Dans un quartier pavillonnaire à proximité de la gare de Mantes-la-Jolie, une maison particulière, joliment fleu- rie, abrite le service de placement familial de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence des Yvelines (1). C'est là qu'il y a presque sept ans, a germé le projet d'une nouvelle structure d'aide et de prévention : l'Accueil observation petite enfance. Les professionnels du service imaginaient une évolution possible de leur action vers l'accueil et l'observation d'enfants de la naissance à 3 ans. De son côté, la direction de l'action sociale départementale des Yvelines cherchait une solution au manque de places en pouponnière. Le projet est donc rapidement accepté et la structure, qui s'inscrit dans un dispositif local de prévention de la maltraitance, des carences parentales et défaillances éducatives, ouvre en octobre 1996.
L'Accueil observation petite enfance (2) permet d'héberger de façon temporaire, chez des assistantes maternelles volontaires, 12 enfants de moins de 3 ans. S'ils ne présentent pas de pathologie lourde, leurs parents en situation de précarité, isolés, fragilisés (hospitalisation, incarcération, expulsion, crise familiale...) font face à une situation de crise et nécessitent une aide ponctuelle. La structure s'adresse à la population mantoise et des environs, cette proximité géographique correspondant à une proximité relationnelle. Les parents doivent être en mesure de rendre visite régulièrement - au minimum une fois pas semaine - à leur enfant. Ce temps limité passé en retrait de la famille - mais pendant lequel les parents sont constamment sollicités et doivent demeurer acteurs - permet à l'équipe d'observer l'enfant ainsi que sa relation avec ses père et mère. Cet espace-temps particulier est ainsi mis à profit pour aider les parents à trouver les ressources suffisantes pour construire ou reconstruire le lien et éviter la maltraitance ou le placement définitif.
Observation, évaluation, orientation : tels sont les maîtres mots de l'action éducative menée par l'équipe pluridisciplinaire (3) qui accompagne parents et enfants dans leur cheminement. La démarche d'accueil est soigneusement balisée par un certain nombre de principes et de règles.
D'abord, l'accueil de l'enfant, même s'il fait l'objet d'une prise en charge judiciaire ou administrative, ne se fait pas sans l'accord de ses père et mère. Ce dernier est très relatif, conviennent les professionnels : les parents ne viennent pas ici par choix, mais contraints et forcés. En particulier, le caractère d'autorité du placement judiciaire rend plus difficile la relation de confiance. « Il faut un minimum d'accord pour pouvoir travailler ensemble, même si les pa- rents n'ont pas le choix, précise Damien Favaro, éducateur. Mais en général, ils sont quand même plutôt soulagés : ils arrivent souvent en bout de course au terme d'une histoire très complexe. » « Accueillir veut dire ici : travailler à transformer la contrainte en un choix raisonné », définissait d'ailleurs le document qui retrace la recherche-action menée dans les premières années d'existence de la structure (4).
L'une des particularités de son fonctionnement est sans doute la rapidité de l'accueil. L'enfant est reçu dans les 48 heures, voire dans la journée si une famille d'accueil est disponible. Ce qui suppose une adaptation et une forte réactivité de la part des professionnels - les éducateurs ont obligation de permanence pour accueillir les demandes, les traiter et prendre la décision finale d'admission ou de refus. Lorsqu'une demande est formulée par un juge, des assistants de service social de secteur, des équipes de protection maternelle et infantile ou de services d'action éducative en milieu ouvert, elle est examinée par une cellule de crise qui répond dans les 24 heures. Les informations délivrées au téléphone doivent suffire pour formuler une décision, l'équipe ne travaillant pas sur dossier. « Ne pas disposer d'une foule d'informations sur la famille, ne pas avoir en main tous ces écrits nous dégage, nous permet de faire un autre travail », estime Damien Favaro. « Ce n'est pas parce que les gens sont englués dans des situations complexes, depuis des générations parfois, qu'il n'y a pas un lien entre les parents et l'enfant », ajoute Hélène Lacaille, éducatrice spécialisée. Lorsque la décision d'admission est prise, les parents sont reçus par un travailleur social. Ils l'ont été auparavant par un juge ou par l'aide sociale à l'enfance qui leur a expliqué la situation. « Nous ne sommes donc pas en position de leur annoncer l'accueil temporaire de leur enfant », explique Hélène Lacaille. Les parents se rendent au service avec leur enfant et un référent de la structure demandeuse, afin d'y rencontrer l'éducateur qui assurera le suivi et l'assistante maternelle. « Quand ils la voient, en général ils s'apaisent. L'assistante maternelle demande des conseils sur l'enfant : ce qu'il mange, etc. Ils sont alors en position d'être compétents, de transmettre des connaissances. Ce mot “accueil”, les parents l'entendent donc très bien », estime Marie-Paule Cardo, chef de service. Les motifs d'arrivée dans la structure et les objectifs de l'action sont expliqués. On définit ensuite les modalités de l'accueil : droit d'hébergement ou non des parents, par exemple le week-end, fréquence et lieux des visites ; au service (une salle claire a été aménagée à cet effet au fond du jardin), dans la famille d'accueil...
