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Les enfants en première ligne

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Selon une étude provisoire de l'INSEE, il y aurait 8 % d'enfants pauvres en France, contre 6,5 % de la population en général. Des chiffres rendus publics pour la première fois, lors d'un colloque, qui mettent en évidence la sur- représentation des enfants dans la pauvreté.

Depuis longtemps au centre de multiples recherches dans les pays anglo- saxons, la pauvreté des enfants n'a pas encore fait, en France, l'objet de très nombreux travaux. « Probablement cette question a-t-elle été occultée par notre système de prélèvements/prestations, qui raisonne à partir de la famille, du ménage », explique Mireille Elbaum, responsable de la direction de la recher- che, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) des ministères des Affaires sociales et de la Santé. D'où l'intérêt du colloque sur « Les enfants pauvres en France » organisé dernièrement à Paris, qui a permis de prendre la mesure d'un phénomène particulièrement complexe (1).

La pauvreté, en effet, est une notion multidimensionnelle. Elle peut être définie à travers la perception qu'en ont les intéressés (pauvreté subjective), ou bien selon des critères institutionnels fixant l'éligibilité à des prestations (pauvreté administrative). On peut aussi l'appréhender sous l'angle des conditions de vie. Tenter d'analyser ce que signifie le fait de grandir dans une famille démunie implique alors de chercher à mieux connaître l'impact de la pauvreté sur le quotidien : logement, état de santé, scolarité, accès à divers types de biens et de services. Ces différentes dimensions, bien sûr, sont en relation avec la faiblesse des revenus, et cette pauvreté monétaire semble la plus évidente et la moins contestable. Mais encore faut-il, d'abord, s'entendre sur le seuil de pauvreté retenu pour estimer le nombre de personnes concernées. Puis ne pas méconnaître qu'à l'intérieur de cette catégorie, l'intensité de la pauvreté peut varier considérablement entre l'extrême modestie des moyens et la grande exclusion. Or, en termes de vécu des individus comme d'adaptation des politiques publiques, les problématiques sont bien sûr très différentes, souligne Bertrand Fragonard, président de l'Ob- servatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale.

Un diagnostic inquiétant

Si en matière d'évaluation de la pauvreté monétaire, toute estimation est affaire de conventions, les plus couramment utilisées, en France, sont celles de l'INSEE : un ménage est pauvre quand son niveau de vie, c'est-à-dire le revenu disponible par personne - ou « unité de consommation »   (2)  -est inférieur à la moitié du revenu « médian » de l'ensemble de la population (3). Selon une étude- encore provisoire - réalisée par Fabien Dell et Nadine Legendre, chercheurs à l'INSEE, à partir des enquêtes sur les revenus fiscaux de 1998 et 1999 (4), ce seuil de pauvreté correspondait en 1998-1999 à 552  € mensuels par membre de la maisonnée, adultes ou enfants. Sont inclus tous les moins de 18 ans qui habitent dans le foyer (5)  : ceux qui ont un lien de parenté avec la personne de référence du ménage ou son conjoint (enfants, petits-enfants, neveux-nièces, frères-sœurs), ainsi que les enfants placés dans cette famille. En revanche, sont exclus du champ de cette enquête - même si bon nombre d'entre eux ne figurent pas parmi les plus favorisés -les mineurs qui ne résident pas au domicile familial : ceux qui vivent en institution (établissements de l'aide sociale à l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse, du secteur médico-social...), ainsi que ceux qui sont hébergés, avec leur (s) parent (s), en collectivité. En outre, les foyers dont la personne de référence est étudiante - et leurs enfants - ne font pas non plus partie des ménages étudiés. Autant dire qu'en dépit de leur précision, ces données ont une valeur essentiellement indicative, mais de taille : en 1998-1999, la France comptait 3 732 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Parmi elles, près d'un tiers (1 091 000) sont des jeunes de moins de 18 ans. Ils ne représentaient pourtant qu'un quart de la population totale. Les enfants et les adolescents sont donc plus souvent pauvres que leurs aînés. Ainsi, alors que le taux de pauvreté global, en 1998-1999, était de 6,5 %, il atteignait 8 % chez les moins de 18 ans. Et encore, le seuil (à 50 % du revenu médian) pris en compte par l'INSEE est-il relativement restrictif. Celui généralement retenu pour les comparaisons européennes (voir encadré) est fixé à 60 % du revenu médian - soit 662  € mensuels (contre 552) par unité de consommation selon les calculs de Fabien Dell et Nadine Legendre. On dénombre alors le double de mineurs pauvres (2 138 000), c'est-à-dire un taux de pauvreté de 15,7 % parmi les enfants - contre 12,6 % dans l'ensemble de la population. Tout porte donc à croire qu'en France- comme dans la plupart des pays de l'Union européenne (sans parler des Etats-Unis)  - il y a un phénomène spécifique de pauvreté enfantine.

