C' est un projet qui tombe du ciel ! » Comme l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), la plupart des associations ont été prises de court lorsqu'un avant-projet de loi « portant décentralisation du revenu minimum d'insertion [RMI] et créant un revenu minimum d'activité [RMA] », apparemment déjà bien ficelé, a été remis au Conseil national de lutte contre l'exclusion (CNLE), le 24 avril. Avant une présentation en conseil des ministres le 7 ou le 14 mai et un débat au Sénat dès la dernière semaine de mai, selon les informations filtrant du cabinet de François Fillon. Mais que ce dernier n'a pas souhaité confirmer aux ASH... « Sur la décentralisation, on n'attendait rien avant la présentation, cet été, de la loi sur le transfert des compétences. Nulle part n'avait été annoncée une loi spécifique sur la décentralisation du RMI », s'étonne Bruno Grouès, conseiller technique à l'Uniopss. Et le secteur était d'autant moins à l'affût que le rapport du président du CNLE, Bernard Seillier, sur l'insertion des bénéficiaires de minima sociaux n'est pas attendu avant la fin du mois de mai... Beaucoup de précipitation, donc, pour ce projet, organisé autour de deux axes : le recentrage, comme annoncé (1), de la gestion du dispositif sur le département, et la création d'un RMA venant, dans certains cas, compléter le RMI.
Désormais, donc, dans un souci de « cohérence », le conseil général « disposera [...] du pilotage intégral du RMI » et sera « le seul responsable pour décider l'admission, veiller aux conditions de versement de l'allocation et assurer l'insertion ». Son montant et ses conditions d'attribution demeurent cependant « fixés au niveau national », tandis que « l'instruction, la liquidation et le paiement des dossiers individuels continuent de s'appuyer sur l'ensemble des acteurs locaux : communes, services départementaux, associations, caisses d'allocations familiales (CAF), caisses de mutualité sociale agricole (CMSA) ». Le texte précise notamment que le service de l'allocation continue d'être assuré par les CAF et CMSA, dans le cadre de conventions avec les départements.
L'organisation et le fonctionnement du pilotage local de l'insertion sont, quant à eux, réformés :le président du conseil général devrait présider le comité départemental d'insertion, dont il choisirait seul les membres. De même, il désignerait seul les membres et le président des commissions locales d'insertion (CLI), dont il fixe le nombre et le découpage territorial. Ces dernières instances n'approuveraient plus les contrats d'insertion, une prérogative qui reviendrait aux services départementaux. Leur incombe en revanche « une mission d'animation territoriale du dispositif d'insertion par une évaluation du besoin local et par des propositions d'amélioration de l'offre d'insertion ». L'obligation faite aux conseils généraux de consacrer chaque année à l'insertion un crédit au moins égal à 17 % des allocations de RMI versées l'année précédente, serait en outre supprimée.
Le contrat d'insertion, que « chaque foyer bénéficiaire doit conclure » - la notion de « devoir » faisant son apparition dans le texte - est en outre modifié, « afin qu'il puisse traduire l'implication effective de l'allocataire et de la collectivité » : il contient désormais « des dispositions définissant de façon concrète le projet d'insertion ou le calendrier des démarches correspondantes ».
Innovation attendue de la réforme, le revenu minimum d'activité concerne les allocataires du RMI « qui ne sont ni en très grande difficulté [...], ni proches du marché du travail », c'est-à-dire ceux « qui ne peuvent accéder à l'emploi dans les conditions ordinaires du marché du travail et pour lesquels un temps d'adaptation est nécessaire ». Il devrait être, comme François Fillon l'avait annoncé, accessible aux publics percevant le RMI depuis au moins deux ans. Lié à un contrat de travail d'une durée hebdomadaire de 20 heures, renouvelable deux fois dans la limite d'une durée totale de 18 mois, il « associe une allocation forfaitaire de RMI (personne seule après abattement du forfait logement) et un complément à la charge de l'employeur. Il est versé par l'employeur au salarié, qui bénéficie ainsi d'une rémunération au moins égale à 20 fois le SMIC horaire par semaine ». Ce qui, à l'heure actuelle, correspond à un salaire brut mensuel d'environ 550 €, et à un salaire net de moins de 500 €. Pour mémoire, le RMI pour une personne seule est de 411,17 €.
