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Soigner les exclus

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Malgré l'extension de la couverture sociale, nombreuses sont les personnes démunies à rester en marge du système sanitaire. Aussi, même s'ils avaient été initialement conçus pour n'exister que de façon transitoire - c'est-à-dire être fermés dès que le système public aurait rendu leur rôle inutile -, les dispensaires de soins gratuits, ouverts au milieu des années 80, par des associations humanitaires, ont perduré. Ils coexistent avec les « dispositifs précarité » (désormais intitulés permanences d'accès aux soins de santé) créés au sein des hôpitaux publics à partir de 1992, qui proposent eux aussi gratuitement une prise en charge médicale immédiate (consultations, soins et délivrance de médicaments), prolongée par une action sociale. En fonction de quelles valeurs les professionnels de ces deux types de structures - salariés hospitaliers et bénévoles associatifs - vivent-ils leur intervention auprès de malades démunis et quelles relations patients et soignants sont-ils amenés à entretenir ?

Pour analyser les particularités de ces modes différents d' « assistance sociomédicale », Isabelle Parizot, chercheuse associée à l'Inserm, a réalisé des enquêtes dans quatre centres de soins gratuits : trois dispensaires de la mission France de Médecins du monde- dédiés à des personnes ne pouvant théoriquement pas consulter ailleurs durant la période de recouvrement de leurs droits sociaux - et un CHU parisien où le parcours des publics bénéficiant du dispositif précarité « Hugo » ne se distingue de celui de la clientèle habituelle que par la couleur de leur ordonnance et le fait qu'ils rencontrent un professionnel les aidant, au minimum, à obtenir une couverture sociale (ils sortent alors du cadre administratif Hugo, mais leur suivi médical n'est en rien modifié). Lorsqu'ils prennent contact avec un service de soins gratuits, les patients ont, au départ, des attentes globalement similaires, que celui-ci soit hospitalier ou humanitaire. Cependant, ils « se socialisent » différemment dans les deux types de structures, faisant progressivement leur le sens que les professionnels (soignants et travailleurs sociaux) confèrent à leur intervention.

« Soigner les exclus », en effet, ne signifie pas la même chose selon que l'on travaille à l'hôpital ou que l'on exerce bénévolement dans une association, précise l'auteur. Elle distingue « l'univers médical » caractérisant davantage l'expérience des acteurs d'un service hospitalier, et « l'univers humaniste » qui est celui de l'engagement humanitaire. Dans le premier, c'est autour d'une logique d'action professionnelle que s'organisent la prise en charge thérapeutique des patients et le travail social qui l'accompagne afin d'éviter que leurs problèmes sociaux ne fassent obstacle au recouvrement de la santé par les patients. Transmettant à ces derniers leur conception de la mission du service public hospitalier qui reconnaît à tout malade le droit d'être soigné, sans se préoccuper de considérations financières relevant de la solidarité nationale, les intervenants de l'hôpital confortent les bénéficiaires du dispositif Hugo dans leur identité d' « ayants droit », pouvant légitimement accéder à la médecine comme n'importe quel autre citoyen. L'assistance sociomédicale humanitaire, quant à elle, s'inscrit dans le regis- tre du don de soi : c'est avant tout au nom de leur commune humanité que les bénévoles s'investissent dans le soutien aux patients démunis. Les relations que nouent les protagonistes relèvent, certes, de prises en charge médicales et sociales, souligne Isabelle Parizot, « mais la manière dont chacun les vit dénote la valeur essentielle attribuée à la qualité des rapports humains autour - et au-delà - de l'aide concrète échangée ». Ainsi le consultant hospitalier « apprend-il » à se percevoir comme une personne malade pouvant, à ce titre, être soignée gratuitement, et le patient de Médecins du monde comme un être humain digne, en tant que tel, d'être aidé. Par delà la restauration de la santé recherchée dans tous les centres de soins gratuits, « ce sont donc, en parallèle, deux modes de réhabilitation de l'individu qui apparaissent au travers de la distinction des deux univers symboliques », analyse la sociologue. Dans chacun d'entre eux, l'une des composantes des processus d'exclusion tend à être contenue de façon privilégiée : d'une part la rupture du lien de citoyenneté et la stigmatisation des « assistés »  ; d'autre part, la rupture du lien d'intégration qui se traduit notamment par l'isolement social et par la dégradation de l'image de soi liée à la stigmatisation des « pauvres ».

Soigner les exclus  -Isabelle Parizot - Ed. PUF -25  .

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