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Réinventer les pratiques pour accueillir de nouveaux publics

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Devenus des institutions médico-sociales, les appartements de coordination thérapeutique doivent s'ouvrir à d'autres pathologies. S'ils voient ainsi leur savoir-faire reconnu, comment accueillir de nouveaux publics sans faire de sélection et sans moyens financiers supplémentaires ?

Créés pour offrir un hébergement et un accompagnement médico-social aux personnes touchées par le VIH, les appartements de coordination thérapeutique (ACT) sont devenus des institutions médico-sociales financées par l'assurance maladie depuis les lois du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et du 17 janvier 2002 de modernisation sociale (1). Si ces structures sont désormais dotées d'une assise pérenne, elles doivent aussi s'ouvrir à de nouveaux publics. En question depuis plusieurs années, cet élargissement est aujourd'hui inscrit dans les textes (2). Comment, dès lors, transférer une richesse d'expériences et de pratiques à d'autres pathologies chroniques sévères que le VIH (3)  ?

Sur le principe, pas d'opposition majeure. D'autant que les appartements de coordination thérapeutique disposent de nombreux atouts. En premier lieu, ils ont su se situer à l'articulation des champs social, sanitaire et psychologique, une position pas toujours simple à tenir. Depuis deux décennies, ils offrent un toit et des conditions de vie correctes à des personnes porteuses du VIH en situation de précarité et ils leur permettent de quitter l'hôpital pour vivre dans la cité. Surtout, ils leur garantissent l'accès aux soins, un accompagnement social et psychologique et un suivi médical.

Ceux qui font vivre ces structures revendiquent non seulement un savoir- faire, mais aussi des avancées susceptibles de bénéficier à tous les malades. Parmi elles, la prise en charge globale de la personne et la qualité de vie considérées comme un facteur de la qualité des soins. Une approche dont peuvent bénéficier d'autres pathologies. « De toute façon, si la porte d'entrée de nos structures était le VIH et la précarité, observe Gilles Laffon, on s'est rendu compte que les personnes étaient atteintes d'autres pathologies : hépatite C, cancer, cirrhose... Depuis plusieurs années, on travaille déjà avec des multipathologies. » « Ce qui fait des appartements de coordination thérapeutique un outil formidable, c'est une habitude de travail sur la globalité de la prise en charge de la personne, dans le temps, et en réseau, ajoute Anne Lambotte, chef de service éducatif à Lou Cantou, service d'ACT et d'appartements relais à Nîmes. Quelle que soit la pathologie, cet accompagnement ne change pas. »

Ce service nîmois, qui s'appuie sur l'association SOS Drogue international et travaille historiquement avec une population toxicomane, a obtenu, en septembre 2001, une extension de six places en appartements individuels pour de nouvelles pathologies, fonctionnelles depuis juillet dernier. Outre les personnes porteuses du VIH, la structure accueille désormais des malades souffrant de cancer, de diabète sévère, d'hépatite C... Ce qui a permis, au passage, d'augmenter le nombre de places mais a aussi obligé à des adaptations. « Nous avons engagé un médecin coordinateur - on fonctionnait depuis deux ans et demi sans personnel soignant. Outre son rôle médical, il constitue un point d'ancrage à l'hôpital, un relais pour ouvrir la porte de services avec lesquels on n'avait pas l'habitude de travailler. » C'est même dans une véritable « stratégie d'infiltration » de l'hôpital, plaisante sa responsable, que s'est lancée la structure. « Nous avions également besoin d'une infirmière pour sécuriser l'équipe, bénéficier d'un regard paramédical, différent de celui d'un éducateur, pour voir l'évolution de la personne. Elle a été aussi un outil de formation au sein de l'équipe. Les chimiothérapies, le diabète, nous n'y connaissions rien ! » Garder à l'esprit la nécessité de développer de nouveaux partenariats adaptés à chaque pathologie, mais aussi savoir résister aux pressions, tels sont les conseils d'Anne Lambotte. « On subit parfois un véritable assaut de certains services hospitaliers. Le forcing peut être important, mais nous n'avons pas, par exemple, de personnel 24 heures sur 24. A nous de faire avec nos moyens, d'autant plus que nous n'en avons pas beaucoup ! »

