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Service social et médecine scolaire essuient les feux de la réforme

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Le transfert du service social et des médecins scolaires vers les départements, décidé sans concertation, scandalisent les intéressés. Nombreux sont ceux qui crient au démantèlement du service public de l'Education nationale. Beaucoup s'interrogent sur la mise en œuvre d'une décision, avant tout financière.

La décision est prise. Annoncée comme telle par le Premier ministre lors de la synthèse des assises des libertés locales à Rouen, le 28 février dernier, elle est tombée comme un couperet (1). Alors que deux jours avant, on assurait encore dans certains couloirs du ministère de l'Education nationale que le service social scolaire ne serait pas décentralisé. Malgré les déclarations de Jean-Pierre Raffarin précisant que rien ne se ferait sans l'accord des personnels. Malgré l'assurance donnée par le ministre de l'Education nationale devant le comité techni- que paritaire ministériel du 2 décembre 2002 que la santé scolaire ne serait pas décentralisée.

A compter du 1er janvier 2004, sauf changement de cap politique majeur avant l'adoption des lois organiques, les 2 200 assistantes sociales scolaires et les 1 300 médecins scolaires dépendant du ministère de l'Education nationale seront donc transférés aux conseils généraux dans le cadre de la réforme de la décentralisation.

« Après l'avoir appris par la presse, nous avons reçu une lettre co-signée du ministre de l'Education nationale et du ministre délégué à l'enseignement scolaire, datée du 13 mars, nous annonçant le transfert du service. Avant même que soit adoptée la réforme constitutionnelle... On a purement et simplement le sentiment d'être virées de l'Education nationale », lâche sans hésitation Doris Boetsch, conseillère technique au service social en faveur des élèves du Haut-Rhin. Pire encore « lorsque l'on sait que le département n'est pas chaud pour nous accueillir, ajoute une assistante sociale scolaire d'un collège de la Seine-Saint-Denis. Nous avons l'impression d'être virées d'un côté sans être attendues de l'autre. » Consternation et colère dans les rangs du service social sur la manière dont la décision a été prise et annoncée (2) sans concertation, sans préparation. Même sentiment du côté des médecins scolaires, « profondément choqués du traitement qui leur est infligé. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre la décentralisation, ni de s'opposer bêtement. On aurait pu au moins nous reconnaître dignes d'en débattre », constate avec amertume le Dr Frambourg, secrétaire générale de l'Association des médecins conseillers techniques de l'Education nationale.

Un bloc de compétences élargi

Abrupte dans la forme, étonnamment maladroite politiquement, ce qui n'explique qu'en partie les mouvements sociaux récents, cette décision suscite non seulement l'hostilité des syndicats des personnels, mais aussi doutes et interrogations tant le flou s'ajoute à la contradiction. L'idée au départ n'est pas nouvelle (voir encadré ci-contre). Le rapport de la commission sur l'avenir de la décentralisation présidée par Pierre Mauroy proposait déjà en 2000 un tel transfert, ce que ne manquent pas de rappeler certains conseillers généraux de la majorité. L'Association des départements de France  (ADF) avait, de son côté, évoqué ces dernières années, à l'occasion notamment des états généraux de la protection de l'enfance, l'élargissement de la compétence départementale en protection maternelle et infantile (PMI) au-delà de 6 ans pour assurer une meilleure continuité de la prise en charge des jeunes dans le domaine de la santé, le service social étant absent du primaire, et les médecins, présents au gré de leurs moyens. Les enchères de la décentralisation ouvertes, l'association, forte de son audience auprès du gouvernement, a poussé la logique en prônant un bloc de compétences global à destination des enfants et des jeunes, dont la santé scolaire, afin que les départements puissent engager une vaste politique de prévention.

