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La prison, une annexe de la psychiatrie ?

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L'afflux croissant de personnes atteintes de troubles mentaux en prison pose de plus en plus de problèmes aux professionnels, qui en dénoncent les dangers. Evolution de la psychiatrie générale (1), amélioration des soins intra-muros, responsabilisation des malades mentaux, exclusion... expliquent ce glissement. Qui, si une réflexion n'est pas lancée, mènera peu à peu à la pénalisation de la maladie mentale.

« En prison, il y a des gens tellement en dehors de la réalité qu'ils ne savent même pas où ils se trouvent ! Nous avons eu un patient qui réclamait sans cesse un vélo pour aller faire un tour... Nous ne sommes jamais parvenus à lui faire comprendre la situation », témoigne Evry Archer, psychiatre responsable du service médico-psychologique régional (SMPR) de Loos. Au SMPR de Fleury-Mérogis, c'est l'histoire d'un détenu qui « écrivait chaque jour à Jacques Chirac pour être “soit guillotiné soit incorporé dans l'armée” », que relate le psychiatre Cyrille Canetti. « Lorsque je lui parlais, il se plaignait que cela lui envoyait du sel dans les dents »... Des récits semblables, les professionnels exerçant auprès des détenus n'en manquent pas : près d'un quart de la population carcérale présenterait des troubles mentaux, sévères pour 10 % d'entre elle.

Cette situation n'a fait qu'empirer. En 2001, les inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires (IGAS et IGSJ)   (2) dénonçaient « une augmentation des patients lourds dans la file active de psychiatrie en milieu pénitentiaire », soulignant, à titre d'exemple, qu'au SMPR de Strasbourg, le « nombre de psychotiques suivis a été multiplié par 5,4 en 12 ans ». Selon l'enquête publiée en 2002 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Affaires sociales (3), les services médico-psychologiques régionaux repèrent au moins un trouble psychiatrique chez 55 % des entrants en prison. Un sur cinq a par ailleurs déjà été suivi par les secteurs de psychiatrie et 11 % ont déjà été hospitalisés.

Inévitablement, la croissance du nombre de personnes souffrant de troubles mentaux crée d'énormes tensions intramuros et complexifie la tâche des personnels. Au premier rang : les surveillants, qui se sentent désemparés face à ces populations aux comportements imprévisibles, irrationnels, voire violents, auxquelles ils ont à faire respecter un règlement strict. « Mettre des malades mentaux en prison augmente le risque d'incidents. Leur présence angoisse tout le monde. Notamment, ils énervent leurs codétenus par leurs hurlements ou en tapant toute la nuit à la porte », souligne Eric Aouchar, conseiller d'insertion et de probation (CIP) à la prison de Fresnes et membre du bureau national du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap) - FSU. « Certains sont agressifs du fait de leur pathologie. Or, déplore cet ancien infirmier psychiatrique , par incompréhension, la réponse donnée est souvent répressive. Les surveillants ont des modalités d'intervention inadaptées face à quelqu'un en crise : ils l'excitent plus qu'ils ne le calment, faute de connaissances appropriées. » Les conseillers d'insertion et de probation ne sont guère mieux armés. En effet, rappelle Bernard Grollier, CIP et chargé de mission à la CFDT Interco-justice : « Notre formation ne consacre que quelques heures à la psychiatrie et cela reste théorique. Quant à la formation continue, elle est peu développée. » Pour Michel Pouponnot, secrétaire national et référent travailleurs sociaux à l'UGSP-CGT, la situation transforme ces derniers en « pompiers de service » amenés, de plus en plus, à intervenir « non pour effectuer un travail d'accompagnement mais pour régler des problèmes dus à l'intolérance à l'institution, à des incarcérations néfastes ». Le caractère pathogène de la prison est à ce titre connu. Non seulement certains détenus voient leur état empirer du fait de l'enfermement mais d'autres se mettent à souffrir de troubles qu'il induit (angoisses, hallucinations, délires mystiques...), surtout si leur peine est longue. « La prison est un lieu de contrainte et de frustration, d'épreuves de force, où la sollicitude est exclue, où aucune autonomie n'est laissée, où règne la promiscuité. C'est un lieu de souffrance psychique. Tout cela génère de grands besoins en termes de santé mentale », estime Evry Archer. Une réalité que ne peut qu'aggraver la dégradation des conditions de détention et la suroccupation des établissements. Avec 60 513 détenus au 1er juin (38 072 condamnés et 22 441 prévenus), le cap des 60 000 - pour seulement 48 603 places -vient pour la première fois d'être dépassé dans les prisons françaises.

