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BRISER LE TABOU DE LA MALTRAITANCE EN INSTITUTION

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Améliorer l'actuel dispositif de lutte contre les mauvais traitements et renforcer la prévention : tels sont les deux axes structurant les 27 propositions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale installée en décembre dernier pour lever le voile sur cette réalité longtemps occultée.

Que sait-on de la maltraitance des personnes handicapées en établissement en France aujourd'hui ? Peu de choses... C'est « une réalité difficile à appréhender », souligne le rapport (1) qu'a rendu public, le 12 juin, la commission d'enquête sénatoriale qui, avec Paul Blanc (UMP) à sa tête (2), a travaillé pendant six mois sur le sujet, auditionné 70 personnes (3), visité 17 sites dans sept départements... Rares sont en effet les faits ou actes « particulièrement graves ou spectaculaires », bien plus commune est en revanche la « succession de petits actes qui, réunis, créent les conditions de l'isolement et de la souffrance des personnes handicapées ».

Effet, sans doute, de la prédominance de cette maltraitance « en creux » - par opposition à celle dite « en bosse », faite de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, plus aisément détectable (4)  - on ne dispose sur le sujet que d' « études statistiques fragmentaires et approximatives ». La directrice générale de l'action sociale, Sylviane Léger, a elle-même, lors de son audition, qualifié d' « insignifiantes » celles de son administration. Seul chiffre qui puisse être cité de façon certaine : 209 fiches de signalement de maltraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux lui sont remontées en 2002, transmises par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS). La moitié concernaient des structures pour enfants handicapés et le tiers des institutions pour adultes handicapés. Le numéro vert 119 (Allô enfance maltraitée) enregistrait cependant en 2001 environ 6 000 appels concernant des enfants ou des adolescents handicapés...

Ce manque d'intérêt de la plupart des institutions sociales pour la question - et particulièrement de la part de l'inspection générale des affaires sociales, qui a « beaucoup surpris la commission d'enquête »  - semble en fait refléter celui de la société française dans son ensemble. Laquelle « a longtemps ignoré la maltraitance envers les personnes handicapées car elle cachait les handicapés eux-mêmes », relèvent les sénateurs. Certains faits divers ont accéléré, ces dernières années, la prise de conscience de la gravité du problème. C'est d'ailleurs à la suite d'une affaire de mauvais traitements dans un foyer pour adultes myopathes et polyhandicapés de l'Yonne (5) qu'Henri de Raincourt, sénateur et président du conseil général de ce département déjà éprouvé par le précédent des établissements de l'ex-comité icaunais de l'APAJH, a impulsé la création de cette commission.

Comment lever encore davantage le voile sur cette réalité méconnue ? La création d'un service d'accueil téléphonique anonyme, sur le modèle du 119, pourrait y contribuer, estiment les parlementaires, recommandant l'extension à l'ensemble du territoire de l'expérience ALMA-H (Allô maltraitance handicapés), dont deux antennes fonctionnent à ce jour à Nancy et Grenoble (6). Le dispositif de signalement, qui se heurte à un « mur du silence », pourrait aussi être amélioré. Par exemple en étendant, « de façon explicite », la levée du secret professionnel des médecins à l'ensemble des cas de maltraitance envers les personnes vulnérables, et non plus seulement dans les cas de violences sexuelles. Ou encore en « mettant en cohérence les règles de soumission au secret professionnel des différentes catégories de travailleurs sociaux », règles complexes, donc fort mal appliquées, au détriment, souvent, du signalement.

A cette loi du silence, d'ailleurs, personne ne contrevient vraiment. Ni les victimes, en proie à un sentiment de honte ou de culpabilité. Ni les familles, qui ont peur de perdre une place en établissement. Ni les professionnels, paralysés en sus, en dépit des garanties apportées sur ce point par la loi relative à la lutte contre les discriminations du 16 novembre 2001 (7), par la peur du licenciement, notent les sénateurs. D'où leur préconisation d'élargir à tous les témoins de maltraitances la possibilité de saisine du médiateur institué par la loi du 2 janvier 2002, auquel les personnes handicapées peuvent faire appel pour faire valoir leurs droits vis-à-vis de leur établissement d'accueil (8).