D'UN MINISTÈRE À L'AUTRE

Rattaché au ministère de l'Education nationale après la Seconde Guerre mondiale, puis au ministère de la Santé à partir de 1964, les assistantes scolaires se sont battues dans les années 70 pour constituer un service social scolaire distinct de celui des médecins et des infirmières. Lesquelles ont progressivement manifesté également leur désir d'autonomie vis-à-vis des médecins. Lorsque la décentralisation se profile, le projet de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales prévoit... le transfert aux départements du service social et du service de santé scolaire. Face au refus des personnels - en particulier des assistantes sociales - le texte est retiré. La santé scolaire reste d'Etat, avec un rattachement organisé de manière transitoire au ministère de l'Education nationale. En 1991, le service social scolaire est transféré définitivement à l'Education nationale et reconnu à part entière la même année par une circulaire, toujours en vigueur, qui définit ses missions. C'est un service départemental placé sous la hiérarchie de l'inspecteur d'académie qui intervient dans les collèges et les lycées. Mais les professionnels sont rattachés à une assistante sociale conseillère technique. De même les actions de santé sont désormais assurées par deux services distincts qui « agissent en étroite collaboration »  : le service médical et infirmier. Ils constituent le service de promotion de la santé en faveur des élèves, reconnu également par une circulaire de 1991. Si le service est aussi placé sous la tutelle de l'inspecteur d'académie, les infirmières sont les seules à être hiérarchiquement rattachées au chef d'établissement. Références : circulaires 91-248 du 11 septembre 1991 (service social en faveur des élèves) et 2001-012,013 et 014 du 12 janvier 2001 (service de promotion de la santé en faveur des élèves).

Par ailleurs, il faut bien reconnaître que la pénurie permanente des moyens humains et financiers des services de l'Etat, régulièrement pointée par différents rapports et dénoncée par les professionnels eux-mêmes, autant que les dysfonctionnements du dispositif médico- social scolaire (3), irritent, depuis de nombreuses années, les départements confrontés à l'augmentation du nombre de jeunes en difficulté et impatients d'avoir les coudées franches pour agir. L'Etat a saisi la balle au bond, le ministre Luc Ferry arguant justement d'un « choix pleinement cohérent avec les missions déjà exercées par les départements notamment dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance ». Pas sûr néanmoins qu'une majorité de départements ait souhaité, comme l'écrit le ministre de l'Education nationale,  récupérer ces services assortis d'un transfert de personnels. S'il s'agissait uniquement d'un souci de cohérence et de proximité, « l'Etat pouvait très bien opérer une délégation de compétences au profit des départements, sans pour autant transférer les personnels », fait remarquer Alain Desmarets, vice-président du conseil général du Val-de-Marne, opposé à ce transfert au nom du maintien des missions régaliennes de l'Etat. « On aurait pu aussi bien travailler sur l'amélioration du fonctionnement des relations entre les services de l'Etat et des conseils généraux. »

« Mais pour quelle politique ? Pour quoi faire ? Avant de transférer des personnels, encore faudrait-il qu'il y ait un projet, des orientations ! », s'insurge une conseillère technique de service social scolaire d'Ile-de-France, qui préfère garder l'anonymat. Où sont la cohérence et l'efficacité d'une politique publique lorsqu'on scinde le service de santé entre les infirmières qui resteront à l'Etat et les médecins ? « Où est la cohérence d'une politique de santé publique lorsque, dans le même temps, on ôte aux départements la prévention sanitaire (vaccinations, prévention de la tuberculose et des maladies sexuellement transmissibles)  ? », s'étonne Pierre Maille, président du conseil général du Finistère. Où est la cohérence lorsque, quelques jours avant l'annonce du Premier ministre, est rendu public le plan du ministre délégué à l'enseignement pour améliorer la santé des élèves (4)  ?, se demande, à titre personnel, Claude Roméo, directeur de l'Enfance et de la famille dans la Seine-Saint-Denis. « Avant de prendre cette décision,  il aurait fallu faire un vrai bilan de la PMI et de l'Education nationale pour savoir de quoi on parlait », regrette-t-il. « Pour ma part, je pense qu'il aurait été plus logique de faire appel à la PMI jusqu'en primaire et de recentrer la médecine scolaire sur un public qu'elle connaît bien, les adolescents. »

Le Haut-Rhin fait partie des départements demandeurs du transfert de la santé scolaire. Philippe Jamet, directeur de la Solidarité, défend un « rapprochement naturel avec l'Education nationale, partenaire avec lequel les habitudes de travail de la PMI et de l'aide sociale à l'enfance [ASE] sont bonnes, comme dans bon nombre de départements. C'est justement pourquoi il faut pouvoir construire une action globale en s'appuyant sur un grand service qui intégrerait sans les dissou- dre les services de santé et social scolaires, articulé aux circonscriptions. » Sa collègue de la Côte-d'Or, Geneviève Avenard, acquiesce à cet argument : « L'intérêt de ce transfert, c'est de pouvoir agir très en amont, notamment en primaire où le service social n'intervient pas, et de mettre en œuvre une politique globale préventive. » « C'est une bonne chose en termes d'unité d'action, estime Catherine Hesse-Germain, directrice adjointe de la Vie sociale des Hauts-de-Seine. Les services de l'Education nationale sont souvent isolés ; ce sera un moyen de rapprocher des professionnels qui ont parfois des difficultés à communiquer. »