Qui sont les enfants pauvres ? Sans conteste, ceux dont le ou les parents sont inactifs ou au chômage. Quand on compare les enfants pauvres (seuil à 50 % du revenu médian) et non pauvres, on s'aperçoit en effet qu'un tiers des premiers grandit dans des foyers où aucun des deux parents n'occupe un emploi, ce qui n'est le cas que de 3 % des seconds. En revanche 50 % des enfants non pauvres cohabitent avec deux parents qui travaillent contre un peu plus de 10 %des enfants pauvres. Les mineurs vivant sous le seuil de pauvreté sont, d'autre part, deux fois plus souvent élevés dans une famille monoparentale que leurs contemporains plus aisés : c'est le cas d'un quart d'entre eux, contre 12 % des non pauvres. En outre, dans ces foyers monoparentaux, le parent est trois fois sur quatre sans emploi, alors que celui des enfants non pauvres travaille dans les deux tiers des cas.

La pauvreté d'un enfant est également liée au nombre de frères et sœurs (de moins de 25 ans, dans cette étude) qui sont, comme lui, à la charge des parents. Ainsi, le risque de pauvreté pour un enfant ayant jusqu'à deux frères et sœurs est de 7 %, mais il passe à plus de 12 % s'il en a trois, voire à près de 35 % s'il a cinq frères et sœurs ou plus. Le fort taux de pauvreté de ces familles très nombreuses, expliquent Fabien Dell et Nadine Legendre, est en partie dû à la part notable, parmi elles, des ménages dont la personne de référence n'est pas ressortissante de l'Union européenne. Or dans tous les cas de figure, c'est-à-dire quel que soit leur nombre de frères et sœurs, les enfants qui grandissent avec des parents n'ayant pas une citoyenneté européenne sont davantage exposés : plus du quart des enfants pauvres sont issus de ces familles.

Par ailleurs, le taux de pauvreté des enfants est d'autant plus élevé que le niveau d'études de leurs père et mère est faible : un fossé sépare ceux dont les parents n'ont pas fait d'études (16 % d'enfants pauvres), de ceux dont les parents ont au moins le BEPC (6 %), le baccalauréat (5 %) ou un diplôme équivalant à bac + 2 (2 %). Or 90 % des enfants pauvres ont des parents qui n'ont pas le baccalauréat.

Enfin, le monde rural et Paris présentent un taux de pauvreté enfantine plus bas que la moyenne (respectivement 7 % et 5 %), alors que les villes de plus de 200 000 habitants (hors Paris) rassemblent près d'un tiers des enfants pauvres et montrent un taux de pauvreté maximal (11 %).

Avenirs individuels et devenir collectif

Se limiter aux ressources pécuniaires ne rend bien sûr pas compte des formes multiples de carences qui obèrent, au quotidien, le bien-être des enfants et hypothèquent leur avenir. Ni des stratégies actives des familles en situation de pauvreté, où la présence d'enfants donne sens « au combat permanent contre le “malheur” - ou les risques de malheur - qui constitue la principale caractéristique de ce milieu social », souligne Daniel Bertaux, directeur de recherches au CNRS. Une « hyper-activité » des plus démunis qui, à rebours des idées reçues sur la passivité des « assistés », se trouve encouragée par un haut niveau de protection sociale créant les conditions pour que leurs efforts soient couronnés de succès, précise-t-il à la lumière des histoires de vie recueillies auprès de familles habitant dans des quartiers défavorisés de six grandes villes européennes. L'espérance, néanmoins, est comme rongée quand s'installent de façon systématique le chômage et le sous-emploi qui bouchent l'avenir et conduisent à rejeter ce qui vous rejette (l'école, le travail salarié et, plus généralement, la société). Aussi, en termes individuels autant que collectifs, la pauvreté des enfants est particulièrement coûteuse, fait observer John Micklewright, de l'université de Southampton :elle détourne des ressources qui pourraient être utilisées ailleurs, elle réduit le stock de « capital humain » - dans la mesure, notamment, où elle a des conséquences directes sur la santé et les niveaux de qualification des intéressés -, et elle crée des problèmes sociaux dont la société souffre dans son ensem- ble. Au-delà de l'indignation, c'est donc aussi par intérêt bien compris que les pays ont à interroger la place et les « chances de vie » données aux plus jeunes de leurs membres.

