Construites, argumentées, ou épidermiques, ces réactions ont montré que l'article avait été mal compris. Il n'avait évidemment pas pour prétention d'être une enquête exhaustive sur le service social scolaire. Il n'avait d'autre objet que d'attirer l'attention de nos lecteurs sur l'achèvement d'un vaste programme interministériel de recherche sur la déscolarisation et l'existence, parmi cette masse de données, de certaines observations, faites en certains lieux, concernant spécifiquement les assistants de service social de l'Education nationale. Nous pensions cette intention suffisamment claire, à l'évidence nous nous trompions. Sans doute aurait-il fallu insister davantage sur le caractère local des études citées, sur l'importance de ne pas généraliser leurs résultats, sur le fait qu'elles ne reflétaient bien sûr pas l'intégralité des travaux. Sans doute aussi la concomitance entre cette publication et la fervente mobilisation des professionnels du service social scolaire contre sa décentralisation ne pouvait que susciter des réactions passionnées. Mauvais timing, donc. Mais s'il y a eu malentendu, c'est évidemment qu'il y a eu, de notre part, maladresse. Nous n'acceptons cependant pas les mauvais procès. Certains courriers témoignent d'une lecture trop rapide de cet article, leurs auteurs n'ayant pas perçu que certaines expressions ( « fort cloisonnement » ou « une forme de protectionnisme corporatiste » ) - apparaissant pourtant entre guillemets et en italique, signes conventionnels de citation -, étaient directement tirés des écrits des chercheurs et non l'assertion péremptoire du journaliste. Pas plus, d'ailleurs, que le lien fait entre la défense des identités professionnelles et le combat contre la décentralisation. Non, nous ne nous sommes pas non plus rendus coupables d'anachronisme en réinterprétant à la lumière de l'actualité les résultats d'études anciennes : si l'appel d'offres pour ce programme a été lancé en 1999, les travaux eux-mêmes se sont parfois prolongés jusqu'en 2003. Non, nous n'avons évidemment pas voulu jeter le discrédit sur l'ensemble d'un groupe professionnel dont nous avons par ailleurs abondamment relayé les revendications et les arguments. Enfin, à ceux qui nous ont rappelés à ce qu'ils considèrent comme notre rôle de « garant » de la déontologie des assistants de service social, nous répondons qu'ils font fausse route. Cette prérogative revient aux professionnels eux-mêmes. La vocation de la presse est d'accompagner- mieux, de précéder - les débats, ce que les ASH ne peuvent être suspectées de négliger. Cela nous conduit à ne pas nous croire tenus de passer sous silence, lors- qu'ils nous parviennent, les échos moins conformes à la représentation idéalisée que la profession - comme toute profession - a d'elle-même.
C.G.
Philippe Siclet
Membre du bureau national du Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUAS-FP) -FSU
« Stupéfaction, et le mot est faible, à la lecture de l'article intitulé “le service social scolaire sur la défensive ?” paru dans le numéro des ASH du 30 mai dernier (1).
[...] L'interprétation que l'article met en avant nous semble plus que réductrice et, en rien, ne reflète la réalité de terrain. Par ailleurs, l'amalgame avec le mouvement actuel de protestation, en opposition au projet de transfert de personnels aux collectivités territoriales relève d'un non-sens tout à fait dangereux.
En revanche, il est exact qu'il reste énormément à faire, à construire, en matière de lutte contre la déscolarisation. Si le chantier est gigantesque, d'ores et déjà l'approche professionnelle (nous la revendiquons, au risque de vous paraître archaïques et corporatifs) des assistants sociaux scolaires est fondamentale. Depuis de nombreuses années, nous déplorons que notre place reste malheureusement insuffisante. Ce n'est pas la faute des assistants sociaux eux-mêmes mais bien celle des politiques, sourds à chaque fois que nous réclamons au ministère de l'Education nationale une véritable politique sociale de prévention.
Le service social scolaire est un service social sinistré : de nombreux rapports se sont succédé pour le dénoncer. Alors, même si depuis quelques années nous bénéficions enfin de quelques créations de postes, compte tenu de l'état de pénurie, ces créations sont le plus souvent ressenties comme des améliorations à doses homéopathiques. Il y a encore des collègues qui ont des secteurs d'intervention de cinq ou six établissements scolaires (voire davantage) ! Face à ce phénomène, plutôt que d'interpeller directement les choix de la politique du ministère de l'Education nationale, certains chefs d'établissements, ceux-là mêmes d'ailleurs qui sont farouchement opposés au secret professionnel, certains conseils généraux... sont parvenus, parfois avec l'appui de certaines orientations ministérielles, à faire appel à des personnels sans qualification particulière et sur des missions qui ressemblent étrangement à celles des assistants sociaux scolaires. S'agit-il de “protectionnisme corporatif” que de refuser un travail social relevant simplement de bonnes intentions ou du “bon cœur”, que de revendiquer des emplois qualifiés avec de réelles compétences professionnelles qu'on acquiert au cours de trois ans d'études par exemple, que de revendiquer le respect de l'individu et de sa vie privée... ?