UNE SCISSION INCOMPRÉHENSIBLE

« Absurde, incompréhensible, atterrant, idiot », les qualificatifs fusent de toute part. Surtout lorsque l'explication consiste à dire, comme l'a fait - par erreur (?)  - le Premier ministre, que seules les infirmières font partie de l'équipe pédagogique. « Nous sommes tous intégrés, plus ou moins bien certes, à l'équipe éducative - et non pédagogique », insiste Marie-Lucie Gosselin, secrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires. « S'il y avait une logique, c'est l'ensemble des personnels qui aurait dû partir. » Explication officielle à cette scission : le rattachement des infirmières au chef d'établissement et leur mission d'éducation à la santé. Difficile de justifier une telle décision sauf, suggèrent quelques élus, par une pression syndicale particulièrement efficace. Au Syndicat national des infirmiers et éducateurs de santé, on s'avoue pourtant solidaire des médecins et atterré d'une décision grave qui menace le service public. « Vers qui allons-nous nous retourner lorsqu'il y aura un problème social ou relevant de la compétence d'un médecin ? » Au Syndicat national des infirmiers conseiller de santé-FSU, « si l'on regrette ce départ et le démantèlement du service public, on reconnaît que les infirmières n'effectuent pas un travail en équipe médico-sociale et que la décision, inadmissible dans la forme, n'est pas complètement incohérente ».

« Il va maintenant falloir faire avec, dans l'intérêt des élèves, quel que soit l'em- ployeur », observe avec justesse Doris Boetsch. « Tout dépendra de la façon dont les départements vont concevoir ce transfert. » Aucun d'entre eux ne veut, ou ne peut, dévoiler d'hypothèses encore à l'étude. Mais chacun de promettre une concertation indispensable avec les organisations syndicales sur un sujet « sensible ». Logique d'intégration dans les unités territoriales, en lien avec la PMI, l'ASE, la polyvalence ? Ou maintien d'un service social spécialisé ? Ou bien encore rattachement d'un service social intégré à un pôle de prévention/santé en direction de l'enfance et de la jeunesse ? Un pied dans un collège de rattachement, un autre dans le quartier ?comme le suggère, avec prudence cependant, Pierre Maille qui reconnaît en même temps la spécificité de l'intervention du service social en milieu scolaire. Dans le Val-de-Marne, « on est très attaché à l'équipe éducative telle qu'elle est constituée. Ce serait, à mon sens, dangereux de casser une dynamique qui réunit enseignants, travailleurs sociaux, médecins, infirmières autour de l'élève », estime Alain Desmarets. « Ce qui n'empêche pas une coordination avec les circonscriptions. »

Généraliste ou spécialisé ?

Des incertitudes qui attisent les craintes des assistantes sociales scolaires. Lesquelles voient poindre non seulement la fin de leurs missions en collèges, mais, plus largement, l'éclatement du service public de l'Education nationale. Et une inégalité de traitement entre les citoyens. « Qui nous dit que nous allons conserver nos missions ? Elles vont être fixées par une nouvelle loi, mais il reviendra aux départements d'organiser et de faire fonctionner le service. Si le scolaire n'est pas la priorité, si le conseil général décide que nous compléterons à temps partiel telle équipe de protection de l'enfance ou de polyvalence, c'en est fini du service social scolaire », explique une conseillère technique de l'académie francilienne. « En scolaire, nous nous adressons à tous les enfants. Pas seulement aux enfants de parents à problème, comme cela peut être le cas si l'on est un service départemental. Pour couvrir le primaire - c'est en effet un chantier important à ouvrir -, le conseil général sera-t-il prêt à majorer les effectifs ou va-t-on déshabiller l'un pour habiller l'autre ? », se demande Doris Boetsch, comme beaucoup de ses collègues qui n'ont pas l'autorisation de s'exprimer. L'argument d'une proximité accrue fait sourire. « Le service social scolaire ne peut pas être plus proche de l'usager qu'aujourd'hui dans les établissements ! Au contraire, si les élèves se confient à nous, c'est bien parce que nous sommes sur place. Et que nous sommes d'abord à leur écoute. Nous n'avons pas forcément à voir les familles. C'est ce qui crée ce lien de confiance. J'imagine mal des ados aller à la circonscription... », poursuit une de ses collègues de la région parisienne. « Connaissant la culture Education nationale, quid de la légitimité du service social aujourd'hui intégrée et reconnue par l'équipe pédagogique, lorsqu'il devra intervenir avec l'étiquette conseil général ? »

