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Une communauté pour renouer des liens

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A Besançon, l'association les Invités au festin propose un lieu d'accueil et une expérience de vie communautaire, pour rompre l'exclusion des personnes souffrant de problèmes psychiques et/ou d'insertion socio-professionnelle. Basée sur leur participation active, elle les aide à reprendre confiance en eux et à renouer les liens avec les autres.

A la Maison des sources (1), la vie s'organise autour d'un joli cloître vitré. Dehors, le jardin semble endormi sous la lumière froide de ce matin d'hiver. Mais dedans, les couloirs bruissent d'animation. Les uns mettent la dernière main au ménage, tandis que d'autres vont au « bar » consulter le planning des permanences. Saluts et bises s'échangent à la volée, dans une atmosphère de chaleur et de gaieté.

Si des alignements de pots de fleurs courent le long des fenêtres, si des décorations colorées couvrent les murs et tombent des plafonds, ce n'est pas seulement pour le plaisir des yeux. « Il faut que ce soit beau. C'est important, la beauté. C'est thérapeutique », estime Marie- Noëlle Mouchet-Besançon, psychiatre et présidente des « Invités au festin »   (2) à Besançon (Doubs).

C'est dans un esprit de convivialité et de respect qu'elle et son mari, Jean Besançon (vice-président de l'association), ont créé cet espace de rencontre et de partage, où ils vivent désormais. Composé d'un accueil de jour et d'un lieu d'hébergement, il est destiné à « des personnes souffrant de difficultés psychologiques et/ou sociales, en vue de leur réintégration dans la cité ».

Aménagés dans un ancien couvent à trois pas du centre-ville bisontin, l'accueil de jour « La Fontaine » a ouvert ses portes en 1999. Le lieu d'hébergement « Les Capucines » (12 places) a été agréé comme résidence sociale, un an après. Plus de 80 personnes, de 30 à 58 ans, participent régulièrement aux activités proposées. Une soixantaine touche l'allocation aux adultes handicapés. Les autres sont en longue maladie, retraités, titulaires du revenu minimum d'insertion ou salariés.

Les participants sont en général envoyés par les services sociaux de la ville de Besançon, le CHU, le centre hospitalier spécialisé de Novillars, des psychiatres libéraux, l'association travaillant avec tout le réseau psychiatrique de la région. « Tous les gens qui viennent ici ont des problèmes psychiques assez importants, qu'ils soient déprimés, psychotiques ou autres. Ils ont besoin de recréer des liens et de reprendre confiance en eux », explique Marie-Noëlle Mouchet. Beaucoup sont suivis à l'extérieur pour des troubles mentaux, mais aucune prescription médicale n'est effectuée au sein de l'association : « La Maison des sources n'est pas un lieu de soins mais un lieu qui soigne. »

Inscrite dans le schéma régional d'orien- tation sanitaire comme un « dispositif innovant de réadaptation sociale », l'expérience repose sur la participation active des exclus et des malades au fonctionnement de la communauté. Basée sur la vie communautaire et le partage, elle s'inspire de la philosophie des lieux de vie. Adhérents à l'association moyennant une cotisation annuelle de 25 €, les résidents assurent une partie des animations et des permanences. « Ils ont le statut de “membres participants” : ils coopèrent et peuvent, s'ils le veulent, prendre part à l'assemblée générale et aux décisions », précise Marie-Noëlle Mouchet, pour qui « la maison n'aurait pas pu ouvrir sans leur mobilisation ». L'animation de l'endroit est assurée par neuf salariés (dont cinq en parcours d'insertion), des bénévoles (35 personnes, aux compétences diverses) et des stagiaires (étudiants en psychologie, futurs infirmiers ou travailleurs sociaux...). L'aspect thérapeutique de la démarche est évident : permettre à chacun de retrouver son autonomie, de se responsabiliser, en évitant de tomber dans l'assistanat.