Exclus des activités carcérales

Souvent esseulées, rejetées, parfois agressées, les personnes souffrant de troubles mentaux bénéficient peu des activités carcérales. Elles sont notamment écartées de l'emploi, le travail pénitentiaire n'étant pas adapté au handicap. « C'est une exclusion de plus, souligne Bernard Grollier. Peuvent alors se greffer des problèmes d'indigence et, de là,  d'hygiène. Cela ne constitue pas les conditions idéales pour que ces personnes aillent mieux. » La préparation à la sortie est souvent ardue. « Trouver une place en centre d'aide par le travail est déjà complexe, alors avec l'étiquette pénitentiaire, n'en parlons pas !, résume Michel Flauder, secrétaire général du Snepap. Et quand on compte un travailleur social pour 120 à 150 détenus, ça ne facilite rien. On est dans une double démarche d'échec, l'impossibilité de l'insertion renforçant la pathologie. » Quant aux liens familiaux, ils sont en général difficiles à renouer. Les détenus présentant des troubles mentaux se retrouvent fréquemment exclus des mesures d'aménagement de peine. « Les juges de l'application des peines ont des exigences encore plus grandes vis-à-vis de ces personnes dont ils craignent les récidives. Leur réinsertion sociale et professionnelle se révélant problématique, elles accomplissent souvent la totalité de leur peine », analyse Michel Pouponnot. En outre, « certains magistrats ont des réticences à intégrer la notion de soins dans la réinsertion », complète Bernard Grollier. Pour Eric Aouchar, la capacité à monter un projet de sortie dépend pour une grande part de l'offre de soins. « Si le SMPR fonctionne bien, certains seront stabilisés et l'on pourra mettre en place un aménagement de peine avec des soins ambulatoires. S'il s'agit de longues peines avec de grosses pathologies, la sortie posera en revanche la question de la structure d'accueil. » Or préparer la sortie de leurs patients n'est pas non plus une sinécure pour les psychiatres. « Nous rencontrons beaucoup de difficultés à faire admettre les sortants de prison par les secteurs psychiatriques. Pour les sans domicile fixe, l'organisation d'un suivi est souvent impossible. Les détenus véhiculent un fantasme de violence et les centres médico-psychologiques, par ailleurs débordés, ne s'empressent pas de s'en occuper », témoigne Cyrille Canetti.

La prison n'est pas un lieu de soins

En milieu carcéral, la logique sanitaire n'est pas la priorité. Si les professionnels s'accordent à reconnaître que des soins y sont possibles - du moins, si les équipes sont suffisantes et que les patients y consentent, aucune contrainte n'est possible -, ils rappellent que la prison n'est pas un lieu de soins. « Les objectifs thérapeutiques sont à redéfinir car on ne peut décider ni de la présence des personnes ni de leur sortie, et beaucoup d'aménagements ne sont pas réalisables », explique Evry Archer. Pour Cyrille Canetti, « même quand l'administration pénitentiaire et le service psychiatrique manifestent un réel désir de partenariat, ils s'opposent dans leur fonctionnement. La sécurité prime toujours ». D'où des difficultés d'accès aux soins. La prise en charge en hospitalisation à temps complet au sein des unités prévues dans les services médico- psychologiques régionaux n'a de fait jamais été possible, et s'apparente plus à une hospitalisation de jour. Lorsqu'une prise en charge plus lourde s'impose, par exemple dans le cas de psychoses graves ou de décompensations aiguës, les psychiatres doivent recourir au secteur de psychiatrie générale, sous le régime de l'hospitalisation d'office, sur ordre du préfet (4). Mais là encore, le statut de détenu nuit. « Nous peinons à trouver des places et les hospitalisations se révèlent trop courtes. Passée l'urgence, on nous renvoie les gens sans qu'aucun travail d'adhésion aux soins n'ait été accompli. On se retrouve alors à la case départ avec des patients agressifs ou agités, qui parfois rejoignent vite le quartier disciplinaire », s'insurge Cyrille Canetti. Une aberration dénoncée par la mission IGAS- IGSJ : « Certains psychiatres de secteur font preuve d'indifférence, voire de désinvolture, face à cette situation, considérant que la garde des malades ne leur incombe pas. Les évasions de détenus lors d'hospitalisations d'office sont la conséquence d'une telle attitude. » A l'inverse, par excès de prudence, les détenus se retrouvent parfois attachés à leur lit, inutilement enfermés en chambre d'isolement, privés de visites... « Certains psychiatres ont vraiment peur des détenus et ont des réactions irrationnelles. Ils font partie de cette branche de la psychiatrie qui a raté tous les rendez-vous avec les problèmes sociaux », se désole Evry Archer.