49 STRUCTURES EN 2002

Selon un bilan d'activité réalisé par la Fédération nationale d'hébergement (FNH) -VIH pour l'année 2002, les appartements de coordination thérapeutique représentent aujourd'hui 49 structures accueillant 441 personnes. L'implantation sur le territoire de ces petites unités - la moitié d'entre elles disposent de cinq à neuf places - présente de fortes disparités : la région parisienne rassemble les deux tiers des places, suivie par la région PACA et, par ailleurs, près d'une région sur deux n'en possède pas . En outre, seules sept structures offrent des places d'accompagnants (4) agréées- et donc financées - soient 39 places au total. Ces appartements accueillent des personnes souvent relativement jeunes, puisque 70 % des usagers ont entre 26 et 45 ans, majoritairement orientés par les services sociaux hospitaliers. Des personnes dont une majorité perçoit l'allocation aux adultes handicapés  (AAH), et qui souffrent à leur entrée d'une grande précarité en matière de logement. Même si 75 places supplémentaires en appartements de coordination thérapeutique seront créées cette année, la FNH-VIH estime les besoins bien supérieurs et demande 500 places de plus.

Quel  public soigner ?

Qui, dès lors, accueillir, qui privilégier ?Une personne séropositive, très précarisée socialement, ou une personne peut-être plus malade, à la rue et nécessitant un accompagnement ? L'ouverture à de nouvelles pathologies suscite parfois une certaine inquiétude. Aussi les services déjà ouverts à des patients non porteurs du VIH demeurent-ils encore rares. Outre la plus grande difficulté du choix, on évoque une cohabitation difficile des patients porteurs du VIH avec les autres malades, liée à une certaine stigmatisation qui perdure et au déficit d'information. A l'inverse, certains mentionnent le rejet par les personnes porteuses du VIH de ceux qui n'ont pas la même pathologie qu'elles.

Pas du tout, proteste Marie-Ange Terrade, infirmière de formation. Elle dirige un service de soins à domicile et d'appartements de coordination thérapeutique à Dijon, qui accueille depuis 1997 des personnes lourdement dépendantes, quelle que soit leur pathologie. « La cohabitation de différentes maladies a permis un partage d'expériences, des échanges très riches, une solidarité entre des personnes qui cumulent les mêmes problématiques : sociales, psychologiques, psychiatriques souvent. Elle n'a jamais posé de problème, ni aux personnes accueillies, ni à leur famille. » Appuyée sur une importante association, la Fedosad, cette structure dispose de quatre places avec un agrément VIH et deux places dans une maison communautaire pour des séjours temporaires de personnes lourdement dépendantes, qui participent en fonction de leurs moyens. « D'emblée, nous avons tenu à faire cohabiter des patients VIH avec d'autres pour éviter la discrimination. » Du fait de la dépendance très lourde des personnes accueillies, le fonctionnement de la structure est particulier par rapport aux autres appartements de coordination thérapeutique : l'accueil se fait 24 heures sur 24 grâce à la présence d'un référent infirmier et des aides à domicile formées pour la nuit. Environ dix personnes touchées par d'autres pathologies que le VIH ont été accueillies, depuis 1997, dans cette maison située en centre- ville. « L'appartement de coordination thérapeutique est dans un quartier très fréquenté de la ville. La mixité des pathologies a permis de ne pas en faire un lieu d'exclusion et la maison est intégrée dans le quartier. Dans une ville de province, c'est important. »

Reste qu'une telle expérience est encore très marginale au sein du réseau des ACT. Globalement, les professionnels demeurent attachés culturellement au travail autour d'une seule pathologie. En témoigne la réticence à changer le nom de la fédération, observe Gilles Laffon : « On aurait l'impression de brader tout un pan de la lutte contre le sida que nous avons menée. » Ces professionnels se sont en effet battus pour que cette épidémie soit prise en considération. « Ils ont défendu des valeurs fortes autour de la marginalité, de l'homosexualité, de la prise en compte de la personne dans les soins. Pour eux, pas question d'oublier toute l'histoire, ni de noyer le sida dans les autres pathologies », analyse Anne Lambotte.