L'observation constitue un aspect essentiel du projet. L'ensemble de l'équipe va y participer. Il s'agit d'abord de suivre le développement de l'enfant et son évolution à différentes étapes de l'accueil. Les rencontres parents/enfant sont ainsi avant tout un temps d'observation du lien, de sa qualité ou de son absence. Dans cette démarche, chaque professionnel a sa place et apporte son point de vue avec la formation qui lui est propre. Le travail éducatif vise à créer une dynamique de resserrement du lien parents/ enfant et à aider à lancer un projet de construction de la famille. Un travail de jardinier, résumait l'équipe dans la recherche-action initiale : dans l'accueil petite enfance, écrivait-elle, il s'agit de « semer, soigner, labourer, tutoriser l'enfant dans sa relation familiale ».
Tout au long de l'accueil, les assistantes maternelles sont chargées de consigner par écrit, sur une grille d'observation détaillée, des informations comme l'état de l'enfant à son arrivée, son sommeil, son alimentation, sa santé, le lien qui l'unit à ses parents. Elles participent, en outre, à des rencontres régulières avec ces derniers, à la réflexion sur le projet et elles doivent être à l'écoute des problèmes sociaux. Elles ont donc un rôle très important à jouer auprès des parents, ce qui constitue l'une des différences avec le placement ordinaire. Dans les situations difficiles, l'assistante maternelle devient l'interlocuteur primordial (5), et le contact est parfois rude, même si l'équipe apporte son soutien. Ce rôle fort qui leur est dévolu est à la fois valorisant et exigeant. Ici comme ailleurs, les difficultés de recrutement sont donc à la mesure de la responsabilité qui leur est donnée. En outre, certaines se montrent réticentes à l'accueil plus contraignant des nouveau-nés.
Autre particularité du projet, c'est dans un temps limité que se fait ce travail. L'accueil temporaire est formalisé par un contrat de trois mois, renouvelable une fois. Cette durée restreinte donne même son sens à l'ensemble du projet, affirme l'équipe. « L'accueil doit être court pour que les parents ne puissent pas penser qu'on profite de leurs problèmes pour kidnapper leur enfant, insiste Hélène Lacaille. Ce temps limité est également important pour rester dans l'observation. » En outre, il conditionne les efforts et la réflexion. Car il oblige à faire évoluer la situation, à rechercher des solutions et il pousse les parents à agir. Le renouvellement de trois mois est ensuite, en principe, destiné à préparer l'orientation envisagée.