Caroline Helfter

LE NIVEAU DE VIE DES JEUNES EUROPÉENS

Malgré l'impact des divers transferts sociaux, et notamment des prestations familiales, qui augmentent sensiblement le revenu disponible des ménages dans lesquels ils vivent (6) , les plus jeunes habitants de l'Union européenne (7) - enfants et adolescents âgés au plus de 16 ans - ont dans tous les pays, sauf en Finlande, au Danemark et en Grèce, un niveau de vie inférieur au niveau de vie moyen national, explique Aude Lapinte de la DREES (8) . Cet écart en leur défaveur, de 7 % en moyenne européenne (6 %en France), est particulièrement prononcé (14 %) au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Le taux de pauvreté des enfants de l'Europe- c'est-à-dire la proportion de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté (9)  - est également plus important (19 %) que le taux moyen calculé sur l'ensemble de la population (17 %) - 18 % et 16 % en France -, les plus mal lotis, à cet égard, étant les enfants qui vivent au Royaume-Uni, en Irlande et au Luxembourg. Seuls quatre pays échappent à cette règle : la Belgique et la Grèce où la proportion importante d'enfants pauvres (17 et 19 % des moins de 16 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté) est cependant inférieure (de deux points dans chaque cas), au taux de pauvreté moyen de leur pays, et surtout le Danemark et la Finlande qui sont aussi les pays où le taux de pauvreté des enfants comme celui de l'ensemble de la population est le plus faible de l'Union : la pauvreté ne touche que 4 % des enfants au Danemark et 7 % en Finlande, contre respectivement 11 et 12 % de l'ensemble des individus vivant dans ces deux pays. Les enfants pauvres sont, comparativement à la moyenne des enfants de leur pays, plus souvent issus de familles nombreuses (excepté dans les pays nordiques et au Royaume-Uni) et davantage encore ceux de foyers monoparentaux (sauf en Finlande et en Italie). Au niveau de l'Union, alors que 19 % des Européens de 16 ans ou moins vivent en dessous du seuil de pauvreté, les enfants de familles nombreuses ou monoparentales sont respectivement 25 % et 36 % dans ce cas. A titre de comparaison, la pauvreté, selon cette étude, touche en France 18 % des enfants pris dans leur ensemble, mais 25 % et 42 % de ceux qui vivent dans une famille nombreuse ou monoparentale.

Notes

(1)  Proposé par le CERC, le Commissariat général du plan, la CNAF et la DREES, ce colloque a eu lieu le 21 mars - Rens. auprès du CERC : Tél. 01 53 85 15 00 - www.cerc.gouv.fr.

(2)  Le revenu total des ménages est rapporté au nombre d'unités de consommation ainsi définies : le premier adulte compte pour 1, les autres personnes de la famille âgées de 14 ans ou plus pour 0,5 et les moins de 14 ans pour 0,3. On parle alors de revenu équivalent et tous les individus du ménage sont affectés du même revenu équivalent.

(3)  Revenu médian autour duquel se partage la population : 50 % au-dessus et 50 % en-dessous.

(4)  Les ressources prises en compte (diminuées des impôts directs) sont les revenus d'activité et du patrimoine, les retraites et pensions imposables, ainsi que les revenus de transferts sociaux : prestations familiales, aides au logement et minima sociaux (API, AAH, RMI). Sont exclues en revanche les bourses d'étude et les allocations de garde d'enfant (AGED et Afeama).

(5)  Sans être comptabilisés comme « enfants », les aînés de 18-25 ans vivant dans le ménage sont pris en compte parmi les unités de consommation.

(6)  Les revenus considérés comprennent les revenus (nets d'impôts) d'activité et du patrimoine, les retraites et transferts privés entre ménages, ainsi que les transferts sociaux (prestations familiales, indemnités chômage, allocations logement, pensions d'invalidité, minima sociaux).

(7)  Sauf la Suède qui lors de cette enquête portant sur les revenus 1995 ne faisait pas partie du panel européen des ménages.

(8)  Cf. « Niveau de vie et pauvreté des enfants en Europe », par Aude Lapinte - DREES - Etudes et Résultats n° 201 - Novembre 2002.

(9)  Pour chaque pays, le seuil de pauvreté retenu est égal à 60 % du niveau de vie médian national par unité de consommation.

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