Le dispositif de contrôle administratif des établissements sociaux et médico-sociaux gagnerait également à être assoupli. Ainsi le président du conseil général, dont les services ont « la possibilité d'une prompte réactivité, souvent déterminante en matière de lutte contre la maltraitance », devrait se voir conférer le pouvoir de fermeture des établissements relevant du département. La préfet conserverait son actuel pouvoir en la matière en cas de désaccord avec l'élu. Il devrait par ailleurs voir étendue la gamme de ses pouvoirs à l'égard des structures qui ne sont pas sous sa tutelle directe, au-delà de la seule fermeture. Autre recommandation : que les DDASS fassent un usage plus large des mesures de mise à pied conservatoire à l'égard des professionnels mis en cause, afin d'éloigner au plus vite l'agresseur présumé.

Quant au dernier étage de l'arsenal juridique de lutte contre la maltraitance, le volet judiciaire, il pourrait lui aussi être amélioré. Le rapport suggère ainsi d'ouvrir aux magistrats instructeurs la possibilité de désigner un administrateur ad hoc, chargé d'assister la personne tout au long de la procédure, en sollicitant notamment l'aide judiciaire. La justice devrait en outre disposer, selon les parlementaires, de professionnels qualifiés, bénéficiant de la qualité d'experts auprès des tribunaux, et spécialisés dans les questions relatives au handicap. Le point de départ du délai de prescription de l'action publique en cas de crimes commis à l'encontre d'une personne vulnérable devrait en outre, selon le rapport, être fixé non à la date de la commission des faits, mais à celle de leur révélation.

Deuxième grand axe des travaux de la commission, le renforcement de la prévention de la maltraitance. Celle-ci passe notamment par une promotion des métiers de l'accompagnement du handicap, pour lesquels une pénurie est annoncée dans les prochaines années ainsi que par une meilleure formation des professionnels. Aussi la profession d'aide médico- psychologique devrait-elle être réglementée afin d'obliger les non-diplômés lors de leur prise de fonction à se former dans le cadre de la formation continue et à obtenir le diplôme au plus tard cinq ans après leur arrivée sur le poste. Le recours à la validation des acquis de l'expérience  (VAE), par ailleurs, « doit être organisé » pour l'ensemble des titres, estiment les parlementaires. Mais celle-ci « ne doit pas servir à cautionner l'ensemble des personnels sans formation ». « Comment raisonnablement s'accommoder, pour un métier réputé difficile et présentant des risques importants de maltraitance, d'une première formation “sur le tas”, même suivie d'une VAE adéquate ? » Plus généralement, les élus invitent à sensibiliser à la prévention de la maltraitance l'ensemble des acteurs des établissements, notamment les administrateurs des associations gestionnaires de structures.

Parce qu'une prise en charge inadaptée de la personne handicapée constitue également une violence qu'il est possible de prévenir, le rapport souligne par ailleurs l'importance de proposer un nombre de places suffisantes et d'aller dans le sens d'une plus grande intégration en milieu ordinaire. Reprenant une proposition du rapport Blanc sur la compensation du handicap (1), il préconise, de surcroît, d'améliorer le fonctionnement des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel  (Cotorep) et des commissions départementales de l'éducation spéciale. Concrètement, il s'agit, entre autres, de subordonner toute décision prise par une de ces instances à un entretien préalable obligatoire et approfondi de la personne concernée et de son représentant légal.

Les associations gestionnaires « juges et parties »

Enfin, soucieux de l'existence d' « une dynamique de bientraitance dans les établissements », les sénateurs recommandent leur ouverture maximale, par la mise en réseau avec d'autres structures, le développement des échanges ou des sorties, ou encore le renforcement des liens avec la famille. Dans ce dernier domaine, ils jugent opportun d'aménager le mode de tarification des établissements, de telle sorte qu'à prise en charge inchangée, les établissements aient la faculté de laisser leurs hôtes qui le souhaitent rejoindre leurs familles tous les week-ends et pendant les congés scolaires. « En tout état de cause, et quel qu'en soit le coût pour les établissements, il faut que cessent immédiatement les contingentements qu'ils tentent parfois d'imposer aux familles ».

