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L'Alsace se mobilise autour de ses immigrés vieillissants

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Parce qu'il concernera un nombre croissant de personnes, la question du vieillissement des immigrés ne peut plus être éludée. A partir d'un état des lieux réalisé à Strasbourg, plusieurs institutions ont confronté leurs points de vue. Et élaboré une série de préconisations pour améliorer le sort de ces publics âgés.

« Largement éclipsé par le débat sur l'intégration des enfants d'immigrés, le sort des immigrés âgés a intéressé tardivement les institutions », constate Sylvie Emsellem, chargée d'études et de mission à l'Observatoire régional de l'intégration et de la ville (ORIV)   (1) de Strasbourg. Jusqu'à présent, la majorité des recherches menées au sujet des mi- grants vieillissants se sont centrées sur ceux résidant dans des foyers de travailleurs. D'où l'intérêt de l'étude menée dans le Bas-Rhin par l'ORIV (2)  : en 2002, il a réalisé un état des lieux de la situation des immigrés vieillissants, en abordant principalement ceux qui vivent en famille, même s'il évoque aussi ceux résidant en foyer. Des entretiens ont été menés auprès de 50 personnes âgées de plus de 55 ans, en majorité des Algériens, dans le quartier de la Meinau à Strasbourg. En outre, des rencontres ont été effectuées auprès de travailleurs sociaux, d'associations de maintien à domicile, de responsables d'institutions...

Afin de favoriser le débat entre les acteurs, un groupe de travail institutionnel (conseil général du Bas-Rhin, comité départemental des retraités et personnes âgées, caisse régionale d'assurance vieillesse, mutualité sociale agricole, commission régionale pour l'insertion des populations immigrées, ville de Strasbourg) a été constitué parallèlement et s'est réuni à différentes reprises. Toute une dynamique qui a permis d'étendre la réflexion au niveau régional (3). Sachant que, dès 1998, le conseil général du Haut-Rhin s'est intéressé à ces publics âgés et a inscrit leur problématique dans son schéma gérontologique.

Au vu des débats au sein du groupe de travail et de l'étude de l'ORIV, que dire de la situation des immigrés âgés en Alsace ?L'enquête de l'observatoire confirme la grande précarité matérielle de ces populations, issues de catégories sociales défavorisées (ouvriers, manœuvres), avec un revenu moyen de 850  € par mois (de 76  € à 1 905  € mensuels). En outre, elle apporte des éléments d'information peu connus sur les personnes âgées vivant en famille. D'abord ces publics font peu appel aux services sociaux. Seul un quart des immigrés interrogés dit avoir recours aux assistants sociaux.

Auxiliaires précieux du maintien chez elle d'une personne âgée plus ou moins dépendante, les services d'aide à domicile sont de la même façon peu sollicités par ces populations, qui ignorent souvent jusqu'à leur existence. « Les trois quarts de ceux que nous avons interrogés ne les connaissent pas », affirme Sylvie Emsellem. Les personnes- qui entretiennent plutôt des relations sociales au sein de leur communauté d'origine - semblent en outre réticentes à ouvrir leur porte à des services qu'elles connaissent mal.

UNE POPULATION D'ÉTRANGERS ÂGÉS EN AUGMENTATION

La part des étrangers de plus de 60 ans est passée en Alsace de 3,8 % à 5 % de la population étrangère totale, de 1990 à 1999. « Certaines augmentations sont spectaculaires », selon l'Observatoire régional de l'intégration et de la ville (ORIV)  : le nombre des Turcs et des Marocains de plus de 60 ans a quadruplé tandis qu'Algériens, Tunisiens et Portugais voyaient leurs effectifs doubler. Cette population âgée compte plus d'hommes que de femmes, du fait des « caractéristiques des dernières vagues migratoires, notamment celle provenant du Maghreb, marquée en son début par une émigration très largement masculine », précise Sylvie Emsellem, chargée d'études à l'ORIV. Mais l'espérance de vie plus longue des femmes pourrait à terme inverser la tendance. Particularisme local : la prédominance des Turcs, arrivés dans la région après 1974, l'Alsace, moins touchée par la crise, ayant demandé une dérogation à la fermeture des frontières pour faire venir de la main-d'œuvre étrangère. La population des migrants hors Union européenne est concentrée sur Strasbourg, Mulhouse et Colmar.

Pour être plus présentes auprès de cette population, bon nombre d'associations d'aide à domicile souhaiteraient intervenir davantage en amont. Elles suggèrent par exemple la mise en place d'un réseau médical de dépistage des risques de dépendance, intégrant les médecins généralistes, premiers interlocuteurs santé des immigrés âgés.

Prendre en compte les migrants vieillissants passe aussi par la reconnaissance de leurs difficultés d'accès aux droits et aux services publics. La complexité du droit français et les formalités administratives tournent vite au casse-tête pour ces personnes, souvent illettrées et qui ne maîtrisent pas toujours le français. Ceux qui le peuvent se font accompagner par des proches ou délèguent les tâches administratives à leur famille. Mais « les professionnels ne souhaitent pas que les enfants jouent le rôle d'interprète », remarque Sylvie Emsellem. « Ils doutent de la véracité des propos traduits et estiment que certaines situations familiales (financière, conjugale...) ne concernent pas leur fils ou fille. »