L'argument financier n'est pas plus rassurant. Imaginer qu'un changement de tutelle apporte une bouffée d'oxygène à des services pourtant réduits au minimum convainc peu de professionnels. « Il se peut que nous ayons plus de moyens ici, mais pas forcément là. Ce qui va renforcer les inégalités d'un département à l'autre. » « Ces craintes me surprennent, réagit Philippe Jamet. Les services de l'Etat sont, dans la plupart des départements, mal dotés ; tout le monde le sait. Or les départements n'ont pas démérité depuis la décentralisation ! Regardez la PMI ! Dans le Haut- Rhin, on est passé de 30 à plus de 80 agents ! » Un exemple justement que d'autres, comme le Syndicat national des médecins de PMI (5), ne cautionnent pas. Il estime que le bilan de la décentralisation laisse apparaître « une grande disparité territoriale et des départements déficitaires ». Ce qui le conduit à prôner à la fois l'extension de la PMI jusqu'à l'adolescence et le maintien des services de santé scolaire.

Tout dépendra des investissements que les élus seront prêts ou pourront consentir. Mais aussi de la façon dont l'Etat va gérer le dossier. La loi prévoit certes des transferts financiers « loyaux », selon les termes du Premier ministre, en direction des collectivités, mais les « anciens » de la décentralisation ont des souvenirs cuisants. En 1983, l'Etat s'est en effet fondé sur une évaluation financière a minima, loyale ou pas. Or « les dépenses de PMI du département ont, par exemple, été multipliées depuis par quatre dans la Seine-Saint-Denis », observe Claude Roméo. Un scénario qui inquiète les élus de tous bords, déjà échaudés par l'allocation personnalisée d'autonomie  (APA), confie Alain Desmarets. Seront-ils prêts à mettre au pot ? « L'Etat, sournoisement, sait bien que les élus ont à cœur tout ce qui touche à l'enfance. On va être obligé d'agir. Mais les moyens ne sont pas extensibles. »

Dans certains départements, on essaie de dédramatiser. A l'aune de leur expérience de la première décentralisation, sous l'autorité de l'Etat puis du département, Geneviève Avenard estime qu'il y a encore une perception peu noble de la gestion des collectivités, qui fonctionnent davantage que les services de l'Etat dans une logique de proximité, de contrôle et d'évaluation pour améliorer l'efficacité du service rendu. Marie- Colette Lalire, directrice de l'Enfance et de la famille dans l'Isère, balaie d'un trait l'argument des inégalités de traitement : « Elles existaient avant la décentralisation ! C'est aux citoyens de se mobiliser pour avoir les services qu'ils souhaitent. » Quant aux conditions de travail et de statut, il y aura, comme en 1983, possibilité de choisir : mise à disposition, intégration dans la fonction publique territoriale..., rien n'étant encore définitivement calé. « On n'a jamais sacrifié les personnels ; ils ne perdront rien », tranche Pierre Maille. « Réfléchissons d'abord aux besoins pour voir comment on peut être le plus efficace possible. » Et dans un esprit de respect mutuel , ajoute Geneviève Avenard. « Mais il faudra sûrement une phase d'apprivoisement réciproque pour que l'on se comprenne. »

Pour les futurs « intégrés », ce transfert ne réussira que « si l'on arrive, par la concertation, à prendre en compte nos compétences, nos métiers et nos pratiques. S'il trouve sa place dans une politique sociale globale, le service social doit rester spécialisé, et non dissous dans les multiples tâches de la polyvalence. L'enjeu, à travers la décentralisation, c'est en fait de redéfinir la notion de service public. Et les règles éthiques qui s'y rattachent », conclut Doris Boetsch.

Dominique Lallemand

Notes

(1)  Voir ASH n° 2303 du 21-03-03.

(2)  Voir ASH n° 2301 du 7-03-03.

(3)  Voir notamment le rapport des inspections générales de l'Education nationale et des Affaires sociales (février 1999), ASH n° 2133 du 17-09-99,  et le rapport 2002 de la défenseure des enfants, ASH n° 2238 du 22-11-02.

(4)  Voir ASH n° 2300 du 28-02-03.

(5)  Voir ASH n° 2306 du 11-04-03.

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