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« A propos de la loi du 2 janvier 2002 : l'overdose »

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F allait-il réformer la loi de 1975 relative aux établissements sociaux et médico-sociaux ? Non, s'il s'agit de sacrifier à l' « administration du papier », répond en substance Henri Araou, ancien cadre des services déconcentrés du ministère des Affaires sociales.

« Pour bien comprendre la loi du 2 janvier 2002 censée rénover l'action sociale et médico-sociale, il ne faudrait pas oublier que les responsables des grandes fédérations ou unions ont -ici même - exprimé, avec plus ou moins de force, leur “circonspection et leurs inquiétudes”. Il ne serait pas inutile non plus de faire une lecture attentive du Journal officiel des débats parlementaires  : en effet, de très nombreux députés ou sénateurs, de tous bords, ont trouvé la loi “terriblement paperassière” et le rapporteur au Sénat- dont le travail remarquable a été salué par tous les groupes politiques - a lui-même estimé que ce projet “ne constitue pas une révolution et ne simplifie pas les choses”. Si on ajoute que la plupart des amendements, très nombreux, ont été systématiquement refusés par le gouvernement, il est permis de s'interroger sur la valeur qu'un “consensus mou” peut donner à une loi qui était en gestation depuis 1996 et qui avait fait l'objet de cinq avant-projets précédés d'un “exposé des motifs” vite oublié.

Mais fallait-il donc réformer la loi du 30 juin 1975 ?

Oui - assurément oui -, pour affirmer, face aux multiples et persévérantes tentatives d'assimilation au secteur hospitalier, la spécificité du secteur social et médico-social.

Non - très nettement non -, si la réforme servait de prétexte pour ajouter une couche supplémentaire de réglementation dans un secteur déjà sur-réglementé.

Or il y a deux lois en une :

 la première, qui aurait pu être très utile pour jeter les bases d'une politique nouvelle en phase avec le XXIe siècle. Avec quelques améliorations, notamment pour donner toute sa place à l'aménagement du territoire et au développement local, certains articles (1) auraient pu constituer une loi-cadre balisant la route des gens d'action que préoccupe le sort des plus fragiles ;

 la deuxième- chef-d'œuvre de bureaucratie (2)  - légalisera, hélas, des pratiques administratives tatillonnes, suspicieuses, voire inquisitoriales, comme celles de ces trois ou quatre directions départementales des affaires sanitaires et sociales qui se prennent pour des “sheriffs” et voudraient cumuler les fonctions de délégué à la vie associative, de policier et de juge (ils oublient qu'ils sont sur des postes fonctionnels, donc éjectables).

Il se trouve qu'entre ces deux volets, très inégaux, une partie de la loi est réservée aux “droits des usagers”. Au risque de choquer les intellectuels de la “pensée unique”, je n'y vois qu'une nouvelle mode, bien dans l'air du temps, porteuse de démagogie pour affirmer des droits qui ne devraient pas se discuter au moins depuis la déclaration des droits de l'Homme (il en sera différemment avec la révision de la loi d'orientation pour les handicapés, car il s'agira de définir et de garantir vraiment les droits spécifiques des handicapés).

50 décrets en attente

Sur le fond, considérer que jusqu'à présent “l'usager” (quel mot affreux !) n'était pas “au centre” (!) de toutes les préoccupations des gestionnaires, c'est faire injure aux pionniers qui dans les années 60-70 ont créé, avec des bouts de ficelle et sans argent, les premiers centres d'aide par le travail ou centres d'hébergement et de réinsertion sociale. C'est estimer que pendant plus de 25 ans, tous ceux qui se sont “défoncés” pour veiller au bien-être de ceux qui leur étaient confiés ont failli à leurs tâches.