Dénoncées à maintes occasions, les carences du système ont amené les parlementaires à adopter des mesures dans le cadre de la loi Perben du 9 septembre 2002 (5). Celle-ci prévoit que toute hospitalisation, avec ou sans consentement, de détenus atteints de troubles mentaux sera réalisée en milieu hospitalier, au sein d'une unité spécialement aménagée. Encore inappliqué, le volet psychiatrique de la loi est d'ores et déjà vivement critiqué par les psychiatres exerçant en prison (voir ci-dessous) comme par les travailleurs sociaux. Ainsi, s'alarme Eric Aouchar, qui préfère toutefois cette formule à celle qui aurait permis la création de structures hospitalières en milieu carcéral, « on va synthétiser l'hôpital psychiatrique et la prison, pour en faire une espèce de méta-lieu de traitement de la déviance ! » Et de dénoncer le « dramatique double marquage pénal et psychiatrique, véritable boulet pour la réinsertion ». Les intervenants s'accordent en outre sur l'idée qu'est éludée, une fois encore, la véritable question : que font des malades mentaux en prison ?

Plusieurs phénomènes expliquent la situation. Tout d'abord, avec l'ouverture de la psychiatrie, à qui il a été reproché d'abuser de l'internement, et la politique de sectorisation, les grands asiles ont été démantelés et le dispositif de soins a été redéployé (petites structures en ville, services dans les hôpitaux généraux...). A cela s'est ajoutée la suppression de la spécialisation des infirmiers psychiatriques. De ce fait, explique Cyrille Canetti, « beaucoup de secteurs ne disposent plus d'un service équipé pour opérer sur le mode fermé. La réduction drastique des lits dans les services a aussi abouti à une baisse de la durée des hospitalisations. Toute une population nécessitant des soins au long cours se retrouve à la rue, commet des infractions, et finit incarcérée. En outre, on retrouve en prison, parfois pour la ixième fois, des gens qui n'y seraient pas allés s'ils avaient bénéficié d'allocations, d'appartements thérapeutiques... La plupart n'ont pas une délinquance en lien direct avec leur maladie mais avec l'errance dans laquelle on les abandonne. Avec l'exclusion. » Une analyse que conforte l'étude de la DREES : 10 % des patients suivis par les SMPR étaient sans domicile fixe à leur arrivée, la moitié n'avait pas d'activité professionnelle et seuls 11 % percevaient le revenu minimum d'insertion, 4 % des allocations Assedic. De plus, les SMPR relèvent que 59 % des entrants présentant des troubles ont déjà été incarcérés contre 54 % des autres.

Autre phénomène : la tendance à la responsabilisation des malades mentaux. « Dans les années 70, à la lumière de la psychanalyse, de l'œuvre du philosophe Michel Foucault, puis de l'antipsychiatrie, on a estimé que l'irresponsabilité pénale des malades mentaux constituait une ségrégation, qu'ils avaient droit à un jugement, lequel pouvait permettre leur réintégration dans le circuit social. On a même dit que les responsabiliser constituait un élément thérapeutique », explique le psychiatre Michel Dubec, expert agréé par la Cour de cassation. Dans la même logique, la modification de l'article 64, devenu 122-1 du code pénal de 1994, a pu contribuer à cette évolution. A alors été introduite la possibilité de distinguer entre « l'abolition » du discernement - auquel cas l'irresponsabilité pénale est affirmée - et son « altération » - ce qui rend la personne responsable. Or si les diagnostics des experts divergent peu, ces derniers s'opposent fréquemment sur les conclusions à en tirer. « Par exemple, dans le cas d'un schizophrène, certains estimeront de suite que la lucidité de la conscience est abolie, et d'autres diront “oui, mais...” », résume l'expert, pour qui ce choix est d'abord politique. En outre, en cas d'altération, le code demande à la juridiction d'en tenir compte. Mais il n'est pas précisé comment... D'où ce paradoxe : « Lorsque l'on déclare que quelqu'un a son discernement altéré et présente donc des anomalies mentales, magistrats et jurés, inquiets pour l'avenir, prononcent parfois des peines plus lourdes que si l'on avait assuré qu'il était normal. » La tendance des psychiatres à responsabiliser prend nsi, s'indigne Eric Aouchar, « j'ai eu un détenu condamné à perpétuité pour des faits commis alors qu'il était hospitalisé en psychiatrie ! » De même, des détenus passent-ils leur temps à naviguer entre la prison et une unité pour malades difficiles (UMD) (6).

