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« Le RMA : les pauvres au travail... plus de travailleurs pauvres »

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F ormellement, le projet de la loi créant le RMA, présenté le 7 mai en conseil des ministres, ne comporte pas d'obligation de travail. Mais il tend à lui conditionner l'octroi de l'allocation, estime l'économiste Pierre Concialdi, qui y voit surtout une nouvelle tentative pour dégonfler les chiffres du chômage.

« Le gouvernement envisage de promulguer une nouvelle loi qui concernera des centaines de milliers de Rmistes. La philosophie de cette loi est simple. Au centre, se trouve le marché du travail : c'est la voie royale pour l'insertion. Autour gravitent différentes catégories de chômeurs-Rmistes : “proches”, “pas si loin”, “en très grande difficulté”... Le chômeur sans indemnisation aura le droit de bénéficier du RMI, dernier filet, mais pendant deux ans seulement (catégorie “proche”). Après, il faudra s'activer (“pas si loin”). S'il est en “très grande difficulté”, il serait absurde d'accroître bêtement les prélèvements obligatoires en lui accordant les aides dont il pourrait avoir besoin  (allocation aux adultes handicapés, par exemple). Il survivra mais en ayant bien conscience de sa “difficulté”, puisque celle-ci ne sera pas reconnue par la société. Entre les deux, il y a les futurs Rmastes, à activer donc.

La loi prévoit pour ces allocataires de mettre en place un “contrat insertion-revenu minimum d'activité”. Il s'agit d'un contrat à temps partiel (20 heures par semaine) rémunéré au moins au tarif minimal, soit le SMIC horaire. A une exception près (les particuliers employeurs), tous les employeurs sont concernés. Ces derniers percevront le RMI à la place des allocataires et verseront à ceux-ci une rémunération au moins équivalente à un SMIC à temps partiel pour 20 heures. Il s'agit donc d'une nouvelle aubaine pour les employeurs : le taux de subvention pour ces emplois à temps partiel varie des deux tiers à plus de 85 % selon que les employeurs sont exonérés ou non de cotisations sociales. Pour les Rmistes, la régression est considérable par rapport au dispositif actuel d'intéressement qui leur permet de cumuler temporairement, et de façon partielle, leur allocation avec un salaire lorsqu'ils retrouvent un emploi. Pour un temps partiel de 20 heures au SMIC, le Rmiste activé y perd 1 800  € en un an (soit 1 000 F par mois, une paille !). Alors que rapports et études se sont multipliés pour nous expliquer que- dans le droit-fil de la pensée libérale -si les Rmistes ne travaillaient pas, c'est parce qu'ils n'y avaient pas d'intérêt financier, la future loi prévoit de diminuer ces incitations. S'agit-il d'une loi anti-libérale ? Pas vraiment. Simplement, la liberté est désormais à sens unique et ne concerne que les employeurs.

Pas d'obligation, mais...

Les Rmistes seront-ils soumis à une obligation de travail pour percevoir leur allocation ? Des bonnes âmes pourront se réjouir du fait que cette obligation ne figure pas dans le texte de loi, tel qu'il a été présenté le 7 mai en conseil des ministres. Formellement, les chômeurs Rmistes ne sont effectivement pas “obligés” de signer un contrat d'activité. Mais :

 chaque bénéficiaire “doit conclure dans les trois mois qui suivent la mise en paiement de l'allocation un contrat d'insertion” (art. 18)  ;

 ce contrat d'insertion “comporte en priorité une orientation vers le service public de l'emploi en vue d'une offre d'activité professionnelle ou d'une mesure y conduisant” (art. 19)  ;

 histoire de ne pas compliquer la vie des collectivités territoriales, “Les actions inscrites dans le contrat doivent consister en des mesures ou des prestations concrètes et dont l'offre est disponible” (art. 19). S'il n'y a pas de boulot correct, il faudra donc en accepter d'autres ;

 inutile non plus de faire compliqué pour rédiger un contrat d'insertion, une simple attestation de présence de l'employeur peut en tenir lieu. “Lorsqu'un allocataire bénéficie d'une mesure d'accès à l'emploi..., l'employeur ou le prestataire doit adresser une attestation trimestrielle au référent. Ce document, qui témoigne de l'effectivité de l'action, tient lieu de contrat d'insertion” (art. 20)  ;

 évidemment, aucune obligation de présence pour l'allocataire. Mais “si le référent établit que l'action d'insertion n'est pas respectée du fait du bénéficiaire de l'allocation, la procédure de suspension est alors applicable” (art. 20).

Bref, les Rmistes peuvent dormir sur leurs deux oreilles :pas de workfare à l'horizon. Le référent pourra seulement envoyer le Rmiste activé se présenter à une activité disponible. Si ce dernier ne s'active pas comme on le souhaite, il n'y aura pas d'attestation de présence-contrat d'insertion sur le bureau du référent. Et la procédure de suspension sera alors applicable. On remarquera la subtilité - sinon l'élégance - du procédé : dans la mesure où l'attestation de présence de l'employeur sert de contrat d'insertion, pas besoin de le faire signer ce contrat (de force...) par le Rmiste. En résumé, il n'y a pas d'obligation de signature du contrat par le Rmiste... car c'est l'employeur qui le signe.

Une allocation désormais conditionnelle

En revanche, la loi prévoit de sacrées incitations. On est donc rassuré : il s'agit bien d'une loi “libérale”. Chacun sait en effet - et l'exemple des Etats-Unis est là pour le montrer - que la meilleure incitation pour des chômeurs à reprendre n'importe quel emploi, c'est de ne pas leur donner d'allocation. Pour transformer les dépenses passives (celles qui sont dues sans obligation de travail) en dépenses actives (celles qui sont liées à une obligation), la première étape consiste à supprimer ou à menacer de supprimer l'allocation “passive” : c'est ce que fait la future loi. Puis à conditionner l'octroi de l'allocation à une obligation : c'est aussi ce que fait la loi. A part cela, nulle “obligation” nouvelle pour les Rmistes.

Que peut-on attendre de ce projet de loi ? Comme tous les dispositifs d'emplois aidés, le RMA devrait faire disparaître des statistiques du chômage une partie des demandeurs d'emploi. Au moins, les Rmistes activés seront relégués dans les chômeurs-travailleurs en “activité réduite”, catégorie en peine expansion  (plus d'un tiers des demandeurs d'emploi aujourd'hui). A moins que les Rmistes concernés ne préfèrent défendre leur statut de chômeur en refusant l'activation forcée. Ils seraient bien inspirés de le faire. Non seulement parce que le gain financier deviendra minime (moins de 2  € par heure) et que la seule perspective offerte par ces contrats d'activité est d'accroître le nombre de travailleurs pauvres (mais ces derniers ne font pas l'objet de statistiques). Mais aussi parce que ces emplois viendront concurrencer les emplois normaux... que recherchent précisément les Rmistes. Rien de plus actif, décidément, que de faire creuser sa tombe à un futur condamné. »

Pierre Concialdi Economiste, membre du Réseau d'Alerte Inégalités -Tél. 01 48 15 19 17 - E-mail :pierre.concialdi@wanadoo.fr

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