Actualités sociales hebdomadaires : Vous avez organisé, le 31 mars, la première rencontre plénière des associations membres de la conférence permanente. Où en est votre organisation ?
Bernard Cavat : La CPO a été créée en octobre (1) par 13 associations. Nous sommes 16 aujourd'hui, couvrant l'en-semble des champs de compétences du travail social. Cela me semble significatif que tant d'organisations se soient retrouvées aussi rapidement autour d'un manifeste exigeant, qui défend une concep- tion citoyenne du travail social, avec la volonté de mutualiser leurs moyens pour être plus présentes dans le débat public. C'est un événement en soi dans un secteur terriblement morcelé. Le choc du premier tour de l'élection présidentielle de 2002 n'est pas étranger à cette mobilisation...
- C'est un fait. Des tentatives précédentes de même nature étaient restées sans écho (2). Cette fois, l'appel à une action collective du secteur (rédigé quelques semaines plus tôt) est paru en « tribune libre » dans les ASH juste après le premier tour de l'élection présidentielle (3). Ce contexte, que nous n'avions pas prévu, a dû servir d'électrochoc. Un mois plus tard, les 13 associations fondatrices jetaient les bases de la conférence permanente.
Force est de constater qu'une bonne part des populations qui ont voté pour l'extrême droite sont aussi celles qu'approchent les travailleurs sociaux. Nous réalisons des constats sur la misère économique, culturelle et relationnelle, et sur les impasses dans lesquelles s'engage notre société, mais nous ne les faisons pas assez remonter. Si nous nous faisions mieux entendre des politiques, peut-être éviterait-on ces réactions repoussoirs.
Le regroupement s'organise donc uniquement sur des thèmes éthiques et politiques ?
- En lien avec l'activité professionnelle. Notre manifeste revendique un rôle, pour les travailleurs sociaux, dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques sociales et médico-sociales. Nous affirmons aussi que notre pratique engage une conception de l'homme et de la société qui va à l'encontre d'une prétendue neutralité technique de l'acte professionnel. Nous écrivons également que notre travail implique une remise en cause de la seule logique de marché.
Je ne suis pas sûr que, il y a trois ou quatre ans, chacune des associations signataires de ce texte se serait prononcée dans ces termes sur la responsabilité particulière du travail social en matière de démocratie. Ni qu'elles auraient saisi les conditions éthiques et politiques d'une plus grande justice sociale comme thème de regroupement. C'est une vraie nouveauté pour le secteur.
Comment fonctionnez-vous ?
- Chaque membre s'engage à déléguer au moins deux représentants (pas une bonne volonté isolée...) pour participer aux travaux de la délégation permanente et à mettre en débat les thèmes développés par la CPO au sein de ses instances. Il ne s'agit pas de rester entre spécialistes mais bien de viser une appropriation collective de la réflexion. Nos associations représentent quatre à cinq mille professionnels, une dizaine de publications et autant de manifestations nationales annuelles. De quoi démultiplier les lieux et les occasions de discussion sur les questions qui nous rassemblent.
La délégation permanente devrait tenir quatre réunions par an. Nous fonctionnons beaucoup par échange d'e-mails entre ces rendez-vous. Nous formerons aussi sans doute des groupes de travail thématiques.
Avez-vous constitué une association ?
- Non. Nous sommes un groupement de fait. La CPO n'a ni direction, ni siège, ni moyens propres. Chaque organisation membre lui apporte un peu de logistique, à la mesure de ses capacités. L'ANAS fournit la salle pour les réunions ; le Cnaemo assure un peu de secrétariat ; au nom d'Education et Société, j'anime la conférence pendant un an... Nous n'excluons pas, éventuellement, de mutualiser quelques moyens financiers sur des actions ponctuelles. Mais il ne s'agit pas de créer une superstructure, plutôt de tisser des réseaux et d'apprendre à fonctionner ensemble, plus rapidement, en phase avec l'actualité. Ainsi, tout texte envoyé qui n'a pas reçu de retour dans les huit jours est réputé adopté.
Vous formulez aussi une « offre de service médiatique ». Pourquoi et comment ?
- Les travailleurs sociaux font trop peu entendre leur voix dans le débat public. Et nos organisations n'ont pas su, jusqu'à présent, accéder aux médias généralistes. Ce n'est pas la culture de notre milieu. La CPO se promet donc d'être réactive à l'actualité. Nous nous organisons pour n'avoir pas qu'un porte- parole, mais une série de personnes compétentes pour répondre aux questions portant sur leur spécialité, et qui s'engagent à le faire rapidement.
Comment la CPO se situe-t-elle par rapport à l'appel de l'association « 7, 8,9 ... vers les états généraux du social » ?
- C'est une autre façon de secouer le cocotier ! Nous nous réjouissons de la multiplicité des initiatives qui visent à faire s'exprimer les travailleurs sociaux. C'est décidément un signe des temps. Nous avons voulu nous associer à la préparation des états généraux en tant qu'organisation, même si l'appel initial semblait solliciter uniquement les ex- pressions individuelles (4). Les organisations professionnelles sont un lieu privilégié de débat et de construction d'une expertise collective. Il n'y avait pas à les rejeter. Ce dont « 7, 8,9... » est d'ailleurs convenu - après débat - au point de signer une convention de coopération avec la CPO. Nous participerons à l'analyse des expressions collectives, que nous aiderons aussi à faire remonter du terrain. Mais au-delà de cet événement ponctuel, la CPO a pour vocation de développer une réflexion et un engagement durables.