Enfin, nombre d'experts-psychiatres exercent aussi à l'hôpital et peuvent être tentés d'agir de façon à ne pas récupérer ces malades gênants. « Dans une région dépourvue d'hôpital psychiatrique où est implantée une prison avec des équipes importantes, l'expert pourra avoir davantage tendance à déclarer la personne responsable... », analyse Michel Dubec. Néanmoins, même si l'abolition du discernement est reconnue, voire confirmée par contre-expertise, le magistrat n'est pas tenu d'ordonner un non-lieu et peut renvoyer la personne devant le tribunal. Ce qui arrive. Une tentation que peut induire « la tendance actuelle à la judiciarisation, avec notamment la montée en puissance des associations de victimes qui réclament de plus en plus un procès public », souligne Michel Dubec. Pourtant, alerte-t-il, outre que « ce n'est pas la peine de donner en spectacle un malade mental », ce type de procès est très traumatisant : « Même présent, le malade mental n'est pas là, il tient des propos inadaptés, délirants, il peut avoir un sourire discordant... Ce sont autant de manifestations d'indifférence à ce qu'il a commis, à ce qu'a été sa victime. C'est terrible pour les familles. »

Obligatoire en matière criminelle, l'expertise est laissée à l'appréciation des magistrats en matière correctionnelle. Beaucoup de troubles mentaux échappent ainsi à tout repérage avant condamnation. Comme en témoigne Cyrille Canetti, « nombre de détenus, dont beaucoup passés en comparution immédiate, auraient dû faire l'objet d'une expertise. Si tel ne fut pas le cas, c'est que soit les juges n'ont pas détecté la maladie, soit ils n'ont pas hésité à incarcérer la personne estimant qu'ainsi, elle bénéficierait de soins. » Et c'est bien là l'effet pervers de l'amélioration des soins en prison conjuguée au manque de structures à l'extérieur. Une situation contre laquelle s'insurge Michel Pouponnot : « Ce ne sont pas les carences en structures de soins adaptées qui doivent déterminer la responsabilité de la personne et donc l'institution qui en aura la charge. » Et de soulever l'argument pécuniaire : « On a du mal à ne pas évoquer la question économique : le prix de journée est bien moins élevé en prison qu'en psychiatrie. » Au final, s'inquiète Cyrille Canetti, « on est en train de valider l'idée d'incarcérer les malades mentaux, et la loi Perben pourrait y contribuer. La prison n'est pas faite pour soigner ces personnes. On ne peut améliorer la situation dedans sans le faire dehors. »

Une même logique anime les travailleurs sociaux. « Ces personnes sortiront un jour, rappelle Bernard Grollier. On n'a rien à gagner à les laisser partir en plus grande souffrance et plus grand risque de récidive. » Un débat public doit donc émerger. « Il faut sortir du symptomatique et ne plus éluder la question de fond : quel sort la société veut-elle réserver à ses malades mentaux ? », s'interroge Cyrille Canetti. « Un suivi psychiatrique adapté permettrait d'éviter les passages à l'acte. Cessons donc cette vaste hypocrisie selon laquelle la psychiatrie ne doit plus prendre en charge de personnes en milieu fermé. Car cela continue à se faire mais en prison. » Privilégier la voie des alternatives à l'emprisonnement constitue l'autre piste, la plupart des détenus atteints de pathologie mentale n'étant pas de grands dangereux. Ainsi, résume Michel Pouponnot, « il faut que l'on arrête de recourir à la prison pour tous sans discernement et se poser la question des autres possibilités. Si les alternatives étaient vraiment crédibles par l'ampleur des moyens développés, les magistrats seraient rassurés. Tous ces cas un peu limites, on ne les retrouverait pas derrière les barreaux. »

Florence Raynal

EVRY ARCHER : « LE VOLET PSYCHIATRIQUE DE LA LOI PERBEN EST DÉCONNECTÉ DE LA RÉALITÉ »

Président de 1998 à 2002 de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), qui réunit les psychiatres y exerçant, le docteur Evry Archer pointe les dangers de la loi Perben. Et souligne la nécessité de créer des structures intermédiaires accessibles aux malades mentaux, détenus ou non.