Sur le terrain, nombreuses sont les assistantes sociales scolaires qui récupèrent, en fin de parcours, des jeunes en position délicate, du fait de ces interventions. Sans compter que nous n'avons eu de cesse de dénoncer une tendance à médicaliser, psychologiser ou judiciariser les problèmes sociaux des jeunes. C'est d'ailleurs ce qui nous a amenés il y a un an à lancer un appel, plus que jamais d'actualité, destiné à l'ensemble des partenaires, intitulé : “Osons la prévention”.
Sur le terrain, c'est souvent le service social scolaire qui est justement à l'origine du “décloisonnement des interventions”. A l'interne, au sein de l'équipe éducative par exemple, nous contribuons à la mise en place d'équipes de suivi ou équipe relais. Grâce à ces dispositifs pluriprofessionnels, les compétences de chacun se confrontent, s'affrontent aussi parfois, avec le souci permanent et délicat d'éviter la superposition des interventions et d'agir en complémentarité. Les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des efforts déployés mais au moins la cohérence des interventions s'en trouve nettement améliorée. Il s'agit d'un travail de partenariat ou plutôt de collaboration interne qui nécessite une connaissance fine de l'institution scolaire et de chacun de ses membres. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il nous semble que seul un service social spécialisé appartenant à l'institution Education nationale est le mieux habilité à parvenir à assumer ce type de tâche. A l'externe, l'assistant social scolaire est un véritable relais et se pose en médiateur entre l'institution scolaire et les partenaires sociaux ou éducatifs. L'axe majeur de notre travail, c'est le partenariat !
Est-ce du corporatisme quand le mouvement de lutte contre la décentralisation, au-delà du secteur social, est porté par l'ensemble des membres de la communauté scolaire, dont les enseignants ?Le monde de l'éducation sait qu'on n'enseigne plus aujourd'hui comme il y a 20 ans, que c'est l'ensemble des regards croisés qui peuvent garantir la mission de service public d'éducation.
Cette lutte contre la décentralisation s'inscrit davantage dans un contexte bien réel de crainte du renforcement des inégalités et de recentrage annoncé de l'Etat sur ses missions régaliennes :l'armée, la police et les prisons.
Loin de tout corporatisme, nous souhaitons au contraire que les convergences entre l'ensemble des travailleurs sociaux puissent se renforcer pour répondre aux attaques actuelles à notre encontre mais aussi à l'encontre des populations les plus fragilisées. »
Contact : SNUAS-FP-FSU - 3/5, rue de Metz - 75010 Paris - Tél.01 44 79 90 43.
Catherine Cunat Secrétaire générale du Syndicat national des assistants sociaux de l'Education nationale (Snasen) -UNSA
« Les assistants et conseillers techniques de service social syndiqués au Syndicat national des assistants sociaux de l'Education nationale (Snasen-UNSA) ne se reconnaissent pas du tout dans la description partiale qui est faite de leurs méthodes de travail dans le cadre de la déscolarisation des jeunes.
Il nous paraît donc important de resituer, à partir de notre vécu, l'action du service social scolaire sur le terrain dans le cadre de la prise en charge de l'absentéisme scolaire.
Le service social scolaire s'intéresse en effet d'abord à l'adolescent dont il doit évaluer la situation individuelle d'absentéisme scolaire, mais contrairement à ce que est affirmé dans l'article, cette évaluation sociale prend aussi en compte l'environnement global c'est-à-dire les facteurs liés à l'institution scolaire elle-même et les divers éléments de l'environnement extérieur, dont la famille. Notre but est de mettre en œuvre et à tous les niveaux les actions adaptées pour éviter la désertion totale, voire l'exclusion des jeunes.
Nos collègues estiment donc indispensable de se trouver au sein même des établissements scolaires pour privilégier un travail de proximité par des contacts directs et fréquents avec les équipes éducatives pluri-catégorielles.
