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« Adieu, cher Lucien »

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« Ce regard aux yeux bleus, accueillant et lumineux, s'est définitivement perdu, au terme de 90 années », écrit Daniel Terral (1). Il rend hommage au médecin psychiatre Lucien Bonnafé qui s'est éteint le 16 mars dernier.

«  “Lucien Bonnafé est né le 15 octobre 1912. Profondément marqué par le Surréalisme, militant communiste, résistant sous l'occupation allemande, il a consacré sa longue carrière psychiatrique à la recherche d'un ´désaliénisme' théorique et pratique. Par principe, il a toujours tenu à animer cette recherche avec l'ensemble des travailleurs de santé mentale. Il fut ainsi, à côté de Germaine Le Guillant et de Georges Daumézon, l'un des créateurs des stages d'infirmiers psychiatriques organisés par les CEMEA. De plus en plus, il considère que l'enfermement conjoint des ´malades mentaux' et de ceux qui les soignent - dans leurs institutions, dans le rapport ´soigné-soignant', dans la ´chronicité'... - est effet et cause du système aliéniste. Il ne cesse de lutter pour le désenclavement de l'oreille et de la parole des héritiers de l'aliénisme, en même temps que pour l'ouverture de la conscience publique à un autre regard sur la folie”   (2).

« Lucien Bonnafé est ainsi ce médecin d'à peine 30 ans que le gouvernement de Vichy écarte de Paris pour l'isoler en Lozère, à l'hôpital de Saint-Alban. C'est là qu'il accueille un autre jeune médecin, réfugié de l'Espagne franquiste, le Dr Tosquelles. Cet hôpital sera bientôt le lieu de refuge d'autres persécutés des pouvoirs infâmes qui s'installent en Europe occidentale en ces années honteuses. Il abrite ainsi, dans une petite pièce du premier étage du bâtiment administratif, Paul Eluard qui écrira nombre de ses plus beaux poèmes, La maison des fous, et ce très émouvant texte désormais gravé sur la noire pierre de granit, érigée au cœur du petit cimetière déserté qui domine l'hôpital, dédié aux morts torturés de la guerre. Raymond Queneau rejoindra ceux-là dissimulés parmi les malades, dont certains résistants qui vont développer des réseaux d'aide clandestins aux maquisards, installant à Mende une imprimerie, dans les bois une infirmerie sous un hangar, encore ailleurs un point de contact ou de ravitaillement.

« C'est un soir de 18 juin 1993 que l'ami Lucien, à l'approche de la nuit tombante (quand les ombres se font furtives et l'imagination aléatoire), nous a initiés à ces lieux chargés d'histoire et de mémoire, Joëlle Barbier, Sonia Terral (qui l'avait côtoyé 25 ans auparavant) et moi-même.

« C'est de ce contexte de lutte contre l'oppression et la barbarie humaine que prend corps, dans sa conscience et dans sa forme, une autre lutte contre cette autre misérable malédiction : tout un peuple d'aliénés au cœur de multiples forteresses de la pensée, mais aussi faites de pierres et de chaux de même nature que d'anciens châteaux forts. Les Drs Bonnafé et Tosquelles vont faire tomber les murs de l'asile, et l'on y verra les fous la pioche à la main. Entre Freud et Marx, la psychothérapie institutionnelle est en train de naître. La guerre terminée, Bonnafé, proche de Henri Wallon, va inventer ce qui sera quelques années plus tard la politique de secteur.

« Les grandes étapes du combat désaliéniste de Bonnafé auront ensuite pour nom Perray-Vaucluse, Sotteville-lès-Rouen, Corbeil-Essonnes. C'est là qu'il termine sa carrière de praticien hospitalier. Pas celle de “Bonnafé désaliéniste”, qui ne renoncera jamais à ses fraternités ni à sa position de “résistance obstinée, à [sa] lutte inlassable pour la liberté de penser et de créer,  à [son] refus des apparences, à [son] anti-colonialisme et [son] don-quichottisme engagé, en psychiatrie, en politique, en poésie”.

« Que l'on soit soignant ou travailleur social, intervenant dans le champ social ou la santé mentale, notre dette est grande envers cet homme de courage et de lucidité. Dans le sillon de sa pratique, continuons à ensemencer un peu de ce chiendent, dont parlait Deligny, afin que la culture- la culture opulente - soit atteinte dans ses prétentions (3).

« Soyez en sûr, Lucien, vous serez des nôtres en juin prochain, désormais à l'ombre des grands murs ocres du centre hospitalier François-Tosquelles, à Saint- Alban-sur-Limagnole, pour travailler en- semble lors des “XVIIIerencontres de la psychothérapie institutionnelle”. Nous y continuerons à lutter contre “tous les obscurantismes”, à certifier que “connaissance sans histoire est infirme”, à préserver vos “visions subversives” face à “l'épaisseur des résistances aux progrès [...] toujours plus lourdes qu'on ne l'imagine”   (4).

« Résister, résister toujours et encore ! par fidélité à l'idéal humain. Merci, mon cher Lucien. »

Notes

(1)  Responsable d'établissement médico-social : 9, rue de Hautefeuille - 10450 Breviandes - Tél. 03 25 71 53 30.

(2)  Présentation de l'auteur dans Psychiatrie populaire. Par qui ? Pourquoi ? - Lucien Bonnafé - Ed. Scarabée/ Cemea -1981.

(3)  Correspondance F. Deligny/D. Terral.

(4)  A propos de Lucien Bonnafé : Daniel Terral, Traces d'erre et sentiers d'écriture. Entre folie et vie quotidienne - Ed. Erès - 1996 - Dans VST, n° 52 - Mars/avril 1997.

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