A cela s'ajoutent les inquiétudes au- tour de la place que les appartements de coordination thérapeutique vont pouvoir continuer à accorder à certains publics. « Dans cinq ou six ans, s'interroge Gilles Laffon, est-ce que les toxicomanes pourront continuer à entrer en ACT ? J'ai peur qu'avec l'accueil de nouvelles pathologies, les structures s'installent dans un certain confort. Le risque c'est de devoir recréer un dispositif dans quelques années parce qu'on se sera rendu compte que toute une frange de personnes n'a plus accès aux appartements de coordination thérapeutique. »

Mais la principale crainte concerne les budgets. Comment, plaide la Fédération nationale d'hébergement (FNH) -VIH, accueillir de nouveaux patients sans moyens supplémentaires ? « On est loin d'avoir résolu tous les problèmes d'hébergement des malades du sida, observe Guy Sebbah, ex-président de la fédération. Seuls 5 % des malades qui le demandent peuvent accéder à des logements en Ile-de-France. » Certes, l'appel à projets lancé par la direction générale de la santé devrait permettre la création de 75 places en 2003. Mais la Fédération demande 500 places supplémentaires d'appartements de coordination thérapeutique, nécessaires selon elle pour couvrir les besoins réels. Pour certains, il n'est pas question d'accueillir de nouvelles pathologies tant que les besoins pour le VIH ne sont pas couverts. « Vous n'êtes pas très clairs sur les personnes que vous souhaitez accueillir, lance Marie-Odile Frattini, médecin de santé publique et directrice de Développement innovation évaluation santé (DIES), société de recherche et de prestation de service, lors du colloque de Marseille. Vous venez du milieu du sida, des toxicomanies, de la précarité, et vous craignez que les plus en marge ne soient plus accueillis car d'autres publics seraient plus faciles. Or, le besoin d'offres de proximité, les plus polyvalentes possible, est réel. La spécialisation sans fin des structures marginalise sans fin. »

Ce caractère de proximité est sans doute l'un des intérêts essentiels des appartements de coordination thérapeutique pour l'ouverture à d'autres pathologies. Dans la mesure où il n'y a pas, et il n'y aura pas, d'établissements partout, la diversification de l'accueil peut permettre de répondre aux besoins des personnes en situation d'exclusion et de grande précarité, qu'elles souffrent de sida, de cancer ou de tout autre pathologie chronique ou sévère. Mais pour y parvenir, il va falloir réinventer des pratiques nouvelles. En tout cas, remettre la formation au centre des préoccupations. « Vous avez répondu à des besoins d'une grande pertinence et vous avez fait reconnaître vos structures, souligne Marie-Odile Frattini. Vous êtes des innovateurs sociaux, avez-vous envie de le rester ? »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Une reconnaissance qui, en raison du retard de la parution du décret fixant le nouveau régime de financement, avait entraîné d'importantes difficultés financières - Voir ASH n° 2280 du 11-10-02.

(2)  Circulaire du 30 octobre 2002 - Voir ASH n° 2292 du 3-01-03.

(3)  Cette question a été abordée, les 3 et 4 avril 2003 à Marseille, au VIIIe colloque de la Fédération nationale d'hébergement (FNH) -VIH : « Transfert de nos pratiques professionnelles : quels besoins pour quelles prises en charge ? » - FNH-VIH : 113, rue Oberkampf - 75011 Paris - Tél. 01 48 05 55 54.

(4)  Toute personne proche (enfant, conjoint, concubin...) nécessaire au bien-être du malade. Les places d'accompagnants sont financées par l'Etat à titre expérimental, au nom de la reconnaissance d'un droit de la personne malade à maintenir des liens familiaux.

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