Dans les problématiques liées à l'adolescence, tout peut en effet basculer très vite. Il faut donc agir rapidement, élargir et diversifier les prises en charge. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si nombre d'enseignants d'établissements difficiles sont actuellement à nos côtés, pour défendre nos missions au sein de l'école. La priorité du mouvement actuel contre la décentralisation n'est donc pas le “refus de la perte de notre statut”.
Par ailleurs les nombreux comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté mis en place sur le terrain témoignent des multiples actions collectives en partenariat avec les diverses institutions et associations extérieures. Ces comités existent souvent par la volonté et à l'initiative des équipes
d'établissements, avec une participation non négligeable du service social scolaire. Il est fort regrettable qu'à partir d'exemples apparemment limités, une généralisation caricaturale soit faite pour dénoncer le “fort cloisonnement” de nos pratiques professionnelles.
La mission de l'assistant social au sein de l'école n'est pas de faire l'analyse et le traitement des éventuels dysfonctionnements de l'institution scolaire, traitement qui relève d'un autre professionnalisme.
Enfin, comment accepter de lire sans réagir que nous serions “les gardiennes de la sphère privée des élèves” alors que cette obligation relève pour nous d'une disposition qui nous est imposée par la loi et qui nous infligerait de lourdes condamnations pénales si nous venions à la transgresser...
En résumé, si l'état des lieux des constats du phénomène de déscolarisation décrits dans votre article ne nous choque pas particulièrement, les conclusions nous paraissent, en revanche, traduire une volonté clairement affichée de décrire de façon négative, étriquée, voire péjorative, les pratiques de nos collègues.
Pourquoi et dans quel but ? »
Contact : Snasen-UNSA - 22, rue de Bellechasse - 75007 Paris -Tél. 01 47 05 62 77.
Jocelyne Soriano, Mireille Patty, Claude Mezy Assistants sociaux scolaires du Haut-Rhin
« L'article sur la déscolarisation et le service social scolaire nous donne envie d'apporter notre analyse d'assistants sociaux scolaires.
En effet, le “positionnement” qui nous est prêté nous paraît en contradiction avec notre identité et notre pratique professionnelle.
Nous souhaitons donc ouvrir le débat en rappelant nos missions dans un premier temps, puis en commentant plusieurs extraits de l'article.
Les missions sont clairement définies dans la circulaire 91248 du 11 septembre 1991 et se déclinent principalement comme suit :
protection des mineurs en danger ou susceptibles de l'être ;
participation à l'insertion scolaire, sociale et professionnelle des jeunes en difficulté ;
l'action sociale au profit des élèves se situe dans le cadre d'un renforcement général du dispositif de prévention.
L'absentéisme n'apparaît pas comme une mission prioritaire pour les assistants sociaux. Le dossier de manquement à l'obligation scolaire est prioritairement géré par le chef d'établissement, l'équipe de la vie scolaire (conseiller principal d'éducation, aides-éducateurs...). Nous intervenons en tant que partenaires pour apporter un éclairage à partir d'éléments sociaux. Notre intervention se situe dans un cadre délimité par une “commande institutionnelle”.
[...] Nous n'avons pas pour “ a priori implicite” que la déscolarisation est obligatoirement liée à la situation familiale ;nous apportons des éléments de compréhension en lien avec l'histoire familiale et répondons ainsi à une demande institutionnelle. Il y a donc confusion entre une réponse à une commande institutionnelle, réductrice, notre positionnement et notre analyse globale en tant que professionnels. Concernant l'absentéisme, l'analyse que nous pouvons objecter dépasse de loin le contexte familial et interroge le rôle de l'institution. [...]
Notre autonomie professionnelle est essentielle et garantie par notre code de déontologie et le secret professionnel et notre indépendance hiérarchique par rapport au chef d'établissement. Grâce à cette autonomie professionnelle, nous pouvons entendre les familles et les élèves et prendre en compte leur remise en question de l'institution.
Nous pouvons ainsi faire remonter notre analyse des dysfonctionnements institutionnels auprès des chefs d'établissements et de la communauté éducative. Au-delà du travail d'écoute, nous mettons en place des actions concrètes comme la médiation entre élèves et communauté éducative et familles et équipe de direction.
A ce travail s'ajoutent les actions collectives menées en partenariat avec les élèves, la communauté éducative, les parents et les partenaires extra-scolaires. C'est la raison pour laquelle les passages suivants de l'article nous paraissent déplacés : “ ´fort cloisonnement' des relations entre assistants de service social et enseignants”, “une forme de protectionnisme corporatif” et une “résistance au partenariat”. [...]