Une «  alternative à l'enfermement psychiatrique »

Reconnue comme « une expérience originale d'antipsychiatrie » par l'Observatoire national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, dans son rapport 2001-2002 (3), elle a reçu à ce titre le deuxième prix national de l'initiative en économie sociale, décerné par la Fondation du Crédit coopératif. Une formulation que tient à nuancer la responsable des lieux souhaitant se démarquer du courant d'antipsychiatrie qui attribuait l'origine de la maladie mentale à la société. Elle préfère parler « d'alternative à l'enfermement psychiatrique » et de psychiatrie communautaire.

Pour Marie-Noëlle Mouchet, praticienne et chrétienne, la création de cet endroit est l'aboutissement de dix ans d'engagement. « L'association est née à la suite d'une rencontre un dimanche avec un artiste marginal qui se trouvait seul à la rue. J'ai trouvé anormal que des personnes soient isolées, surtout ce jour-là qui devrait être un jour privilégié de rencontre et de partage », se rappelle-t-elle. Ainsi naissent, à la fin des années 80, les « dimanches communautaires » où elle ouvre sa porte à tous ceux qui souffrent de solitude (ils sont encore organisés une fois par mois par les Invités au festin).

Devant l'afflux de personnes ramenées par le bouche à oreille, elle mesure l'intrication fréquente entre détresse sociale et demandes de soins, et l'ampleur des besoins. D'où l'objectif de l'association (créée en 1990)  : « prévenir l'exclusion chez les malades psychiques et les troubles psychiatriques chez les exclus ». « Bien avant les conclusions du rapport Lazarus  (4) , nous avons pris conscience de la nécessité de développer un lieu d'écoute, d'expression de la souffrance, et de soigner celle-ci », raconte Marie-Noëlle Mouchet. En 1992, elle loue un local près de son cabinet médical et ouvre des permanences en semaine. « Tout s'est progressivement structuré. Après sept ans d'existence, nous étions ouverts sept jours sur sept. Et dix ans après, 24 heures sur 24. »

Le dernier obstacle est levé, en 1999, avec l'acquisition d'un couvent appartenant à l'ordre des Capucins, qui lui consent un crédit vendeur de trois millions de francs (460 000 €) sur dix ans, sans intérêt.

Trois ateliers d'insertion

Depuis, le programme des activités s'est étoffé au fil de l'aménagement des locaux, pour arriver à 25 ateliers par semaine, du lundi au samedi, allant du footing au papier mâché, en passant par la peinture sur bois, les sorties à la piscine, un atelier d'écriture ou la gymnastique. L'association a également monté trois ateliers d'insertion : une friperie ouverte au public, une buvette sans alcool et un atelier informatique (bureautique, PAO, Internet) qui permet une remise à niveau orientée vers une pratique professionnelle. L'inscription aux ateliers coûte 5  € par mois, avec pour seule obligation de s'inscrire à au moins une activité manuelle. « Travailler de leurs mains et voir le résultat de leur travail est bénéfique aux résidents », estime Marie-Noëlle Mouchet.

L'association publie, par ailleurs, une revue trimestrielle : La lettre des invités, donne des nouvelles des uns et des autres, annonce et rend compte des manifestations, des sorties culturelles, des voyages du groupe, etc. Chacun peut y prendre la plume et les participants se disent très attachés à ce mode d'expression.

La présence sur place de toutes ces activités constitue « un plus par rapport à beaucoup de foyers ou de pensions de famille où il n'y a rien à faire. Ils ne sont jamais désœuvrés et leur comportement s'en ressent », estime la présidente. Arrivées dans une situation psychologique, morale et matérielle souvent déplorable, les personnes logées aux « Capucines » y trouvent une ambiance quasi familiale. Petit à petit, elles sortent de leur coquille, participent aux tâches ménagères, font la cuisine et la vaisselle à tour de rôle, prennent leurs repas en commun. « On est dans l'application au quotidien du principe du vivre avec, du faire avec », confirme Marie-Christine, « accompagnante » qui assiste notamment les résidents aux fourneaux.

