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« Vers une gouvernance associative ? »

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F ace à la « crise larvée mais profonde du modèle associatif », il importe de réaffirmer la primauté du projet politique des associés, défend Francis Batifoulier, directeur de maison d'enfants.

« La revue ASH s'est fait ces derniers temps l'écho du débat occasionné par l'avenir du modèle associatif ; cela va notamment de la dénonciation des “privilèges” des associations par le Medef qui cherche de nouveaux territoires de développement, aux inquiétudes suscitées par une Europe qui privilégie le paradigme concurrentiel. Dans ce contexte, Hubert Allier, directeur général de l'Uniopss, en appelle à une refondation (1). Pour ma part, dans une précédente tribune (2), j'avais regretté, probablement par naïveté et méconnaissance d'enjeux stratégiques majeurs, que la célébration de l'anniversaire du centenaire de la loi de 1901 ne donne pas lieu à un état des lieux critique des fonctionnements des associations d'action sociale. L'essentiel, toutefois, est qu'aujourd'hui on accepte d'analyser avec lucidité ce qu'il faut bien appeler avec Bernard Eme “une crise larvée, mais profonde” des associations. Ce sociologue pose le diagnostic d'une crise des associations qui serait due “à l'emprise grandissante des logiques technico-instrumentales (économisation, professionnalisation, esprit gestionnaire et entrepreneurial, affaiblissement des perspectives militantes, inscription dans les systèmes de pouvoir, etc.) au détriment des logiques de solidarité entre leurs membres (souci de soi) ou à l'égard d'autres sujets sociaux (souci de l'autre) en fonction d'une visée politique de transformation de la société”   (3).

Dans un contexte où beaucoup d'équipes dénoncent des pratiques de direction laissant aux professionnels des fenêtres d'initiative toujours plus réduites, les directions d'établissements et de services sociaux étant par ailleurs polarisées par une logique de mise en conformité avec les exigences de la loi du 2 janvier 2002, il est salutaire de situer l'ampleur et la complexité des questions qui se posent au secteur associatif et qui fragilisent son devenir. Parmi ces questions, il en est une qui mérite d'être traitée prioritairement, c'est celle du gouvernement associatif ; elle détermine largement le fonctionnement du système et a à voir avec ce qui spécifie l'altérité associative. Il n'y aura pas de refondation sans reconfiguration des pratiques dirigeantes et celle-ci implique en premier lieu un réinvestissement de la fonction politique par les associés.

L'association, un acteur politique

Alors que beaucoup de conseils d'administration ne sont pas éloignés d'un “état de mort clinique”, il peut paraître paradoxal de réaffirmer la primauté du projet politique des associés.

Pourtant, sauf à vouloir changer de modèle, les associations doivent, pour résister aux diverses dérives qui les menacent, retrouver ce qui fait leur originalité en élaborant un lieu où l'activité communicationnelle constitue le principe actif de l'organisation (4). Cette activité, à travers laquelle les associés revisitent le pacte associatif et sa déclinaison actualisée du bien commun, s'incarne dans le projet associatif. Elle devrait permettre aux associés de prendre progressivement la mesure de la nouvelle donne sociétale et de définir la place que peut y tenir l'association en tant qu'espace public de proximité, mais aussi d'identifier plus clairement l'évolution des enjeux spécifiques concernant l'accompagnement des personnes bénéficiaires de l'intervention associative. Il faudra certainement attendre que la démarche de refondation soit effective pour voir une majorité de conseils d'administration se situer de plain-pied dans le champ politico-stratégique, c'est-à-dire participer au positionnement de l'association sur un territoire par rapport aux décideurs, à la définition des objectifs au regard de la mission et à l'élaboration des stratégies d'action.

Aujourd'hui, nous n'en sommes pas là. Ce sont les activités instrumentales qui sont mises en relief aux dépens de l'activité communicationnelle de l'instance politique. Cet état de fait opacifie la spécificité associative par rapport à l'entreprise capitaliste dont l'objet est la mise en œuvre d'activités instrumentales.

Le procès de refondation implique donc la réaffirmation des associés comme acteurs politiques porteurs d'un projet. Mais pour être à la hauteur des enjeux, ce repositionnement ne peut que se situer à l'intérieur d'une démarche de relecture globale des pratiques de direction des associations. Il s'agit d'un chantier d'envergure et des pistes de réflexion s'esquissent.

Repenser les pratiques dirigeantes...

C'est ainsi que Joseph Haeringer propose le concept de dirigeance, fondé sur les notions de représentation collective d'un bien commun, de coopération, d'éthique de la discussion, d'espace public interne, de démocratie... (5).