La loi Perben prévoit la création d'unités spécialement aménagées (USA) dans un établissement de santé pour y hospitaliser les détenus ayant besoin de soins psychiatriques. Qu'en pensez-vous ?

- Nous estimons que ce type d'unités est stigmatisant et que tous les malades mentaux, qu'ils aient commis ou non une infraction pénale, doivent bénéficier des mêmes soins. Globalement, ceux qui sont incarcérés ne sont pas plus dangereux que ceux pris en charge par la psychiatrie générale. Avec les unités spécialement aménagées, l'étiquette « détenu » restera et complexifiera le relais avec les services psychiatriques classiques, nuisant à la continuité des soins. Ensuite, de telles unités risquent d'éloigner les malades mentaux de leur famille. Enfin, il y a fort à redouter que leur création n'entraîne l'abrogation de fait de l'article 122-1 du code pénal (qui a remplacé l'article 64). Si l'on crée des services psychiatriques spécifiques pour les détenus, plus aucun malade, délirant, halluciné, hors réalité, ne sera reconnu irresponsable, car les experts estimeront qu'ils pourront y être traités. Ce serait un recul énorme de l'humanisme de la psychiatrie.

Quelles solutions préconisez-vous ?

- Il faut assurer une gradation des réponses. Des détenus peu dangereux, déprimés, condamnés à de courtes peines, doivent pouvoir être admis dans un service hospitalier normal, si nécessaire en hospitalisation d'office. Ensuite, il y a les unités fermées dans les services de psychiatrie. Si la capacité architecturale ou les équipes sont insuffisantes pour accueillir les personnes un peu plus dangereuses, sous écrou ou non, nous suggérons l'instauration d'unités intersectorielles fermées dans des hôpitaux psychiatriques. Il en existe déjà quelques-unes. Pour les patients encore plus difficiles, il reste les unités pour malades difficiles  (UMD), qu'il convient de réaménager mais qui ont fait leurs preuves. Enfin, nous acceptons, si cela peut rassurer la psychiatrie générale, la création d'unités spécialement aménagées pour une catégorie extrêmement réduite de détenus, dont on nous a fait valoir qu'ils pouvaient être dangereux de par leur profil pénal, tels des terroristes en proie à des troubles mentaux que leurs réseaux pourraient venir libérer... Les USA ne peuvent être les seuls lieux d'accueil. D'autant que cela ne résoudra pas la question des malades mentaux violents, qui ne sont pas sous main de justice, et qui posent encore problème aux services hospitaliers.

Le volet psychiatrique de la loi Perben comporte-t-il d'autres risques ?

Certaines ambiguïtés nous inquiètent. Si elles sont installées dans l'enceinte de l'hôpital, ces unités spécialement aménagées n'en seront pas moins des quartiers de détention, avec des surveillants, où s'appliqueront les règles pénitentiaires. Or si des soins sans consentement sont possibles à l'hôpital, ils ne le sont pas en prison. Ce système pourrait ainsi autoriser l'entrée en prison des soins obligés, avec les risques que cela comporte et que condamne le Conseil de l'Europe. Enfin que se passera-t-il quand la date de libération interviendra en cours d'hospitalisation ?

La loi apporte-t-elle cependant quelque avancée ?

- En 1998, l'article D.398 du code de procédure pénale, selon lequel les détenus atteints « d'aliénation mentale » devaient être envoyés en psychiatrie via l'hospitalisation d'office, a été réformé. Au concept, obsolète, d'aliénation mentale, on a substitué celui de dangerosité pour l'entourage. Résultat : des gens nécessitant des soins ne pouvaient quitter la prison s'ils n'étaient pas dangereux pour autrui, ce qui était une aberration. Notre association avait vivement réagi. En vain. La loi Perben rectifie cette erreur, puisqu'elle autorise à hospitaliser en psychiatrie des gens dont les troubles mentaux constituent un danger pour eux-mêmes.

Où en est la mise en place de ces mesures ?