Les employeurs, quant à eux, peuvent appartenir au secteur marchand, à l'exception des particuliers employeurs, ou non marchand, à l'exception des services de l'Etat et du département. Ils doivent mener des « activités de tutorat, de suivi individualisé et de formation destinées à favoriser l'insertion professionnelle du salarié dans le cadre du parcours d'insertion ». Les cotisations patronales de sécurité sociales devraient être prises en charge par l'Etat pour certains employeurs, notamment les collectivités territoriales et les associations.
L'avant-projet, enfin, confie à l'inspection générale des affaires sociales « une mission de contrôle de l'application des normes et de l'effectivité des prestations ». Et souligne que l'Etat demeure « responsable du suivi des politiques conduites en matière d'allocation et d'insertion des bénéficiaires du RMI et du RMA non seulement pour en évaluer et en restituer les résultats, mais aussi pour faciliter les échanges de bonnes pratiques de terrain ».
Les réseaux de l'insertion affichent leur très grande déception. En premier lieu, parce que le gouvernement n'y a pas mis les formes. « Quel paradoxe !On a attendu la concertation pendant un an et au moment où elle pourrait s'engager, tout paraît déjà bouclé », s'irrite Michel Machicoane, le secrétaire général de la Fédération Coorace. Personne, en outre, ne comprend la nécessité qu'il y a à précipiter à ce point l'avancement du dossier. L'Uniopss s'est d'ailleurs d'ores et déjà fendue d'une lettre à Jean-Pierre Raffarin pour lui demander de retarder la présentation en conseil des ministres et de prévoir, après le 6 mai, date à laquelle le CNLE se réunira pour examiner le projet, un délai d'au moins un mois, « pour élaborer un avis consensuel autorisé » et pour que le gouvernement puisse en tenir compte « pour ajuster, le cas échéant, son texte ». Le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales a également, le 29 avril, « vivement regretté le manque de temps pour étudier les textes proposés ». Textes sur lesquels il a d'ailleurs émis un avis défavorable- à une courte majorité -, exprimant « des interrogations et des réserves sur les modalités de la décentralisation, notamment sur le respect des principes d'égalité et de solidarité et sur les risques financiers ».
Les associations s'inquiètent également du risque de développement des inégalités territoriales. Tout en se félicitant du fait que montant et règles d'attribution demeurent fixés au niveau national, elles déplorent la suppression de l'obligation faite aux départements en matière de crédits consacrés à l'insertion. « C'est une catastrophe », estime Bruno Grouès. Mais c'est surtout le RMA qui s'attire leurs foudres. « En quoi est-il mobilisateur de passer d'un RMI à un demi-SMIC ? », s'interroge Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS). « Resserré à une fraction des bénéficiaires du RMI, rigide dans les horaires et les durées, sans obligation réelle de formation ni d'accompagnement, il ressemble beaucoup aux premières versions des contrats aidés », déplore encore la fédération. « C'est un mauvais contrat emploi solidarité [CES] », ajoute son directeur. « Pourquoi un contrat rigide, alors que toute l'évolution des contrats aidés depuis dix ans allait au contraire vers un assouplissement ? Le RMA ne va pas dans le sens de l'histoire », s'étonne de son côté Bruno Grouès. La surprise des réseaux est d'autant plus grande que le « contrat d'accompagnement renforcé dans l'emploi », fusion des CES et contrats emploi consolidés, que François Fillon avait esquissé en mars devant les partenaires sociaux (2), semblait avoir pris en compte la nécessité de l'individualisation. Etrangement, d'ailleurs, l'arti- culation avec ce futur contrat n'apparaît pas dans l'avant-projet. Lequel, résume Michel Machicoane, donne purement et simplement « l'impression d'être une opportunité pour l'entreprise de trouver une main-d'œuvre bon marché »...
C.G.
(1) Voir ASH n° 2301 du 7-03-03.
(2) Voir ASH n° 2303 du 21-03-03.