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« Rendre les droits effectifs est mon objectif prioritaire »

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A l'occasion de la présentation détaillée, le 25 mars, du troisième plan national de lutte contre l'exclusion (1), doté d'un financement spécifique d'un milliard d'euros d'ici à 2005, la secrétaire d'Etat à la lutte contre l'exclusion et la précarité revient sur l'esprit de ce programme et sur certaines de ses dispositions.

Actualités sociales hebdomadaires : Comment avez-vous travaillé à l'élaboration de ce plan ? Dominique Versini : De façon interministérielle, avec François Fillon, le ministre de tutelle - qui a fait connaître ses mesures pour l'emploi lors de la table ronde du 18 mars (2)  -, avec nos collègues du Logement, de la Santé, de l'Education nationale, de la Culture, du Sport, du Tourisme... L'ensemble du gouvernement est concerné par le programme de lutte contre les exclusions car c'est la politique d'un pays qui crée ou non de l'exclusion. Nous avons aussi largement consulté les acteurs associatifs et les collectivités territoriales - à travers l'Union nationale des centres communaux d'action sociale -, qui sont au plus près des gens. La trame de ce plan est vraiment le résultat de la confrontation de tous les constats relatifs aux raisons menant encore les personnes de la précarité à l'exclusion. Puis nous avons soumis ce programme au Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE), qui a rendu un avis favorable. Ce qui nous a permis d'enrichir un certain nombre de fiches et d'en ajouter d'autres. Quel est l'esprit général du plan ?

- Les droits contenus dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions sont toujours très difficiles d'accès, c'est un constat général. Les rendre effectifs sous deux ans est donc mon objectif prioritaire. L'accès aux droits est la première étape avant toute démarche d'insertion. Lorsqu'on rencon- tre une personne en grande difficulté, il faut d'abord résoudre en urgence les problèmes essentiels - dormir, manger, se laver -, puis, dans la foulée, tous les assistants sociaux savent cela, se préoccuper de l'accès au droit commun, car on ne peut pas se réinsérer dans des dispositifs parallèles spécifiques.

Vous préconisez aussi une réforme des administrations...

- Nos institutions, très spécialisées et très performantes, ne sont pas toujours suffisamment adaptées et polyvalentes. Les guichets doivent être un appui et non un obstacle. Devoir courir de guichet en guichet, remplir des formulaires très compliqués, donner pour chaque aide des justificatifs différents de ceux demandés pour l'aide précédente, c'est insupportable. De même que sortir d'un dispositif sans connaître celui qui va prendre le relais et se retrouver face à des agents de guichet qui ne savent pas anticiper d'eux-mêmes la rupture des droits... C'est pendant ces périodes de quelques mois où les gens n'ont rien que peut-être se joue leur destin : une dépression irréversible se déclenche, des problèmes familiaux surgissent... Les conséquences en termes humains sont lourdes. Mon collègue Henri Plagnol, qui a présenté le 19 mars en conseil des ministres un projet de loi relatif à la simplification administrative, va m'aider à simplifier un maximum de dispositifs. Les systèmes administratifs sont beaucoup trop complexes et difficilement lisibles

Le volet « logement », auquel sera consacrée la majeure partie du financement du plan, parle notamment de « diversification » de l'offre. Le problème principal n'est-il pas occulté, alors que tout le monde souligne la grave pénurie de logements sociaux ?

- Pour ma part, j'ai souhaité renforcer l'accès au logement, ce que je vais réaliser en partenariat avec Gilles de Robien. Pour le reste, personne ne conteste qu'il y a un manque important de logements. Nous avons devant nous un vaste chantier. Le président de la République, lors du conseil des ministres du 19 mars, a dit très clairement qu'il souhaitait que l'accès au logement des familles défavorisées soit au cœur des préoccupations du gouvernement. C'est une feuille de route... Je pense que l'on peut beaucoup progresser dans la reconnaissance du parc privé comme acteur à part entière du logement social. Cela va être une de mes priorités. Mon nouveau directeur de cabinet, Alain Regnier, connaît bien les questions du logement, puisqu'il a appartenu au cabinet d'André Périssol. Ce sera un atout supplémentaire.