Ignorant visiblement le travail partenarial mené entre les assistants sociaux et les éducateurs de circonscription, d'action éducative en milieu ouvert, de foyers, de centres sociaux, etc., voilà qu'une équipe de chercheurs nous “explique” que nous nous sentons menacés par des éducateurs au nom d'antagonismes de principe (ça change des a priori ) ; ce travail de recherche ayant pour cadre une commande interministérielle, n'appelle-t-on pas ça “diviser pour mieux régner” ?Mettons les choses au point : le problème n'est pas de s'opposer par principe à tel ou tel corps de métier mais de se positionner, en tant que professionnel du social, face à un dispositif pouvant remettre en question les fondements mêmes de notre travail.
Par rapport au faux débat sur une prétendue protection derrière le secret professionnel, nous tenons à rappeler ce qui nous semble une évidence fondamentale dans le travail social : nous travaillons avec des êtres humains qui ont droit à la dignité et au respect de leur vie privée (cf. Convention des droits de l'Homme et du citoyen). Nous sommes dépositaires et non propriétaires des informations dont nous font part les personnes que nous rencontrons. Le secret professionnel est levé dans le cadre des missions de protection de l'enfance et lorsqu'il y a obligation de porter assistance. Dans ces cas, nous l'expliquons aux intéressés.
Concernant l'échange d'informations dans le cadre du travail partenarial, cette pratique existe déjà dans le travail social mais répond à des critères précis : ne transmettre que les éléments nécessaires dans l'intérêt de la ou des personnes concernées et s'assurer que les personnes concernées sont d'accord ou tout au moins informées de cette transmission. [...]
Rappelons enfin que l'indépendance d'esprit n'a pas pour corollaire la connotation politique de telle ou telle instance institutionnelle.
Notre indépendance d'esprit et notre identité professionnelle s'appuient non seulement sur la formation initiale (trois ans post-bac) mais s'enrichit tout au long de notre carrière par la formation continue et le travail d'analyse au quotidien de notre pratique professionnelle.
A ce titre, nous sommes des professionnels en sciences sociales et notre fonction nous confronte aux relations humaines dans ce qu'elles ont de plus riche et de plus intime.
C'est pour cela que notre indépendance d'esprit et notre professionnalisme sont indissociables et irremplaçables.
Espérant poursuivre le débat... »
Contact :
Sylviane Beijeaud, Brigitte Bernard, Claire Candillier, Corine Falcon, Laurence Lagautrière, Monique Lecru, Béatrice Lehoux, Bernadette Martin-Herbon, Nathalie Plaud, Marie-Claude Raynaud, Marie-Noëlle Vallantin-Dulac Assistantes sociales scolaires de la Charente
« Nous tenons à vous faire part de notre vif étonnement, face à une analyse pour le moins partiale.
A partir d'une recherche consacrée à la déscolarisation, votre article évolue vers une mise en cause de la pratique du travail social en milieu scolaire.
L'évaluation demandée à l'assistante sociale face à des situations d'absentéisme vise à situer l'adolescent dans son environnement et non à élaborer une analyse sociologique de l'institution scolaire qui, elle, demande d'autres méthodes d'étude pour lesquelles l'assistante sociale de l'Education nationale n'est pas missionnée (2).
Pointer les difficultés familiales et individuelles de l'adolescent n'empêche pas l'assistante sociale de noter certains dysfonctionnements de l'institution et d'œuvrer quotidiennement à leur prise en compte en vue d'une meilleure insertion de l'élève.
A partir d'exemples isolés, votre article met l'accent sur une absence de partenariat imputée à “une forme de protectionnisme corporatif” et à “une résistance au partenariat”.
L'absence de travail en partenariat rendrait impossible notre pratique quotidienne. Notre appartenance à l'équipe éducative en témoigne, ainsi que notre collaboration avec les partenaires extérieurs à l'institution scolaire. [...]
Nous ne comprenons absolument pas le parallèle établi entre le thème de la déscolarisation et l'opposition “frontale” des professionnels à la décentralisation.
Si le statut de fonctionnaire d'Etat nous permet une “indépendance d'esprit”, et la préservation de nos principes déontologiques, nous le revendiquons et nous souhaitons que le travail social reste longtemps indépendant des “instances institutionnelles connotées politiquement”. »
Contact : Maryse Mocœur - Inspection académique de Charente - Service social en faveur des élèves - Cité administrative du Champ-de-Mars - Bât. B - Rue Raymond-Poincaré -16023 Angoulême -Tél. 05 45 95 20 65.
(1) Voir ASH n° 2313 du 30-05-03.
(2) Cf. circulaire de mission de 1991.