Une commission formée de représentants des ministères de la Santé et de la Justice examine les modalités de mise en œuvre. Aucun décret d'application n'ayant été pris, la procédure ancienne continue. Il y a plusieurs difficultés. Tout d'abord, on ne sait combien de lits prévoir. La fourchette varie de 20 à plus de 1 000 ! A un moment, la direction des hôpitaux a affiché le chiffre de 244, on ne sait pourquoi... En fait, rien ne pourra être fixé tant que la finalité de ces USA ne sera pas claire. Quant à leur nombre, on a parlé de 10, puis d'une par grande région... En fait, personne ne sait et cela fluctue d'une réunion à l'autre. L'autre problème est celui du personnel. Où va-t-on le trouver ? Quand on sait la détresse de la psychiatrie... Les dispositifs de soins psychiatriques en prison craignent que l'on ne vide leur service. Si tel était le cas, ce serait le suivi au quotidien des détenus ne nécessitant pas d'hospitalisation qui en pâtirait. Tous les SMPR ont déjà des postes vacants. Cette loi, votée pour calmer la population, est déconnectée de la réalité. Elle pourrait bien n'être jamais appliquée. Car inapplicable.

F. R.

UNE OFFRE DE SOINS INSUFFISANTE ET INÉGALE

Créés en 1986, dans le cadre de la sectorisation psychiatrique, les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ont en charge la prévention et les soins psychiatriques en milieu carcéral ainsi que le suivi post-pénal. Seuls 26 sites pénitentiaires disposent intra-muros d'un SMPR, la prise en charge dans les établissements qu'ils ne couvrent pas reposant sur les secteurs de psychiatrie générale ou infanto-juvénile. Le nombre de vacations varie dès lors d'un lieu à l'autre et, remarque Bernard Grollier, de la CFDT Interco-justice, « on voit souvent intervenir un psychologue là où il faudrait un psychiatre ». Quant aux SMPR, en 2000, 3, 8 médecins y auraient suivi...1 600 patients, selon la DREES (7). Certains services interviennent enfin dans une autre prison de leur secteur, via une unité fonctionnelle. Seuls deux établissements pour peines sont pourvus d'un SMPR, alors que, déplore la mission des inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires  (IGAS-IGSJ), un « taux souvent élevé de psychotiques et la majorité des délinquants sexuels sévères » s'y trouvent. De plus, « le parcours d'un délinquant, qui a pu démarrer un traitement en maison d'arrêt, peut se heurter en centre de détention à l'absence de moyens de santé mentale ». Il est aussi à noter que les SMPR ne couvrent aucune maison centrale, bien qu'y soient enfermés les condamnés aux plus longues peines. De surcroît, signale la DREES, « ce ne sont pas forcément les personnes susceptibles de nécessiter un suivi médical et psychologique qui sont systématiquement orientées vers les établissements disposant d'un SMPR ». Les services médico-psychologiques régionaux ont en charge les soins courants des détenus de leur établissement et ceux plus intensifs des détenus des établissements de leur secteur. Néanmoins, explique la mission IGAS-IGSJ, les lieux dépourvus de service « se plaignent d'être peu aidés. [...] Les SMPR traitent d'abord les détenus malades de leur établissement, aux dépens de ceux des autres établissements ». Le nombre total de transferts de détenus vers le SMPR de rattachement est d'ailleurs très faible et tend à régresser. Enfin, selon la DREES, dans les SMPR, 9 % des patients sont suivis en ambulatoire pour 5 % en hospitalisation « complète » et seuls 7 %bénéficient d'une prise en charge à temps partiel, en général sous forme d'ateliers ou d'activités thérapeutiques.

Notes

(1)  Dont les professionnels étaient d'ailleurs réunis en états généraux du 5 au 7 juin à Montpellier. Voir ce numéro.

(2)  Voir ASH n° 2260 du 26-04-02.

(3)  Voir ASH n° 2273 du 23-08-02.

(4)  Les hospitalisations volontaires ou à la demande d'un tiers n'existent pas en prison.

(5)  Voir ASH n°2282 du 25-10-02.

(6)  Dans les UMD sont internés des malades mentaux jugés dangereux, car risquant de passer à l'acte : ceux ayant bénéficié de l'article 122-1 et 10 à 15 % de détenus en crise. Il n'existe que 4 UMD pour 400 lits. Les durées de séjour y sont longues, tout comme les délais d'attente.

(7)  Voir ASH n° 2260 du 26-04-02.

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