Vous souhaitez « moderniser », « paramétrer » et « mettre en cohérence le dispositif d'urgence sociale. » Qu'est-ce que cela veut dire ?

- Quand, en mai, j'ai demandé combien il y avait de places sur l'ensemble du territoire et que personne n'a été capable de me le dire, j'ai compris qu'il y avait un problème... Il faut mettre à plat le dispositif département par département, région par région, identifier les points forts, les problématiques, les niveaux d'intervention : l'urgence, la post-urgence, l'insertion. Et, dans ces différents niveaux, labelliser les prestations que l'on propose, afin d'avoir une vraie politique de l'urgence sociale. Actuellement, quand on parle de places d'hébergement d'urgence, cela veut dire une chose à Paris, une autre à Lyon et une troisième à Besançon ou Marseille... On doit définir un cahier des charges pour les prestations que l'on demande aux associations de réaliser pour le compte de l'Etat. Depuis des années, on fait reposer sur les associations de plus en plus d'actions auprès de populations de plus en plus variées. Tout cela demande des interventions différenciées : intervention en urgence, dispositif de stabilisation où les gens peuvent se poser un peu, dispositif humanitaire pour les déboutés, etc... Il est bon que l'Etat précise le panier de services qu'il s'engage à financer parce qu'il estime que c'est vraiment de son ressort. Cela permettra de clarifier et de pacifier les relations avec les associations, qui sont en difficulté chronique depuis de nombreuses années.

Pour le moment, nous sommes en train de terminer la mise à plat du dispositif dans le cadre de réunions régionales avec les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales. Puis les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des finances pourront démarrer leur travail d'audit, qui sera mené en 2003.

Les associations s'inquiètent actuellement du gel de 20 % de certains crédits destinés à financer le 115 et l'hébergement d'urgence...

- Il s'agit d'une « réserve de précaution » qui touche de nombreuses lignes du budget de l'Etat, non d'un gel définitif. Les associations seront payées pour les prestations qui leur sont demandées. Elles n'ont pas commencé à réduire leurs actions, mais elles s'interrogent. Elles ont raison. C'est mon rôle de trouver des solutions, et j'y travaille.

Votre plan prévoit aussi l'amélioration de la prise en charge de la souffrance psychique.

- C'est un dossier important pour moi. La souffrance psychique est « la » pathologie de l'exclusion. Il y a évidemment des interactions entre les problèmes psychiques et les problèmes sociaux et je souhaite y sensibiliser les travailleurs sociaux ainsi que les médecins et les psychiatres. Il faut, en premier lieu, former les travailleurs sociaux à la souffrance psychique. Il y a des endroits où cela se fait à titre expérimental. Nous voudrions développer ces actions parce que les travailleurs sociaux portent le poids de problématiques qui dépassent largement leur champ de compétences et celui de leur formation. Je souhaite également que l'on développe les dispositifs psycho-sociaux mobiles, qui vont à la rencontre des gens dans les centres d'hébergement, dans la rue... Sachant qu'il ne s'agit pas de psychiatriser à outrance mais d'établir un diagnostic, d'orienter, d'aider les travailleurs sociaux dans l'accompagnement de ces publics. Tout cela passe par une grande articulation entre le médical, la psychiatrie et le social. La souffrance psychique figurera d'ailleurs comme priorité dans l'élaboration des schémas régionaux d'organisation sanitaire. C'est une vraie nécessité. La souffrance des publics est en jeu, mais aussi celle des travailleurs sociaux.

Que comprendra le plan national d'action pour l'inclusion sociale que la France doit présenter à l'Union eur opéenne en juillet prochain ?

- Le plan que je viens de présenter, le volet emploi de François Fillon, un autre sur le logement, un sur la politique de la ville, un sur la parité dans le domaine professionnel... En somme, tous les thèmes sur lesquels nous travaillons les uns et les autres depuis neuf mois, en avançant plus ou moins rapidement selon les sujets.