Dès votre création, vous avez pris position sur le projet de loi de sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy...
- Oui, et nous avons envoyé une lettre ouverte aux députés et sénateurs pour leur demander de ne pas « rendre notre travail encore plus difficile ! » (5). La criminalisation des populations en souffrance sociale va à l'encontre des missions d'accompagnement et d'éducation qui sont les nôtres. La responsabilisation des individus est un leurre si on ne s'attaque pas aussi aux causes sociales de leurs difficultés.
... Mais depuis, on ne vous a guère entendus !
- Nous avons signé l'appel à « Lutter contre la pauvreté, pas contre les pauvres » et défilé en tête du cortège aux côtés de la Ligue des droits de l'Homme. Nous nous sommes aussi associés à toutes les protestations contre les récentes mises en cause de la couverture maladie universelle et de l'aide médicale d'Etat. Mais nous n'avons pas non plus vocation à intervenir à tout bout de champ ! Nous souhaitons d'abord construire des analyses mieux étayées, croiser nos expériences afin d'élaborer des positions transversales solides - et si possible lisibles -, pour les porter ensuite dans le débat public.
Cela vous amène-t-il à vous exprimer sur les orientations du gouvernement Raffarin dans le domaine social ?
- La méthode du gouvernement est très brutale, très stigmatisante. Il s'attaque au symptôme, traite le visible, le dérangeant. Ce qui laisse peu de place aux travailleurs sociaux. Notre boulot, c'est justement de savoir pourquoi les gens ont des comportements dérangeants et d'agir sur les causes sociales de leurs difficultés.
Les choix budgétaires privilégient l'exclusion et la coercition au détriment de la prévention et de l'éducation. On est capable de mettre de grosses sommes dans des centres éducatifs fermés, mais on sera dans l'incapacité de faire vivre, avec des professionnels formés, d'autres dispositifs qui ont fait leurs preuves.
La remise en cause des emplois-jeunes est aussi une catastrophe. Pour la lutte contre la violence scolaire notamment, mais aussi pour l'ensemble du tissu associatif. Sans parler des coupes claires et des « gels » budgétaires que nous sommes en train de découvrir !
La pénurie de travailleurs sociaux fait-elle partie de vos sujets de préoc- cupation ?
- Bien sûr ! Depuis des années, nous constatons un déficit de l'engagement de l'Etat dans la formation en travail social. La trop faible évolution des quotas de places alloués ne permettra pas de répondre aux besoins en professionnels diplômés pour les prochaines années. Ce n'est pourtant pas faute, pour le secteur, d'avoir tiré la sonnette d'alarme. La pénurie d'infirmières apporte un éclairage supplémentaire sur la crise qui attend le travail social.
Certes, la validation des acquis de l'expérience peut être d'un apport intéressant. Tout dépend de la façon dont elle sera mise en œuvre. Mais il ne peut s'agir que d'un complément, pas d'un substitut à la formation initiale. L'aller et retour formation/terrain est indispensable à la construction d'une identité professionnelle. Sinon, on court un grand risque de déqualification massive des travailleurs sociaux. Avec tous les risques que cela comporte pour la société elle-même.
J'ajouterai qu'il reste beaucoup à faire en matière de formation sur ce thème d'un métier qui amène à être un acteur social engagé. Comment cela peut-il se vivre à l'intérieur même des structures et des institutions, dans le cadre des règles et des codes professionnels ?
Sont membres de la Conférence permanente des organisations professionnelles du social (6) : l'Association des instituts de rééducation (AIRe), l'Association nationale des assistants de service social (ANAS), l'Association des paralysés de France (APF), les associations Intermèdes (Lutte contre la solitude enfantine) et Itinéraires, le Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (Cnaemo), les Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (CEMEA), la Confédération française des professions sociales (CFPS), Education et Société, la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE), France ESF (l'association des conseillères en économie sociale et familiale), le groupe « travail social » de la Ligue des droits de l'Homme, le Mouvement national des étudiants et travailleurs sociaux (MNETS), le Mouvement national pour la promotion et la coordination en travail social (MNPCTS), Pratiques sociales, Témoins et Solidaires.
Quel est votre programme pour les prochains mois ?
- Nous allons travailler sur la décentralisation. Elle ne semble pas s'appuyer sur un projet de démocratisation. On nous dit, certes, vouloir rapprocher le niveau de décision du terrain, mais pour des raisons d'efficacité, pas pour améliorer la participation des citoyens aux décisions qui les concernent... Nous allons analyser les transferts de compétences sous cet angle de l'exercice de la citoyenneté.
La lutte contre l'exclusion nous concerne, évidemment. Nous allons aussi approfondir le thème de l'accès aux droits. Nous voulons également réfléchir aux moyens d'exercer un droit d'ingérence du travail social sur les politiques sociales, mais aussi sur les pratiques policières ou judiciaires, sur les procédures administratives... Comment allons-nous nous autoriser à parler collectivement sur ces questions, et interpeller les politiques et le grand public ?
Propos recueillis par Marie-Jo Maerel
(1) Voir ASH n° 2281 du 18-10-02.
(2) Voir ASH n° 2097 du 11-12-98 et n° 2165 du 5-05-00.
(3) Voir ASH n° 2260 du 26-04-02.
(4) Voir ce numéro.
(5) Voir ASH n° 2285 du 15-11-02.
(6) CPO : BP 145 - 6, rue Anne-Marie-Javouhey - 61005 Alençon - Tél. 02 33 80 65 40.