Dans ce contexte de réinterrogation fondamentale du système associatif, il nous semble qu'aucune piste ne doit être barrée a priori. C'est ainsi que le concept de gouvernance dans son acception générale pourrait peut-être nous aider à mieux penser l'articulation des pratiques dirigeantes dans le secteur social. Il nous semble offrir des opportunités d'intelligibilité nouvelle à condition que, reconnaissant ses limites et ses ambiguïtés, on se livre à une démarche critique ; les critiques sont en effet nombreuses et vont d'une polysémie propice à des utilisations peu rigoureuses à la dénonciation de la vision libérale qui sous-tendrait cette notion. De fait, dans la situation actuelle, il est impératif de distinguer les apports conceptuels, permettant d'affronter avec de nouveaux outils les questions de pouvoirs propres à l'associatif, des importations risquant de mettre à mal l'identité et les principes fondateurs du tiers secteur. Ces précautions étant prises, on peut s'intéresser au concept de gouvernance et constater qu'il pose les bases d'un management fondé sur les notions d'incertitude, de complexité, de système, de synergie, d'inter-action. Comme le souligne Sylvain Allemand, la gouvernance permet de décrire un changement de style dans le mode de gouvernement ou de gestion, à quelque niveau où l'on se situe ; elle attire l'attention sur la pluralité des acteurs, relevant de logiques différentes, qui interviennent dans le processus d'action collective. Elle invite à considérer l'enchevêtrement des niveaux d'action. Au schéma de pouvoir fondé sur l'autorité et la hiérarchie, elle oppose la coopération ; au gouvernement exercé du sommet vers le bas, un processus interactionniste. La gouvernance favorise par ailleurs les analyses en termes de participation, de négociation et de coordination. Elle va de pair avec les notions de projet, de partenariat et de consensus.

Sylvain Allemand trouve significatif le fait qu'elle soit réapparue dans les débats de société concomitamment aux thèmes de citoyenneté, de réseau, de démocratie locale, etc. (6).

... et  le paradoxe structurel de l'organisation associative

Il y a des résonances multiples entre une approche managériale en termes de gouvernance et les principaux enjeux de pilotage des organisations associatives : la place du projet politique dans l'organisation, l'entreprise comme système ouvert, les modes de construction collective du projet d'entreprise, l'avènement de fonctionnements démocratiques, l'articulation de logiques différentes, la définition de méthodes d'organisation plus pertinentes en univers complexe, la prise en compte de l'usager comme acteur... Le concept de gouvernance pourrait permettre de penser à nouveaux frais le paradoxe structurel qui caractérise l'organisation associative ; ce paradoxe tient à ce que l'association est un espace où coexistent, se confrontent, s'articulent plus ou moins bien des valeurs, des logiques d'action, des modes de décision et de gestion potentiellement antinomiques, les uns étant référés à une visée éthico- politique de transformation sociale et les autres à un positionnement technico-managérial de prestataire de services.

Une exploration plus approfondie mérite donc, à notre sens, d'être poursuivie à condition de s'inscrire dans une démarche rigoureuse et exigeante d'appropriation et d'inculturation de ce concept. Ce n'est qu'à ce prix que pourrait être caractérisée une gouvernance associative : une gouvernance qui construirait sa légitimité sur sa capacité à maintenir à tous les niveaux du projet - projet associatif, d'entreprise ou d'établissement, de l'usager - une mise en tension dialectique entre une visée émancipatrice, des valeurs propres à un humanisme solidaire, des principes actualisés et une ingénierie,  une rationalité instrumentale, des technologies. C'est la permanence de ce nouage qui devrait fondamentalement distinguer la gouvernance associative de la gouvernance d'une entreprise marchande prioritairement orientée vers le profit. »

Francis Batifoulier Directeur de la Maison d'enfants Saint-Vincent- de-Paul. A participé à l'ouvrage collectif Institutions et organisations de l'action sociale, crises, changements, innovations ? ,coordonné par Chantal Humbert - Ed. L'Harmattan, 2003. 16, rue Ambroise-Paré - 64200 Biarritz Tél. 05 59 24 22 23.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2304 du 28-03-03.

(2)  Voir ASH n° 2191 du 1-12-00.

(3)   « L'économie solidaire ( 2 )  - Perspectives habermassiennes »  - Les Cahiers du Gerfa - 1er semestre 2001.

(4)  Voir Bernard Enjolras -  « Crise de l'Etat-providence, lien social et associations : éléments pour une socio- économie critique »  - La Revue du

(5)  Voir ASH n°2275 du 6-09-02.

(6)  Sylvain Allemand  « Gouvernance, le pouvoir partagé »  - Sciences humaines n° 101,2000.

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