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Vers la déqualification de la justice des mineurs ?

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Interpellant le secteur associatif, à l'heure de l'ouverture des premiers centres éducatifs fermés associatifs et de la condamnation à un an de prison ferme pour une mère ayant refusé de participer à un « stage parental », Bernard Cavat interroge : « Faut-il participer au simplisme ambiant ou assumer publiquement la complexité ? »

« La loi de programmation et d'orientation sur la justice réformant la justice des mineurs est promulguée dès septembre 2002 ; elle est issue d'une pression gouvernementale sur le législateur en lien direct avec le sentiment d'insécurité cristallisant une véritable confusion du corps social à l'origine de la crise démocratique de l'élection présidentielle de 2002.

Nous assistons, ainsi, à une démarche législative “à chaud”, sans aucun recul pédagogique vis-à-vis de l'opinion publique, sans concertation ni éclairage technique des acteurs professionnels concernés (juge des enfants, organisations professionnelles, travailleurs sociaux œuvrant à la protection de l'enfance, etc.) mais, par contre, avec le concours actif et le soutien engagé de certaines fédérations employeurs liés politiquement au nouveau gouvernement sans véritables débats contradictoires au sein même de ces organisations.

Ces fédérations portent une lourde responsabilité, à la fois, éthique, déontologique et technique. En effet, une telle précipitation est contraire à la culture de ce secteur professionnel.

La justice des mineurs s'est progressivement structurée en France à travers une confrontation permanente entre la logique judiciaire et le concept d'éducation spécialisée. Une telle confrontation est porteuse de sens ; elle est à l'origine d'une double compétence de la justice des mineurs pénale et civile propre à équilibrer sanction et protection au sein d'un dispositif, certes complexe, mais cohérent vis-à-vis d'une population dont les actes “dérangeants” ne doivent pas masquer la détresse et la souffrance sociale. Les grandes dispositions législatives et réglementaires qui organisent la protection de l'enfance comme le traitement de la délinquance des mineurs sont issues de patientes élaborations sociologiques tenant compte de l'évolution de la société dans des domaines aussi complexes que le rapport de l'Etat à la famille, aux droits de l'enfant et à la sécurité publique. Les ordonnances de 1945 et 1958, le décret de 1959, la loi de 1970 sont des étapes importantes de cette longue maturation sociale. Elles organisent sur le long terme une réponse cohérente de la société aux problèmes rencontrés par sa jeunesse grâce à la distance que le législateur avait, jusqu'à présent, su préserver vis-à-vis de la pression démagogique de l'opinion publique et de l'actualité immédiate.

Une démarche sans recul, ni concertation

Or nous assistons, aujourd'hui, à la démarche inverse : le forcing médiatique impose sa loi et sa logique à des décideurs politiques qui pensent pouvoir s'affranchir de l'expertise des acteurs professionnels comme de l'analyse des profondes mutations socio-économiques à l'origine de la violence exprimée par certains jeunes et du désarroi de leurs parents. Il est de la responsabilité des organisations professionnelles et des représentants employeurs, au premier rang desquels les associations, de refuser de cautionner les solutions simplistes actuellement mises en place.

Comment justifier le prix de journée exorbitant dévolu aux centres éducatifs fermés alors que les moyens manquent cruellement pour consolider les réponses et les structures éducatives progressivement développées dans un souci d'adaptation des prises en charge aux phénomènes de délinquance ?

Mobiliser 25 professionnels à temps plein pour encadrer en continu huit jeunes pendant six mois sans garantie de pouvoir accompagner ces mêmes jeunes à leur sortie dans le dispositif ordinaire est une énormité ; laisser penser qu'une telle parenthèse dans la vie du jeune, associée à une mise à l'écart peu propice à travailler éducativement les enjeux de socialisation, puisse préparer effectivement son retour à une vie de jeune citoyen responsable est une erreur de communication vis-à-vis de l'opinion publique. Il est plus facile pour une association d'obtenir des moyens en personnel et en équipement sur des activités médiatiques en phase avec l'attente politique du moment que de se battre pour faire reconnaître la complexité des phénomènes éducatifs auxquels les professionnels sont confrontés et de chercher à obtenir la pérennisation des actions innovantes déjà expérimentées.

Comment se satisfaire des stages parentaux ?

Comment se satisfaire également de ces nouveaux “stages parentaux” organisés à l'initiative du parquet sur enquête de police avec la menace des sanctions prévues à l'article 227-17 du code pénal ? La condamnation à un an de prison ferme pour une mère ayant récemment refusé de participer à un tel stage (1) correspond à une justice “pour l'exemple” et non à une mesure de protection judiciaire pour son enfant. Le risque de déqualification de la justice des mineurs est bien présent ! Déqualification au sens de perte de légitimité : à trop vouloir rassurer l'opinion publique, à multiplier les réponses immédiates et visibles en privilégiant de plus en plus le rôle des parquets au détriment de la saisine des juges pour enfants, enfin, à vouloir contrôler à tout prix l'expression de la souffrance des jeunes plus que de la traiter en profondeur, la justice des mineurs peut-elle encore, aujourd'hui, garantir une réponse équilibrée entre sanction et éducation ?

L'expérience acquise et le savoir-faire des associations de protection de l'enfance leur confèrent un devoir d'alerte et d'interpellation des pouvoirs publics. Sauvegarder des emplois, obtenir des moyens nouveaux et améliorer le partenariat institutionnel représentent une démarche respectable mais dangereuse lorsqu'elle s'appuie sur des prestations et des actions à plus-value essentiellement électoraliste ! »

Bernard Cavat Directeur gé néral de la Sauvegarde de l'Orne, vice-président d'Education et Société : 6, rue Anne-Marie-Javouhey - 61005 Alençon Tél. 02 33 80 65 40.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2300 du 28-02-03.

TRIBUNE LIBRE

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