Il importe, d'une façon générale, dans l'optique de l'amélioration de « la gouvernance » des établissements, de bien veiller à « faire prévaloir l'intérêt des personnes handicapées sur la logique institutionnelle », en favorisant leur participation à la vie de l'établissement. Tout en plaidant pour que les familles y prennent également part, le rapport estime « problématique » leur participation à la gestion des établissements. « La commission d'enquête est convaincue que le silence gardé sur les cas de maltraitance institutionnelle tient également pour partie à des relations parfois trop étroites, pour ne pas dire “incestueuses”, entre les associations gestionnaires et les établissements qui accueillent des personnes handicapées. Ces associations, dont la vocation première demeure la protection des personnes handicapées, sont, dans certains cas, juges et parties : elles doivent alors concilier protection des résidents et protection de leurs intérêts, la bonne réputation de leurs établissements par exemple », écrivent les parlementaires. Lesquels ne souhaitent toutefois pas revenir sur la gestion associative, sans laquelle de nombreux établissements n'existeraient pas, mais établir « une délégation plus claire des prérogatives de gestion de nature à préserver l'authenticité des projets associatifs ».

Un rapport bien accueilli

Les associations qui se sont exprimées sur ce rapport ont relevé la qualité des travaux sénatoriaux, à l'exemple de l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei), qui a accueilli « avec intérêt » les conclusions de la commission. Laquelle, il est vrai, a pu s'appuyer largement sur le Livre blanc que l'union, pionnière des études sur le sujet, avait diffusé il y a trois ans (9). Toutefois, « le fait que les institutions soient gérées par des associations représentatives des personnes handicapées ou de leurs familles constitue une garantie, parmi d'autres, offertes aux usagers de ces structures », a précisé l'Unapei. Un point de vue partagé par l'Association des paralysés de France : « Pour nous, c'est une force. Rapprocher les adhérents et les salariés permet de construire des réponses plus adaptées », souligne Claude Meunier, directeur général adjoint de l'association. Tout en se disant « ouvert à la discussion sur le sujet ». L'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts) (10) , de son côté, s'est dite « en phase avec les conclusions » de ce travail, et notamment avec l'affirmation de « l'absolue nécessité de former les personnels » en vue de prévenir la maltraitance.

Peggy Bobeda et Céline Gargoly

Notes

(1)   « Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence » - Commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir - Paul Blanc, président - Jean-Marc Juilhard, rapporteur - Les rapports du Sénat n° 339 - 13,5  € - Egalement téléchargeable sur le site www.senat.fr.

(2)  Très actif dans le domaine du handicap, il vient notamment de déposer, avec Nicolas About, une proposition de loi rénovant la politique de compensation, dans la droite ligne du rapport qu'il avait présenté en juillet dernier au nom de la commission des affaires sociales du Sénat - Voir ASH n° 2312, du 23-05-03.

(3)  Parmi lesquelles des ministres et anciens ministres, la directrice générale de l'action sociale, des représentants de l'Association des départements de France, de l'inspection générale des affaires sociales, d'associations gestionnaires d'établissements, d'associations tutélaires, d'organisations syndicales, de centres de formation de travailleurs sociaux, d'associations de défense des personnes handicapées, de la magistrature, de la caisse nationale de l'assurance maladie, de la Mutualité sociale agricole...

(4)  Voir ASH n° 2289 du 13-12-02.

(5)  Voir ASH n° 2265 du 31-05-02.

(6)  Voir ASH n° 2276 du 13-09-02.

(7)  Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.

(8)  Voir ASH n° 2245 du 11-01-02.

(9)  Voir ASH n° 2162 du 14-04-00.

(10)  Sur la contribution de l'Aforts aux travaux de la commission d'enquête, voir ASH n° 2303 du 21-03-03.

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