En ces temps de gels budgétaires, la réclamation risque d'avoir du mal à passer. Et, pourtant, améliorer l'insertion professionnelle des personnes handicapées - dans le droit-fil d'ailleurs de la promesse de Jacques Chirac -coûtera de l'argent. Au minimum, 6 milliards d'euros supplémentaires par an selon le Conseil économique et social (CES) qui estime que cette somme ne ferait que remettre à niveau l'effort de la nation en matière de handicap - 24 milliards d'euros par an (1) - tombé de 2,1 % du produit intérieur brut (PIB) en 1985 à 1,7 % en 2001. Dans l'avis sur le sujet préparé par Marie-Claude Lasnier (membre du groupe de la CFDT), rapporteur au nom de la section du travail, et adopté à une large majorité le 28 mai en assemblée plénière (2), cette instance réclame une véritable loi de programmation annuelle (et non une simple loi d'orientation) pour la réforme de la loi de 1975 et un délai supplémentaire pour sa préparation afin d'intégrer une révision de certaines dispositions de la loi de 1987 sur l'obligation d'emploi.
Quelques chiffres : sur une population active de 840 000 personnes handicapées, 622 000 exercent une activité professionnelle dont 100 000 en milieu protégé ; 219 000 sont inscrites à l'ANPE, un nombre en progression. D'où la nécessité, selon le CES, d'un « volontarisme politique fort » particulièrement dans une période de dégradation de la conjoncture.
Premier constat : le quota de 6 % d'embauches de personnes handicapées dans les entreprises et administrations fixé par la loi de 1987 est loin d'être atteint : il dépasse difficilement les 4 % (emploi direct et indirect) et surtout il ne bouge plus depuis près de dix ans. Paradoxalement, ce sont les petites et moyennes entreprises, l'artisanat et spécialement les entreprises de moins de 20 salariés (et non soumises à l'obligation légale) qui se mobilisent le plus. Quant à l'Etat, il ne brille guère en la matière, secteur où d'ailleurs les statistiques manquent... voire sont carrément absentes comme à l'Education nationale, pourtant le premier employeur de l'Etat. Principale proposition donc du Conseil économique et social : harmoniser les modalités d'insertion dans l'emploi entre secteurs privé et public. C'est ainsi qu'il préconise la création d'une structure analogue à l'Agefiph pour les fonctions publiques, qui recevrait une contribution de l'Etat en cas de manquement à son obligation d'emploi (3). Il recommande également un décompte unique et simplifié des bénéficiaires de l'obligation d'emploi. Soit la suppression, dans le secteur privé, de la modalité de proratisation qui permet de tenir compte de la lourdeur du handicap, de l'âge et du parcours professionnel (4), mais se révèle en pratique stigmatisante pour son bénéficiaire.
D'une façon générale, si le conseil est attaché au principe même du quota d'emploi, il souhaite un réexamen du dispositif légal autour de son niveau, de la liste des professions exclues et du mode de calcul. Avec l'idée de pouvoir majorer progressivement le montant de la contribution pour les entreprises depuis longtemps à la traîne et d'apporter des aides à celles particulièrement dynamiques.
Mais le Conseil économique et social n'oublie pas le rôle des partenaires sociaux. L'une de ses recommandations vise à instaurer une obligation légale de négocier, dans les branches, les entreprises, mais aussi les administrations, une politique contractuelle d'insertion des personnes handicapées. Au même titre que les obligations existant en matière de salaires, d'égalité professionnelle ou de classifications.
Tout un chapitre porte également sur la formation des personnes handicapées. Lesquelles ont le plus souvent un niveau de qualification égal ou inférieur au niveau V. Outre une évaluation des formations spécifiques proposées aux personnes handicapées et une meilleure articulation avec celles organisées en milieu ordinaire, l'assemblée va même jusqu'à prôner la réservation de places dans les organismes de formation ou dans l'enseignement professionnel. Par ailleurs, il préconise la signature d'engagements tripartites (Etat, région, Agefiph) dans toutes les régions afin de faciliter la formation professionnelle des personnes handicapées. Enfin, l'assemblée souhaite dynamiser les réseaux Cap Emploi (5) et favoriser leur rapprochement avec l'ANPE afin d'améliorer la recherche d'emploi en milieu ordinaire.
Autre question importante : le passage du milieu protégé au milieu ordinaire. On sait qu'un nombre important de personnes handicapées travaillant au sein d'ateliers protégés, voire de centres d'aide par le travail, pourraient intégrer à certaines conditions des lieux de travail ordinaires. Les structures souhaitent souvent conserver les personnes les plus performantes. Mais le frein principal tient à l'impossibilité pour ces publics de réintégrer leurs établissements initiaux en cas d'échec. Reprenant une revendication de longue date, le CES estime nécessaire d'instaurer un droit de retour. Il se prononce également pour le développement des démarches intégratives souples fondées sur l'alternance de périodes en entreprise et en établissement protégé. Enfin, il suggère de redynamiser le dispositif du travail protégé en milieu ordinaire (TPMO), mesure médiane entre l'entreprise ordinaire et les structures adaptées, tombée en désuétude par méconnaissance des employeurs. Et de favoriser le recours aux emplois adaptés en milieu ordinaire de travail (terminologie qu'il préfère à celle de TPMO).
D'autres propositions tiennent au revenu des personnes. Le Conseil économique et social soutient l'idée d'un droit à compensation par la création d'une allocation compensatrice unique, individualisée, adaptée à chaque situation. En tout état de cause, afin d'inciter les personnes à travailler, il propose de permettre le cumul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) avec les revenus salariaux dans certaines conditions sur le modèle du revenu minimum d'insertion (RMI). Il souhaite également voir réexaminé le mécanisme d'abattement de salaire dont peut faire l'objet le travailleur handicapé et le calcul du complément de salaire remboursé à l'employeur, un système complexe et peu connu.
Enfin, le pilotage des politiques engagées en faveur des personnes handicapées suppose, selon le conseil, la définition d'un schéma directeur, décliné aux niveaux national et local. Avec l'objectif de redonner un rôle d'impulsion à l'Etat (qui a eu tendance à se décharger sur l'Agefiph), de conforter les programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés et de recentrer les Cotorep sur leurs missions originelles à savoir l'orientation et le reclassement professionnels. I.S.
(1) Selon le rapport du sénateur Paul Blanc de juillet 2002.
(2) « L'insertion professionnelle en milieu ordinaire des personnes en situation de handicap » -
(3) Le paiement d'une contribution n'existe pas actuellement pour les fonctions publiques.
(4) Un travailleur handicapé peut représenter jusqu'à 5,5 unités supplémentaires.
(5) Qui réunissent les équipes de préparation et de suite au reclassement et les organismes d'insertion professionnelle.