« Dans le placement familial classique, quand les enfants arrivent chez nous, tout est décidé, c'est comme un wagon déjà accroché, observe Françoise Lecomte, assistante maternelle. Ici, c'est une histoire de balance. L'aboutissement sera soit un retour chez les parents, soit un placement : c'est un équilibre et on ne sait jamais de quel côté va pencher la balance- même si on espère que ce sera vers le retour en famille. » Ainsi, pour les assistantes maternelles - c'est là le moindre des paradoxes de cette structure - il faut à la fois s'investir avec énergie auprès de l'enfant accueilli tout en le préparant et en se préparant elles-mêmes à une séparation programmée. « Cette question de la séparation a été très dure au début, témoigne Monique Forn, directrice du placement familial de la Sauvegarde des Yvelines. Avec un travail d'explication- dans notre prise en charge, ce sont les parents qui sont au centre, pas les familles d'accueil, l'assistante maternelle est une aide pendant un moment - et de formation, cela se passe bien. »
C'est au moment de l'orientation, à l'issue de l'accueil, que se dessinent d'autres difficultés. Ainsi, l'absence de places au moment prévu en structure d'hébergement ou en placement familial, le manque de structures adaptées notamment à un accueil père/mère/ enfant, mais aussi la multiplication de situations lourdes et complexes entraînent une prolongation de la durée des séjours qui oblige l'équipe à s'interroger. Autre difficulté, le glissement progressif de la prévention à des situations où l'enfant est déjà en danger. A ce sujet, le rapport d'activité 2001 pointait un travail à effectuer en ce sens : « Ce peut être en direction de nos partenaires pour inscrire le projet plus certainement dans une démarche de prévention du placement ou encore en intra sur notre capacité à dire “stop” et à accompagner les familles avec confiance vers d'autres services. » « On parlait plutôt de prévention. Or ces dernières années, depuis 2000, nous n'avons eu que trois ou quatre situations de prévention et plutôt des situations relativement lourdes », remarque Marie- Paule Cardo. D'où l'importance d'un effort de contact et d'explication sans cesse renouvelé en direction des partenaires. Un effort, également, pour faire comprendre les choix d'orientation. Cette orientation peut être un foyer maternel ou d'hébergement pour une mère et son enfant, ou le retour en famille avec demande d'action éducative en milieu ouvert. Mais lorsqu'il s'agit d'une séparation, d'un placement, « même si on essaie de dire qu'une séparation peut aussi être aidante, argue Marie-Paule Cardo, ce n'est pas toujours facile à entendre. » « Il y a des parents parfois dont on se dit : ils attendent le placement. D'autres pour lesquels on a essayé beaucoup de choses dont ils ne se sont jamais saisis », témoigne Hélène Lacaille. « Alors, il y a l'abandon ; on y pense quelquefois, quand les enfants sont déjà dans un état de quasi-abandon, ajoute Anne- France Tapon, éducatrice spécialisée. Pour eux, c'est sans doute ce qu'il y a de mieux, mais cette orientation est extrêmement difficile à faire entendre. »
Plus centrée sur le maintien des liens familiaux que sur le retour systématique en famille, la structure ne cherche pas à tout prix ce retour. Il s'agit, bien sûr, d'en créer les conditions - mais seulement lorsque cela est possible. C'est pourquoi, à la sortie des accueils temporaires, les solutions de placement classique sont plus fréquentes que les retours en famille. En 2002, sur 14 enfants pris en charge, huit ont été orientés vers un placement familial, un vers un foyer, cinq sont retournés vivre dans leur famille. « Le placement familial est souvent considéré comme la dernière extrémité. Pour nous, c'est une solution. Et je suis convaincue que lorsque des enfants quittent l'accueil familial pour un placement, leurs parents sont bien au clair sur les motifs, assure Monique Forn. Or, dans les situations de placement, c'est précisément parce que les parents ne s'en sont pas approprié les raisons que naissent des difficultés qu'on aura du mal à gérer pendant des années. Là, on aura reconnu les compétences des parents, pointé leurs limites, le placement se fera dans d'autres conditions. »
Sandrine Pageau
(1) Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence des Yvelines : 58, avenue des Etats-Unis - 78000 Versailles - Tél. 01 30 83 98 70.
(2) Accueil observation petite enfance : 24, rue Alphonse- Durant - 78200 Mantes-la-Jolie - Tél. 01 34 77 15 39.
(3) 11 assistantes maternelles, trois éducateurs, une psychiatre, une psychologue, une accompagnatrice, une secrétaire, une chef de service et un poste d'infirmière actuellement vacant.
(4) Dans le cadre d'un atelier coopératif de recherche- action, mené avec le Collège coopératif Paris : 1, rue du 11-Novembre - 92120 Montrouge - Tél. 01 40 92 95 01.
(5) Les assistantes maternelles qui ont choisi l'accueil temporaire sont désormais soutenues par un intervenant extérieur.