Y aura-t-il prochainement un conseil interministériel de lutte contre l'exclusion, attendu depuis longtemps par les associ ations ?

- Je souhaite qu'on puisse le mettre en place. François Fillon s'y est d'ailleurs engagé devant le CNLE. Mais il faut trouver le moment propice pour l'organiser. Ce ne sera sûrement pas avant la fin de l'année.

Vous aviez a nnoncé en octobre un plan contre l'exclusion en milieu rural...

- Yves Censi, président du groupe « ruralité » de l'Assemblée nationale, le groupe de travail qui comprend le plus grand nombre de députés, va terminer une mission sur la ruralité pour Hervé Gaymard. Puis il s'attaquera à celle que lui a confiée le Premier ministre, à ma demande, sur l'exclusion en milieu rural. Ce sera une autre étape. Il y a des problématiques spécifiques à l'exclusion en milieu rural, liées principalement à la mobilité.

De quelle façon êtes-vous associée à la réforme du revenu minimum d'insertion (RMI) et à la création du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS)  ?

- J'interviens au sens où je participe à des réunions de travail interministérielles, mais sur toutes ces questions relatives à l'emploi, François Fillon est le leader principal. Le revenu minimum d'activité (RMA), pour moi, est une bonne mesure. Soyons clair : le RMI ne va pas disparaître. Mais certaines personnes titulaires du RMI depuis deux ans qui peuvent rentrer dans une dynamique d'emploi et veulent sortir d'une situation d'assistance vont avoir la possibilité de travailler pour compléter le RMI et obtenir une rémunération au moins équivalente au SMIC.

Vous avez eu à gérer, au cours du premier trimestre l'opposition frontale des associations à la suppression de la gratuité de l'accès aux soins pour les titulaires de l'aide médicale d'Etat (AME). Comment analysez-vous ce qui s'est passé ?

- Les parlementaires ont constaté une augmentation très importante de cette ligne budgétaire, qui est passée de 50 à 500 millions d'euros en deux ans. Dans un contexte de maîtrise des dépenses, ils ont pensé qu'imposer un ticket modérateur permettrait de réduire la dépense. Mais on ne peut pas raisonner comme cela. Les députés ne disposaient pas de toutes les informations que nous avons obtenues par la suite, grâce au rapport que j'ai demandé à l'IGAS. L'AME est un dispositif récent, donc méconnu. On ne sait pas grand-chose ni des bénéficiaires, ni de leur consommation. L'IGAS a montré que, même si on avait mis en place le ticket modérateur, il aurait fait l'objet de toutes les exonérations classiques concernant les pathologies lourdes, les grossesses... On s'aperçoit par exemple que 80 % des médicaments prescrits aux titulaires de l'AME sont des rétroviraux qui, de toute façon, auraient été délivrés gratuitement. Les populations viennent de pays où le retard de soins est tel que lorsqu'elles sont prises en charge en France, leurs pathologies sont très lourdes.

Vous avez annoncé un prochain recadrage de l'AME...

- On remarque que ce dispositif ne fait l'objet d'aucun contrôle à l'entrée : seules des déclarations sur l'honneur sont demandées. Il y a des abus. Facilités, il est vrai, par l'absence de modèle unique national de carte d'AME. Comme il est quasiment impossible de mettre fin à la validité de ces cartes, car les fichiers ne sont pas informatisés, certains cumulent AME et CMU. Par ailleurs, des étrangers de passage, qui n'ont nullement l'intention de rester en France, en bénéficient. Il faut instaurer les mêmes contrôles que pour l'accès à la CMU, créer un formulaire national... C'est pourquoi j'ai conseillé au Premier ministre de recadrer, par voie de circulaire, le dispositif, qui doit être traité selon le droit commun. Mais personne n'a envie, et sûrement pas le ministre de la Santé qui était en accord avec moi tout au long de cette discussion, de priver les gens de l'accès aux soins.

Propos recueillis par Céline Gargoly

Notes

(1)  Voir ce numéro.

(2)  Voir ASH n° 2303 du 21-03-03.

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