Moment particulièrement difficile : le passage à la retraite. Les travailleurs immigrés doivent reconstituer une « identité de papier » à partir de parcours professionnels souvent chaotiques et fragmentés, marqués par des accidents du travail, des périodes de chômage ou d'intérim, des retours prolongés au pays d'origine... Consciente de ces obstacles, la caisse régionale d'assurance vieillesse d'Alsace-Moselle a adapté son accueil. « La prise en compte des populations migrantes s'inscrit dans la prise en charge des populations dites fragilisées », explique son directeur, Alain Caps. 50 agents d'accueil ont été familiarisés avec ce public, dans le cadre d'une formation montée avec le comité d'action sociale en faveur des populations issues de l'immigration (Castrami), certains sont arabophones. Un lexique franco-arabe des principaux termes concernant la vieillesse et la retraite est disponible au guichet. En cas de dossiers incomplets ou de périodes travaillées à l'étranger, la caisse s'efforce de résoudre le problème en coopérant avec d'autres organismes français (caisses patronales, caisse d'allocations familiales, etc.) et étrangers, ce qui ne va pas toujours sans mal. « Il nous est évidemment plus facile de travailler avec les organismes allemands qu'avec des organismes plus éloignés », reconnaît Alain Caps, qui conseille aux futurs retraités étrangers d'entamer leurs démarches dès l'âge de 58 ans.

Par ailleurs, les étrangers d'origine maghrébine ou turque n'ont toujours pas leur place en maisons de retraite. Leur intégration soulève de nombreuses questions : comment intégrer leurs demandes (habitudes alimentaires, lieu de culte, personnel de même origine) aux structures existantes ? Faut-il créer ou pas des maisons de retraite communautaires ?

Quant aux travailleurs migrants vivant en foyer, leur situation continue d'être préoccupante.  « Les projections effectuées par la Sonacotra montrent qu'en 2008, un résident sur deux aura plus de 56 ans, etque trois résidents sur quatre auront plus de 46 ans », avertit Sylvie Emsellem. Pour remédier aux problèmes liés au vieillissement de leurs occupants (exiguïté des chambres, inadaptabilité à une perte d'autonomie, partage des parties communes...), d'importants travaux de réhabilitation des foyers doivent être effectués dans le cadre du plan quinquennal lancé par l'Etat et la Sonacotra en 1998 afin de les transformer en résidences sociales. C'est le cas à la Meinau, où le foyer Metzerau est en cours de rénovation. Les trois quarts de ses 203 résidents ont plus de 55 ans. Selon le directeur du foyer, les travaux prendront en compte la plus faible mobilité et l'éventuelle dépendance des publics (améliorer l'accessibilité des chambres, barres de relèvement aux toilettes).

Alors, comment améliorer la prise en compte des personnes âgées immigrées ? Le groupe de travail institutionnel, constitué à l'initiative de l'Observatoire régional de l'intégration et de la ville, formule une série de préconisations publiées avec l'étude menée dans le Bas-Rhin. Elles s'articulent autour du développement de lieux de socialisation, de la création de lieux de prière et de l'adaptation des établissements collectifs (maisons de retraite) afin de faciliter la pratique de l'islam, d'un meilleur accès aux soins et aux droits en général. Les partenaires proposent également de modifier la condition de résidence obligatoire en France pour le versement de certaines prestations. Ce qui permettrait aux immigrés d'effectuer, à l'heure de la retraite, des allers- retours avec leur pays d'origine.

Certaines de ces pistes ont été reprises dans le cadre du programme du gouvernement en faveur de l'intégration (4). Tant il est clair, aujourd'hui, que cette question du vieillissement, qui concernera un nombre croissant d'immigrés, ne peut plus être éludée.

JUSQU'OÙ ADAPTER LES PRATIQUES À DOMICILE ?

« Contrairement aux populations autochtones qui téléphonent volontiers pour demander une visite à domicile, les immigrés se déplacent plus facilement aux permanences. L'accès au domicile se fait dans un deuxième temps quand la relation de confiance est établie », observe Brigitte Kuntz, responsable du service d'accompagnement social de l'association haut-rhinoise d'aide aux personnes âgées. Selon elle, la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie a favorisé l'émergence d'un public méconnu, notamment étranger, exprimant des besoins spécifiques pour lesquels l'association cherche à adapter ses pratiques habituelles. Mais jusqu'où aller ? Faudrait-il, par exemple, envisager le portage de repas halal (respectant les rites musulmans)  ? Attention aux dérives communautaristes, avertit Brigitte Kuntz. « On peut, par exemple, être tenté d'envoyer au domicile de la personne quelqu'un de la même origine ethnique, voire de la même région », mais ce n'est pas toujours concluant. « Certains se sentent marginalisés. » Ce qui ne veut pas dire que la barrière linguistique ou les caractéristiques culturelles doivent être prises à la légère. « On dit souvent que pour travailler dans cette région il est souhaitable de parler l'alsacien, mais connaître l'arabe peut être utile aussi », pointe Cyrille Balaa. La coordinatrice de Réso 3, CLIC expérimental de Lingolsheim (Bas-Rhin), plaide ainsi pour l'introduction d'une dose d'ethnologie dans le travail social : « Connaître des formules de politesse ou une certaine gestuelle peut aider à établir le contact. Il ne s'agit pas forcément d'être issu de ce milieu, mais on peut être formé pour. »

Anne Simonot

Notes

(1)  ORIV Alsace : 1, rue de la Course - 67000 Strasbourg - Tél . 03 88 14 35 89.

(2)   « Des itinéraires de migrants algériens vieillissants » - Cahier de l'observatoire n ° 35 (mai 2002) ou pour une synthèse : La Lettre de l'ORIV n ° 8 (septembre 2002).

(3)  Et qui a donné lieu à une journée d'étude « Pour une meilleure prise en compte des migrants vieillissants en Alsace », organisée le 13 février 2003 à Strasbourg.

(4)  Voir ASH n° 2307 du 18-04-03.

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