Le loyer pour la résidence sociale est calculé en fonction des revenus et des allocations de chacun. Un seul résident travaille à l'extérieur, dans une entreprise horticole. « Ils perçoivent une allocation personnalisée au logement. Ainsi certains ne paient que 15  e par mois »   (5), explique Marie-Noëlle Mouchet. Les chambres, individuelles, se trouvent à l'étage du bâtiment. Certaines ont une salle de bains avec douche et toilettes, d'autres ont les sanitaires sur le palier. Le prénom de chaque locataire est collé en lettres de bois sur les portes. Une télévision reste à leur disposition dans la salle de détente, aux murs couverts de livres et de cassettes vidéo. Croisée dans le couloir, Arlette est ravie de nous faire visiter son chez-elle, une grande pièce claire où elle a épinglé quelques photos personnelles. Arrivée aux Invités au festin après de longues années passées en hôpital psychiatrique, elle a mis plusieurs mois à sortir de son mutisme et dit « avoir retrouvé la parole ici ».

Cette vie en communauté impose des contraintes qui doivent être librement consenties par l'ensemble des participants, résidents ou non. La violence, l'abus d'alcool et la drogue sont interdits. « Il est nécessaire, pour participer aux activités du lieu d'accueil de jour, de faire partie de l'association et d'être en accord avec ses buts et son esprit », préviennent les responsables. Une période d'essai de trois activités est mise en place pour déterminer si la personne peut devenir membre ou non. Les nouveaux arrivants doivent accepter les règles de fonctionnement, au risque sinon de se voir pousser vers la porte. Ce qui reste néanmoins exceptionnel.

Ainsi, « Les Capucines » affichent complet depuis longtemps, avec un temps de séjour supérieur à un an pour la plupart des résidents. Une treizième chambre vient d'ailleurs d'être aménagée (en cours d'agrément) pour accueillir une personne en perte d'autonomie à la suite d'un accident vasculaire cérébral. Parmi les membres de l'association, résidents et participants confondus, beaucoup adhèrent depuis plusieurs années et ont retrouvé un mieux-être. « Les réhospitalisations sont plus rares, les symptômes s'améliorent ou disparaissent, ce qui est encore plus net pour les résidents. »

Seule ombre au tableau : on tire le diable par la queue à la Maison des sources. Formateur en gestion et management de petites et moyennes entreprises, Jean Besançon s'est naturel- lement occupé du montage financier de l'opération. L'association touche des financements du conseil général, de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, de la municipalité bisontine, du Secours catholique. Mais « les subventions ne couvrent qu'un quart des dépenses, tout le reste est autofinancé ». Les ressources principales proviennent des redevances, des cotisations, des dons et legs, de la vente d'articles d'artisanat fabriqués sur place, des vêtements de la friperie et de prestations de services. Des manifestations sont organisées pour récolter des fonds, comme une braderie deux fois par an ou un défilé de mode à l'occasion de l'ouverture de la friperie fin 2001.

L'association a par ailleurs demandé l'agrément des « Capucins » comme maison-relais. Ce changement de statut permettrait, selon le couple, de tripler les aides.

Anne Simonot

Notes

(1)  Les Invités au festin - La Maison des sources : 10, rue de la Cassotte - 25000 Besançon - Tél. 03 81 88 90 30 - Fax : 03 81 88 90 34 - E-mail : iaf4@wanadoo.fr.

(2)   « Les Invités au festin » est une parabole de l'évangile selon saint Matthieu.

(3)  Voir ASH n° 2249 du 8-02-02.

(4)  Une souffrance qu'on ne peut plus cacher - Rapport Lazarus-Strohl - Février 1995 - Voir ASH n° 1926 du 12-05-95.

(5)  Le loyer est de 259,16 e à 304,90  € par mois.

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