Sur un autre plan, les meilleurs spécialistes du droit (par exemple Jean-Marc Lhuillier) ont montré toutes les dérives que va entraîner cette inévitable judiciarisation du social, aggravée par les “injonctions paradoxales” qu'imposeront, sans obtenir la garantie d'un meilleur usage des deniers publics, quelques fonctionnaires trop zélés à des directeurs qui, le “nez dans le guidon”, devront gérer au mieux les surcoûts imposés (c'est un comble !) par l'administration.

Car sur les sept dispositions (dont cinq ne sont pas nouvelles) qui organiseront ce droit des usagers, aucune ne laisse place à l'esprit d'initiative, à l'innovation ou à l'émulation entre gestionnaires : tout est ou sera réglementé et... 50 décrets sont en train de mijoter dans les cuisines ministérielles. Nous sommes en plein dans “l'Administration du papier”. Comme le disait récemment le professeur Pujol, président de la Ligue nationale contre le cancer, à propos de la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades : “les papiers s'envolent”. En renversant ainsi l'adage bien connu : “les paroles s'envolent...”, il voulait montrer toute l'importance que doit revêtir le colloque singulier entre le médecin et son malade. Dans le social, pour “accompagner” réellement les plus faibles, au-delà des savoir-faire nécessaires, c'est le savoir-être qui est essentiel, et celui-là ne se réglementera jamais.

Ils n'avaient pas tort, les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales (IASS), quand ils dénonçaient “l'écart abyssal entre les ambitions revendiquées[...] et les moyens alloués” (3). Mais ils n'ont pas raison s'ils pensent que pour être fort l'Etat doit être obèse, alors qu'il doit veiller à rester musclé. Avec la deuxième étape de la décentralisation, une occasion unique se présente pour imposer aux services extérieurs du ministère des Affaires sociales, qui n'arrive pas à devenir majeur, une cure d'amaigrissement. Il s'agit pour eux d'abandonner tout ce qu'ils ne savent pas faire, ou qui est superflu, pour aller à l'essentiel : le contrôle, comme ne cesse de le rappeler l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) depuis la création des directions départementales des affaires sanitaires et sociales en 1964. Mais un contrôle réussi suppose en amont une présence bienveillante et stimulante auprès des gestionnaires (ce que sauraient faire la plupart des inspecteurs s'ils n'étaient pas envahis par les règlements et circulaires). Et les nouvelles missions régionales d'inspection et de contrôle - initiatives parfois maladroites - semblent déjà avoir “du plomb dans l'aile”. “L'inspection... doit rester une arme stratégique [qui] pour être bien réussie doit être bien appréhendée”, rappelait Isabelle Persec, présidente de l'Association des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales, dans la Revue des IASS de février 2002. On est souvent loin du compte.

Avec la décentralisation, c'est maintenant ou jamais qu'on va enfin réformer l'Etat : les services extérieurs des affaires sanitaires et sociales seront un relais utile pour l'inspection générale des affaires sociales ou n'auront plus de raison d'être.

Dans l'immédiat, face à l'avalanche de papiers qu'ils auront du mal à digérer, les gestionnaires d'établissements et de services, comme les fonctionnaires des services déconcentrés, feraient bien de prendre conscience qu'on meurt souvent d'overdose. »

Henri Araou Ancien cadre des services extérieurs des Affaires sociales et militant associatif. Contact : Chambre régionale de l'économie sociale de Languedoc-Roussillon - Maison de l'agriculture - Bât. 2 - Place Chaptal -34261 Montpellier cedex 2 -Tél. 04 67 34 77 02.

Notes

(1)  La section du premier chapitre, relative aux fondements de l'action sociale et médico- sociale, ainsi que les articles 16 (sur le Conseil supérieur des établissements et services sociaux et médico-sociaux), 17 (sur l'évaluation des besoins et la programmation des actions) et 22, dernier alinéa (sur le Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale).

(2)  Qui aurait justifié l'application de la formule de Montesquieu : « Quand il n'est pas nécessaire de faire une loi, il est nécessaire de ne pas la faire. »

(3)  Voir ASH n° 2195 du 29-12-00.

TRIBUNE LIBRE

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