps et de deux auxiliaires à temps plein -, n'a-t-il jamais cherché à valoriser ce partenariat afin que le relais ne soit pas connoté négativement aux yeux des parents. Par le passé, en effet, la pouponnière du Foyer confrontée, faute de solution alternative, à un grand nombre d'enfants admis pour des problèmes ne relevant pas de la protection, avait elle-même essayé d'organiser un accueil modulaire. Sans succès, l'étiquette « ASE » se révélant par trop dissuasive.
Entre familles et institutions, les relais ne constituent bien sûr qu'un maillon à l'intérieur de tout un réseau d'aide. Un outil qui, s'adaptant avec simplicité et pragmatisme aux besoins des parents, a rapidement trouvé sa place dans le paysage social des collectivités - parfois longues à convaincre - où il a pu s'implanter. Celles-ci, néanmoins, se comptent sur les doigts d'une main. Il est vrai que la prévention a un coût élevé, pour des résultats qui ne sont jamais immédiats, ni d'une lisibilité évidente. Qui plus est, en dépit des possibilités ouvertes par la décentralisation pour diversifier leurs interventions, « les structures départementales d'action sociale font montre d'une frilosité généralisée », note le sociologue Dominique Fablet, spécialiste des questions de suppléance familiale. Christian Jacob, ministre délégué à la famille, s'est dit pourtant très intéressé par la formule d'accueil mise en œuvre à la Passerelle, qu'il a visitée le 14 avril en compagnie du Premier ministre et du président du conseil général des Hauts-de-Seine. Il a également annoncé (3), lors de la conférence de la famille, sa volonté de favoriser la création d'établissements « innovants et souples pour les parents ». Reste à savoir si ces propos seront assortis d'un quelconque soutien financier.
Les Hauts-de-Seine - pionnier en la matière et à ce jour le mieux doté -, le Doubs, l'Hérault et la Loire-Atlantique sont les seuls départements a avoir favorisé la création de relais.
Passerelle et Coup d'Pouce (Hauts-de-Seine). Depuis l'ouverture d'un premier relais agréé pour sept enfants en 1985, l'association Passerelle 92, soutenue par la direction de la vie sociale du conseil général - et la Fondation de France -, s'est agrandie et structurée. Elle peut recevoir aujourd'hui une cinquantaine d'enfants par jour, de la naissance à 18 ans, soit dans ses maisons de Gennevilliers (la Grande et la Petite Passerelle), soit dans son réseau d'assistantes maternelles-relais. Limité à un mois, l'accueil peut être renouvelé une ou plusieurs fois si la situation l'exige (la durée moyenne des séjours était, en 2001, de 27 jours). Passerelle 92 : 34, rue Villebois-Mareuil - 92230 Gennevilliers -Tél. 01 47 92 22 65. Dans le sud des Hauts-de-Seine, le conseil général subventionne aussi l'association Coup d'Pouce 92 qui a créé deux relais « familiaux » (en 1990 et 1993) à Châtenay-Malabry et Fontenay-aux-Roses. Chacun d'entre eux peut recevoir 14 enfants de la naissance à 12 ans (jusqu'à 18 ans en cas de fratries) pour une durée maximale de deux mois, éventuellement renouvelable une fois. La durée moyenne des séjours était de 20,5 jours en 2001. Coup d'Pouce 92 : 10, rue Jean-Sintès - 92290 Châtenay-Malabry -Tél. 01 46 31 44 60.
Les relais parentaux (Doubs). L'association bisontine Le Roseau, également conventionnée par le conseil général, a ouvert un premier relais en 1994 à Besançon, puis un second, en 1999 à Montbéliard. Chacune des structures peut recevoir dix enfants de 2 à 10 ans- éventuellement plus jeunes ou plus âgés, au cas par cas -, pour une durée maximale de un mois, exceptionnellement renouvelable. Relais parental : 6 rue de Trépillot - 25000 Besançon -Tél. 03 81 53 39 70.
Les Lilas (Hérault). A l'initiative du CHRS Regain, géré par l'association Adages, le relais parental Les Lilas a ouvert ses portes à Montpellier en 1998. Le conseil général en est le principal, mais pas l'unique, partenaire financier : à la différence des autres relais, Les Lilas bénéficient notamment chaque année d'un soutien de la caisse d'allocations familiales (sur fonds propres). Le relais peut accueillir 8 enfants de 2 à 10 ans (limites d'âge pouvant varier en fonction des demandes), pour un séjour (continu ou séquentiel, comme dans les autres structures). La durée moyenne des séjours est de 11,5 jours. En outre, pour dépanner les familles nombreuses ou ayant des bébés, le relais peut faire venir une technicienne de l'intervention sociale et familiale à leur domicile pour une durée allant de une heure à huit jours (24 heures sur 24). Les Lilas : 15 rue Dauphiné - 34000 Montpellier - Tél.04 67 04 10 10.
Le Petit Passage (Loire-Atlantique). A Nantes, le conseil général a confié à la Croix-Rouge la mise en œuvre d'un relais, ouvert en 2000. Le Petit Passage peut recevoir 12 enfants de 0 à 10 ans (12 ans en cas de fratries), pour des séjours d'une durée globale ne pouvant, sauf exception, dépasser un mois. La durée moyenne est de 11 jours (consécutifs ou non). Un deuxième relais devrait ouvrir bientôt à Saint-Nazaire. Le Petit Passage : 151, boulevard du Massacre - 44100 Nantes -Tél. 02 40 58 15 78.
Caroline Helfter
(1) Qui a organisé le 14 novembre 2002, avec l'Anpase, une journée d'étude sur les relais parentaux, dont on peut commander les actes (22,80 €, port compris) à Atlante Editions : 430, bureaux de la Colline - 92213 Saint-Cloud cedex - Tél. 01 46 44 80 55.
(2) La signature d'une autorisation parentale d'hébergement et d'une décharge en cas de soins à donner en urgence mais aucune immatriculation à l'ASE - financeur principal des relais.
(3) Voir ASH n° 2309 du 2-05-03.