« Après moult péripéties jurisprudentielles, la “saga des équivalences” (1) a pris fin avec deux arrêts rendus le 24 janvier 2003 par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (2). La plus haute formation de l'ordre judiciaire est ainsi revenue sur la jurisprudence élaborée par la Chambre sociale, dans une affaire (Assoc. Etre enfant au Chesnay c/TERKI) jugée le 24 avril 2001, concernant l'applicabilité de l'article 29 de la “loi Aubry II” au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
La question se posait de savoir si le mode de rémunération par équivalence des heures de permanence nocturne effectuées en chambre de veille, prévu par les conventions collectives nationales du 31 octobre 1951 et du 15 mars 1966, pouvait valablement être régularisé a posteriori à l'occasion de contentieux prud'homaux, les salariés demandeurs étant privés du droit d'ester en justice et les organismes gestionnaires dispensés de payer des condamnations en rappels de salaire (3). La réponse définitive apportée par le juge suprême est positive : l'atteinte aux droits individuels des salariés est justifiée par le fait “qu'obéit à un impérieux motif d'intérêt général l'intervention du législateur destinée à aménager les effets d'une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale auquel participent les établissements pour personnes inadaptées et handicapées”. L'article 29 de la loi Aubry II n'est donc pas incompatible avec les principes juridiques de procès équitable et de prééminence du droit consacrés par l'article 6 de la Convention européenne.
La motivation de ces arrêts de revirement, relativement laconique, peut être plus précisément interprétée à la lueur des rapport et avis soumis à l'appréciation de l'Assemblée plénière :
le conseiller rapporteur M. Merlin a caractérisé l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général par l'importance des enjeux financiers pour la sécurité sociale- ainsi que nous l'avions suggéré - et par le besoin de sécurité juridique des associations gestionnaires qui avaient, de bonne foi, appliqué les régimes conventionnels existants. Dans ces conditions, l'atteinte portée aux droits individuels des salariés est légitimée dans la mesure où le juge, en appliquant l'article 29, est garant de la continuité chronologique d'un régime d'équivalence voulu de longue date par les partenaires sociaux. Par ailleurs, M. Merlin a évoqué le caractère illégitime des prétentions de salariés voulant que des heures de sommeil soient assimilées à un temps de travail effectif (4) ;
l'avis du procureur général Burgelin a abouti aux mêmes conclusions mais de manière plus nuancée. Spécialement, après avoir brossé un savant tableau du contexte jurisprudentiel des lois de validation, l'auteur de cet avis a mis en exergue le risque pour la Cour de cassation d'être attirée dans la sphère du fait par l'exercice du contrôle de conventionnalité de l'article 29.
Peut-être est-ce pour éviter d'exprimer sa position sur cette question fondamentale du droit judiciaire français que l'Assemblée plénière a voulu recourir à une motivation que d'aucuns pourront trouver sommaire. Néanmoins, cette motivation est opératoire puisqu'elle est à présent reprise dans les décisions consécutives des juges du fond (5)... et de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
En effet, par un arrêt du 18 mars 2003 (6), la Chambre sociale a, pour la première fois à notre connaissance, fait application du principe selon lequel l'article 29 est conforme à l'article 6 de la Convention européenne s'agissant de la validation du régime des équivalences. Il est vrai que les hauts magistrats n'avaient guère d'autre option compte tenu de la solennité donnée au revirement du 24 janvier 2003. Mais l'intérêt majeur de cet arrêt réside dans le fait qu'il a également retenu l'application de l'article 29 pour valider les versements relatifs à la période allant du 1er février 2000 - date d'entrée en vigueur de la “loi Aubry II” - au 5 janvier 2002, date d'entrée en vigueur du décret autorisant à nouveau, au visa de l'article L. 212-4 du code du travail, l'application des régimes conventionnels d'équivalence.
Cette prise de position rejoint l'opinion exprimée par le conseiller Merlin sur le sujet (7). Elle se justifie également par le fait que l'article 29 n'était limité, dans sa rédaction même, par aucune date butoir.
Désormais, seule reste problématique le sort des heures d'équivalence qui ont été sanctionnées par une décision judiciaire devenue définitive avant l'entrée en vigueur de la “loi Aubry II”. Les errements de la jurisprudence (8) avaient en effet conduit, notamment après un arrêt du 29 juin 1999, à la condamnation systématique des organismes gestionnaires par le juge d'appel. Certains pourvois des organismes gestionnaires avaient même été purement et simplement écartés sans être jugés sur le fondement de l'article L. 131-6, alinéa 2 du code de l'organisation judiciaire (9). Compte tenu de la situation, les associations ainsi condamnées, victimes a posteriori de fluctuations injustifiées, n'ont plus d'autres ressources que de faire valoir leurs droits devant le juge de Strasbourg en invoquant les principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Celles dont les pourvois n'ont même pas été examinés pourront invoquer en sus le droit à un procès équitable... sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne. »
Olivier Poinsot Chef de cabinet du directeur général de l'Association pour la sauvegarde des enfants invalides (ASEI) : Parc technologique du Canal -4, avenue de l'Europe - 31526 Ramonville-Saint-Agne cedex Tél. 05 62 19 30 06.
(1) Michel Morand : « La saga des équivalences... suites et fin ? » - Semaine sociale Lamy n° 1108 du 3 février 2003.
(2) Cass., Ass. plén., 24 janvier 2003, arrêts n° 497 P et 498 P - Voir ASH n° 2296 du 31-01-03 et le site Internet
(3) Pour plus de précisions, voir Olivier Poinsot : « Les institutions sociales et médico- sociales, l'article 29 de la loi Aubry II et les exigences de la jurisprudence européenne en matière de lois de validation » - R.D.S.S. 2002/1 et s.
(4) Rapport Merlin.
(5) Par exemple : Toulouse, 4e Ch., 2e Sect., 21 février 2003, Dame Caradonna et autres c/A.G.O.P. (21 arrêts).
(6) Cass., Soc., 18 mars 2003, A.R.A.S. S. c/Daniel X... et autres, arrêt n° 856 - Voir ASH n° 2304 du 28-03-03 et le site Internet
(7) Rapport Merlin.
(8) Voir l'historique reconstitué par M. Burgelin dans son avis à 21.
(9) Cet article prévoit que ne sont pas admis à être jugés les pourvois « non fondés sur un moyen sérieux de cassation [...] lorsque la solution du pourvoi s'impose ».