Pas de suppression de l'interdiction du territoire français (ITF), mais des « aménagements de procédure ». Telle est la teneur du rapport du groupe de travail sur la « double peine » (1) constitué à l'automne et composé de représentants des ministères de l'Intérieur et de la Justice et de personnalités qualifiées. Les associations de la Campagne nationale contre la double peine, qui avaient eu l'heureuse surprise de voir Nicolas Sarkozy se saisir de ce dossier délaissé par le précédent gouvernement, ont d'ores et déjà manifesté leur déception (voir ce numéro) après la lecture de ce document, qui leur a été communiqué le 2 avril. D'autant plus que le ministre de l'Intérieur a annoncé sa volonté d'intégrer l'essentiel de ses propositions dans son projet de loi sur l'immigration qui doit être présenté en conseil des ministres à la fin du mois.
« Sans doute utiles pour éloigner durablement des délinquants extrêmement dangereux à condition d'avoir les moyens d'exécuter ces décisions et d'en contrôler l'application dans le temps », l'ITF et l'expulsion, « pour la délinquance plus ordinaire, [...] présentent plus d'inconvénients que d'avantages, lorsqu'elles sont dirigées contre des étrangers qui ont des attaches personnelles avec le territoire français », admettent les auteurs, évoquant « les inconvénients manifestes de la fabrication, par l'Etat, de clandestins de longue durée [...], dont la clandestinité au mieux perturbe profondément l'épanouissement des familles françaises ou qui ont vocation à demeurer sur le territoire français, au pire entretient des réseaux de délinquance, notamment de faux papiers ». Ils estiment entre 500 et 1 000 par an le nombre de personnes pour lesquelles la « double peine » « est un problème », flux auquel « s'ajoute le stock des célibataires et des pères de famille qui ont fait l'objet de la double peine dans les années 80 et 90 et qui ne parviennent pas à sortir de la spirale de la clandestinité du fait de procédures trop rigides ou de l'obstination des autorités publiques ».
Première proposition du groupe, que « l'interdiction du territoire français ne puisse plus être requise ni infligée, ni comme peine complémentaire, ni comme peine principale, en l'absence d'enquête sociale diligentée par le parquet ». Autre assouplissement recommandé, la création d'une interdiction du territoire et d'une expulsion avec sursis. Surtout, l'institution d'une « protection absolue » contre les peines d'ITF est apparue « incontournable » pour deux catégories d'étrangers : ceux qui vivent en France depuis leur enfance - entrés avant l'âge de 10 ou 13 ans, le rapport ne tranche pas - « pour lesquels la “double peine” correspond à un bannissement », et ceux qui y résident depuis un certain temps et qui y ont fondé une famille. Pour ces derniers, le groupe préconise une durée minimale de présence en France de dix ans, condition à laquelle devrait être ajouté le fait d'être parent d'un enfant français mineur ou d'être marié avec un ressortissant français depuis trois ou cinq ans. Ces « protections absolues » feraient pourtant l'objet d'exceptions liées à la gravité des infractions : les crimes contre l'humanité, le terrorisme, et les quatre incriminations les plus graves en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants, notamment, les rendraient caduques. Il souhaite même que la peine d'interdiction du territoire français puisse désormais être prononcée dans tous les cas de vol avec violences. Nicolas Sarkozy s'est d'ailleurs démarqué des rapporteurs sur ce point particulier, déclarant le 6 avril, au Grand Jury RTL -Le Monde, que « même dans les cas de trafic de drogue, on peut considérer qu'il n'y a pas lieu de punir les enfants » des condamnés et laissant entendre qu'il n'y aurait pas d'exception, sauf pour les actes de terrorisme.
Pour le reste, le groupe de travail alterne fermeté et souplesse. Il demande, par exemple, que les étrangers en situation régulière puissent dorénavant être expulsés même s'ils ont été condamnés à moins de un an de prison ferme. Mais propose que l'interdiction d'acquisition de la nationalité française puisse être prescrite, alors qu'elle frappe actuellement de façon irréversible toutes les personnes condamnées à une peine d'au moins six mois de prison ferme, quel que soit le délit commis. Il suggère également de rendre possible l'aménagement des peines (permissions de sortir, semi-liberté...) et le bénéfice des formations professionnelles dispensées dans les établissements pénitentiaires pour les détenus faisant l'objet d'une interdiction du territoire.
(1) L'expression désigne « le fait, pour un étranger ayant commis une infraction pénale sur le territoire français, de faire l'objet d'abord d'une peine de prison ou d'amende, puis d'une mesure d'éloignement, qui prend la forme soit d'une interdiction du territoire français prononcée par le juge pénal, soit d'une mesure d'expulsion prononcée par l'autorité administrative », rappelle le document.